Migrants en écoles flamandes

Durant les dernières décennies, la Flandre a connu une accélération de la cohabitation multiethnique. Principalement dans les grandes villes comme Gand et Anvers, mais aussi dans des villes comme Malines, Genk ou Lokeren qui, depuis la seconde guerre mondiale, ont connu un grand afflux d’immigrés. Le nombre grandissant de jeunes familles allochtones influe aussi sur le nombre d’élèves allochtones dans les écoles. Cette évolution s’est accompagnée d’une ségrégation ethnique croissante dans l’enseignement.

page4.jpgDès le début, les immigrés ont choisi, pour leurs enfants, les écoles de leur quartier. Comme ils habitaient dans les quartiers ouvriers des grandes villes, les écoles de ces quartiers, traditionnellement fréquentées par les enfants d’ouvriers autochtones, sont rapidement devenues des écoles rassemblant un grand nombre d’enfants allochtones.

Cette concentration a entrainé ce qu’on a nommé la « fuite blanche » : les parents autochtones décidaient d’inscrire leurs enfants dans d’autres écoles. Dans la suite, les parents allochtones aux conditions économiques et au statut social plus élevés suivirent le même exemple. « Fuite noire », cette fois. C’est ainsi qu’on évoqua la ségrégation socio-ethnique. Dans certaines écoles, ce mouvement de population fit passer le nombre d’élèves allochtones de 30 à 80 % et même 100 %. Cette réalité donna naissance au terme « écoles de concentration ».

La faute à la liberté !

La législation sur la liberté de choix d’école est la cause principale de cette répartition inégale des élèves. De ce fait, chaque école n’a pas le même « mix » d’élèves. La majorité des enfants de familles défavorisées ou de parents allochtones se retrouvent dans les mêmes écoles. Quand les enfants de parents allochtones à peine scolarisés forment la grande majorité de certaines écoles, elles sont marquées du sceau d’écoles « noires ». En face, se trouvent les écoles d’élite « blanches », en général peuplées d’enfants de parents autochtones hautement qualifiés. Les écoles mélangées sur le plan ethnique (« écoles grises ») sont composées de façon plus ou moins équilibrée, mais les enfants autochtones y sont encore majoritaires. L’importance relative de ces trois types d’écoles en Flandre n’est pas encore clairement établie, ni pour l’enseignement fondamental, ni pour le secondaire.

(L’)également dé-ségréguer

Dans le cadre du décret GOK et via les LOP[1]Gelijke onderwijskans ou Chances égales d’enseignement et Lokale overvleg platforms ou Plateformes de concertation locales. Voir à ce sujet l’article Pour plus d’égalité en page 3 de ce … Continue reading, un effort est fourni pour cartographier la problématique – et ceci, de façon très systématique dans chaque grande ville. Ces données ont cependant une portée plutôt locale.

La ségrégation socio-ethnique dans l’enseignement cause de gros soucis au pouvoir en place. Elle donne lieu à des directives favorisant une meilleure répartition des élèves. Cette question fut particulièrement travaillée pour l’enseignement fondamental, entre 1993 et 2002. Une population scolaire plus équilibrée – surtout en termes ethniques – constitue également un des objectifs principaux de l’actuel décret GOK. En Flandre, une répartition obligatoire des élèves n’est pas envisageable légalement, la liberté de choix d’école y étant si fortement établie. Comme les autorités ne peuvent pas vraiment influencer les mentalités des différents groupes de population, la seule possibilité d’hétérogénéisation est la gouvernance des flux dans les écoles.

Le décret GOK comporte à cette fin trois volets :
– le renforcement des droits d’inscription dans l’école de son choix ;
– la création de structures qui permettent une vigilance quant à l’observation du droit d’inscription ;
– la possibilité pour les écoles d’être proactives dans l’accueil des élèves présentant des retards scolaires et des élèves allochtones, en les soutenant financièrement. Un nouveau décret financier est entré en vigueur dans ce sens : il permet aux écoles d’être financées sur base de la composition de leur population scolaire.

Conjointement, des règles strictes permettent aux écoles d’envoyer des élèves vers d’autres écoles, quand leurs propres capacités d’accueil risquent d’être dépassées. Ces règles doivent prévenir une trop forte concentration d’élèves à risque et dont le néerlandais n’est pas la langue maternelle. Les résultats de ces directives GOK sont encore en cours d’évaluation, mais ce qui est sûr, c’est que ces directives se situent à la frontière de la légalité : elles ne peuvent toucher à la liberté de choix des parents. Cette protection légale de la liberté de choix permet aux plus favorisés de jouer avec les possibilités et de poser des actes que les autorités ne jugent pas souhaitables, par exemple opter pour des « écoles blanches » dans la périphérie des villes.

Des avantages et des légitimations

Les directives de dé-ségrégation dans l’enseignement flamand sont donc justifiées, en premier lieu, par une aspiration à des chances égales pour tous les élèves, quelles que soient leur origine, leur couleur ou leur position sociale, et par la volonté de faire reculer les retards scolaires. De fortes concentrations, dans les mêmes classes, d’élèves allochtones ou socioéconomiquement défavorisés, tireraient trop fortement vers le bas, à la fois leurs possibilités d’apprentissages et le niveau général de l’enseignement. Il est généralement reconnu que, dans les écoles de concentration, la qualité de l’enseignement laisse à désirer même si, pour la Flandre, aucune évidence empirique n’existe.

L’argument de la cohésion sociale ou de l’intégration est une deuxième légitimation en faveur de la dé-ségrégation. En effet, pour que les enfants deviennent des citoyens compétents, il est important qu’ils apprennent à « savoir-faire » avec la diversité dans la société. L’école se trouve à portée de main comme lieu de rencontre éminemment favorable pour des jeunes issus de toutes les couches de la population. Ceci est bien sûr un idéal vers lequel tendre. En pratique, il a toujours existé des écoles d’enfants d’ouvriers et des écoles d’élites et on ne peut attendre d’aucune école qu’elle reflète, dans sa totalité, la diversité de la société flamande.

L’environnement scolaire est un facteur déterminant dans les mouvements d’élèves. Aussi longtemps que les allochtones habitent majoritairement les grandes villes, le mélange ethnique dans les communes rurales n’est pas à l’ordre du jour. Cependant, on est en droit d’attendre des écoles fondamentales situées dans les quartiers urbains ethniquement mélangés qu’elles reflètent mieux la diversité de la population locale.

On souligne l’argument de la cohésion sociale quand il est question de quartiers urbains où se concentrent des minorités défavorisées. Diverses couches de population – allochtones et autochtones, pauvres et bien nantis… – y vivent les uns à côté des autres sans vrais contacts avec d’autres habitants du quartier, avec un risque accru de conflits sociaux. L’existence d’écoles ségréguées dans l’environnement proche enlève aux jeunes du quartier une importante possibilité de contacts interethniques durables. Une question importante est de savoir si on doit seulement se préoccuper des « écoles noires » ségréguées dans les quartiers défavorisés et, dès lors, si on peut se permettre de laisser faire les « écoles blanches » ségréguées des banlieues rurales et des riches quartiers urbains qui tiennent soigneusement leurs portes fermées aux enfants défavorisés. Dans ces écoles, la proximité d’une population urbaine diversifiée n’implique-t-elle pas que sa population scolaire soit aussi ethniquement et socialement mélangée ?

Des recherches et des explications

En Flandre, une recherche scientifique à propos des causes et conséquences de la ségrégation socio-ethnique vient d’être entamée. Actuellement, deux équipes interuniversitaires (Anvers, Louvain et Gand) travaillent à des projets de recherche qui poursuivent trois objectifs. Le premier objectif est de dresser la carte de la ségrégation socio-ethnique, respectivement dans l’enseignement fondamental et dans l’enseignement secondaire, le deuxième est de mieux comprendre les causes de cette situation dans laquelle les processus de choix d’école sont centraux et le troisième objectif est de voir plus clair dans les effets de la composition socio-ethnique, tant sur les prestations d’enseignement que sur l’intégration et le bienêtre des élèves autochtones et allochtones.

Une réalité bien établie est le retard scolaire des élèves allochtones par comparaison avec les élèves autochtones et la grande inégalité qui existe entre les deux groupes. Plusieurs explications sont avancées. Parmi celles-ci, l’infériorité socioéconomique et l’infériorité dans la connaissance de la langue retiennent l’attention. Cependant, ces déterminants ne peuvent expliquer que partiellement les retards scolaires.

En ce qui concerne l’intégration, c’est surtout la position défavorisée sur le marché du travail qui semble jouer, en partie dépendante du retard scolaire. Les écoles de concentration sont très souvent montrées du doigt pour leur non-adéquation au marché du travail. Pourtant, une étude récente montre que les aspirations aux études des jeunes allochtones ne sont pas spécialement plus faibles dans les écoles de concentration. De même, si, dans les écoles blanches, tant les jeunes autochtones que les jeunes allochtones présentent les plus hautes aspirations pour les études, cela s’explique entièrement par la composition socioéconomique des élèves de ces écoles.

Une autre étude a montré que l’intégration de jeunes allochtones – en termes d’amitié avec des jeunes Belges et de participation à des activités sociales en dehors de l’école – n’est pas influencée par la composition ethnique de l’école. Pour les jeunes Flamands, ce qui est déterminant, c’est que plus le nombre d’allochtones est élevé dans leur école plus ils ont d’amis d’origine allochtone. Cette constatation plaide vraiment pour la dé-ségrégation des écoles blanches à la lumière de la cohésion sociale espérée. Dans un avenir proche, de nouveaux résultats de recherches devront montrer si on a raison de diaboliser les écoles de concentration.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Gelijke onderwijskans ou Chances égales d’enseignement et Lokale overvleg platforms ou Plateformes de concertation locales. Voir à ce sujet l’article Pour plus d’égalité en page 3 de ce numéro.