Mais comment font les autres parents ?

Accompagner son enfant dans sa
scolarité en primaire n’est déjà pas
facile ni à la portée de tous les
parents, mais s’il n’est pas un brillant
élève, autonome, responsable,
indépendant et débrouillard, lui
apporter l’aide dont il a besoin à son
entrée en secondaire devient un
parcours du combattant.

Maman, Jordy m’embête en classe. Il est
assis sur le même banc que moi et il met
sa main dans son pantalon et se caresse
et puis il veut me toucher avec… »

Entrevue avec la titulaire qui n’en
revient pas, aucun parent des 26 élèves ne lui a parlé de
cet enfant qui se masturbe pendant les cours. Gestion
de « l’affaire » : le gamin a su que la maman de Célia est
venue se plaindre, il n’a pas pu accompagner son groupe
lors des 3 journées de classe-découverte. Au retour, plus
de branlettes, mais le gamin se déculotte 2 à 3 fois par
semaine devant tous les autres. Pour la deuxième fois,
j’alerte les adultes de l’école et à nouveau, une maladresse
d’une enseignante fait que toute la classe sait que
c’est Célia qui « balance ». J’apprends peu après qu’une
jeune fille de la classe apporte régulièrement de l’argent
et le donne à un garçon pour s’acheter son amitié.
« Maman, tu ne t’en mêles pas, ce n’est pas moi qui ai
des ennuis à l’école, c’est toi qui m’en attires ! Alors même
si ce n’est pas juste, tu n’interviens pas sinon je ne te raconte
plus rien ! »

Pas de chance, c’était une année avec un groupe particulièrement
difficile où 11 élèves sur 26 n’ont pas réussi
et où il a fallu en exclure certains. Ma fille est passée
« un peu juste » avec 2 échecs et d’autres branches en
rase-motte. Je reste persuadée que l’énergie qu’elle a
dû mettre pour gérer ses relations au sein du groupe
l’a empêchée d’être davantage centrée sur son travail
d’élève.

RELEVER UN DÉFI

« Maman, j’ai besoin d’un maquereau pour le cours de
sciences de vendredi et après, monsieur il a dit qu’il faudrait
un oeil de boeuf. »

Comme il n’y a pas de poissonnerie dans mon quartier,
je me dis qu’en m’y prenant bien à l’avance, je vais
pouvoir trouver ça dans la grande surface qui est près
de chez moi.

« Des filets de maquereau : oui, mais avec tête et viscères
: non, madame. Les poissons nous viennent tous de
la centrale où ils sont déjà nettoyés. J’appelle mon collègue
de la boucherie pour votre autre demande. »
Même réponse, non seulement dans ce grand magasin, mais aussi dans toutes les boucheries. D’une même
voix, elles me conseillent d’aller aux abattoirs chercher
l’objet de ma quête.

Ça peut prêter à sourire, mais ces deux cas ne sont
que des exemples, car les livres à lire dans le courant de
l’année qu’on ne trouve plus à la bibliothèque de l’école
ni dans celle de la commune, c’est banal. À vous de vous
faire un réseau parmi les parents qui ont un enfant dans
la classe supérieure à celle du vôtre ou bien de l’acheter
neuf (ou d’occasion dans le meilleur des cas). Écrire au
prof de sciences et lui demander de prévoir lui-même la
matière première pour son cours ? À la direction pour
que des fonctionnements plus collectifs puissent voir le
jour ?

SE RENDRE À LA CASE 2.N+1

« Maman, j’ai interro de math demain et je n’ai rien
compris à cette histoire d’escalier ! »
« Si l’on compte les marches d’un escalier par 3, il en
reste une ; si on les compte par 5, il en reste 4 et si on
les compte par 11, il en reste 5. Combien de marches possède
cet escalier, sachant que ce nombre est inférieur à 60.
Prouve ta réponse en montrant les trois divisions euclidiennes.
»

J’essaierais bien en tentant chaque nombre entre 16
et 59, mais je me doute bien que ce n’est pas ça que le
professeur attend des enfants… Se plonger dans le cours,
les feuilles soi-disant corrigées. Rechercher les exercices
qui pourraient ressembler… Il y a bien son frère
qui pourrait peut-être l’aider, mais lui-même planche
sur autre chose et Célia ne veut pas que son ainé puisse
lui venir en aide. On se casse la tête, satisfaction au bout
d’un moment, car on a trouvé. Le souper est là, sur le
plan de travail, en attente…

RECULER DE 3 CASES

« Maman, j’ai une mauvaise nouvelle : j’ai raté l’interro
d’Étude Du Milieu. »
Ma première réaction est de me fâcher, j’ai passé du
temps avec elle la veille à relire le cours et refaire des
exercices sur la pertinence et la fiabilité d’un document.

L’interro était à cahier ouvert, que demander de plus ?
Et puis, je découvre un texte de départ qui parle de
la Deuxième Guerre mondiale. Douze lignes pour expliquer
le conflit et une petite note en bas de page expliquant
qui était Adolf Hitler. Suivent 5 documents et
pour chacun d’eux, il faut dire sa nature, sa pertinence,
sa fiabilité et justifier.

Première erreur, le témoignage d’une habitante
d’Hiroshima, paru dans un livre, Célia en fait un article
et non un témoignage oral. Même erreur pour un extrait
de la déclaration d’Hitler à la radio. Un rapport
secret sur le renforcement de l’armée allemande, elle l’a
mis comme « fiable », je ne sais pas si c’est juste ou faux,
car une gondole barre ce qui est en dessous. Elle a bien
mis qu’une photo d’un bombardement par un avion
sud-vietnamien en 1967 n’était pas « pertinente », mais
elle s’est trompée en disant qu’elle était « fiable » et finalement,
pour une affiche de propagande allemande, elle
a su dire non fiable, mais n’a pas su justifier.

Complexe tout ça… Mais le plus surprenant, c’est
que la correction est demandée à domicile avec les
mêmes fiches outils qui n’ont pas aidé le jeune pendant
le contrôle et que ce sera un devoir non fait et donc
sanction à la clé si le travail n’est pas accompli !

RESTER PRISONNIER

« Maman, tu me fais réciter mes sciences pour demain
? »
—— Conduction ?
—— Quand il y en a un qui tremble et ça se propage sur
l’autre et ça commence à chauffer tout.
—— Sur ta feuille il est noté « La conduction est un mode
de propagation de la chaleur par la matière de proche
en proche, mais sans déplacement de cette matière. »

Rayonnement ?
—— Quand on fait à travers, sans toucher.
—— Sur ta feuille : « Le rayonnement est un mode de propagation
de la chaleur sans intermédiaire de matière. »
—— On ne doit pas connaitre les définitions mot à mot, la
prof va donner une image et on va devoir dire de quel
type de trajet il s’agit.

Je constate que ce qui pose le plus problème à ma fille
c’est de rentrer dans le langage « savant », quelle que

« Maman, j’ai
besoin d’un
maquereau pour le
cours de sciences
de vendredi. »

soit la branche (sciences, math, edm….). Faire du réel
un objet de travail, théoriser sur la langue, utiliser des
mots scolaires, il y a, là, un noeud, un véritable obstacle.
Je pense que c’est là une des causes
principales de ses difficultés. Je culpabilise
parfois un peu, est-ce parce qu’à
la maison, je leur parle en espagnol,
ma langue maternelle ? Manqueraitelle
de vocabulaire ? Mais n’est-ce pas
le travail de l’école que de donner à
tous les jeunes l’accès à son langage ?

De les initier aux termes propres aux
disciplines scolaires ? Comment expliquer ce blocage ?
Souvent, Célia me renvoie cette question : « À quoi ça va
me servir plus tard, hein ? »

FIN DE LA PARTIE

Une question lancinante me revient à chaque nouvelle
épreuve : « Mais comment font les autres parents ? »
J’en croise certains lorsque je conduis ma plus jeune
à l’école primaire du quartier, on discute un peu dans la
cour ou sur un bout de trottoir. Leurs enfants tombent
comme des mouches : cours particuliers payants, bulletins
catastrophiques, redoublements, réorientations…
Leur analyse ne remet jamais en cause l’école ni le système,
c’est leur enfant qui ne s’en sort pas, qui n’est pas
motivé, qui n’étudie pas assez.

À la fin juin, l’année dernière, à la maison de quartier
que mes enfants fréquentent à Molenbeek, ils passaient
pour des extraterrestres. « Vous passez, sans examen de
passage ? Sans travaux de vacances ? Vous n’avez jamais
doublé ? Vous n’êtes pas normaux ! ».