Une part importante de la moindre réussite scolaire des élèves étrangers peut être imputée à leur situation socioéconomique. Mais des statistiques montrent qu’il demeure en sus un effet « ethnique ». Et que les processus qui conduisent ces élèves à l’échec scolaire diffèrent sans doute en partie des processus touchant les Belges.
_ Le niveau socioéconomique est calculé sur la base de variables rendant compte de revenus, d’emploi, de diplôme et de confort de logement. Dans l’étude, ce niveau socioéconomique a été évalué sur la base de 11 variables calculées à l’échelle du quartier de résidence plutôt que de la famille. Il s’agit de l’indice utilisé pour identifier les écoles pouvant bénéficier d’un encadrement différencié.
L’origine ethnique peut potentiellement renvoyer à des variables telles que la nationalité de l’élève, la nationalité de ses parents, son pays de naissance ou la langue parlée à la maison. Dans l’étude, seule la nationalité de l’enfant est mobilisable pour rendre compte de cette variable ethnique. [1]Voir par exemple : – Lafontaine et al (2003), Les compétences des jeunes de 15 ans en Communauté française en lecture, en mathématiques et en sciences. Résultats de l’enquête PISA, … Continue reading
On se demande souvent si la moins bonne réussite des élèves étrangers ou issus de l’immigration s’explique exclusivement par leur situation socioéconomique. Au cours des dernières années, cette question a notamment été traitée par des chercheurs belges sur la base des données PISA, et donc sur les seuls élèves âgés de 15 ans.
Dans le cadre d’une recherche financée par la Communauté française [2]Verhoeven M., Delvaux B, Druetz J., Rea A., Jacobs D., Devleeshouwer P., Herman B., Martiniello M. et Poncelet A. (2007), Analyse des parcours scolaires des jeunes d’origine ou de nationalité … Continue reading, j’ai pu travailler d’autres données : celles que l’administration de la Communauté française collecte chaque année à propos de chacun des élèves. Ces données ont l’avantage d’être exhaustives et de permettre le suivi les trajectoires scolaires sur plusieurs années. Leur principal inconvénient tient à la pauvreté des variables « ethniques » et « socioéconomiques ». Au plan ethnique, seule la nationalité de l’élève est encodée. Quant aux variables socioéconomiques, elles se limitent à l’indice socioéconomique moyen du quartier de résidence de l’élève. Cette base de données n’en reste pas moins intéressante.
L’étude en question s’est limitée aux Marocains, aux Turcs ainsi qu’aux ressortissants des pays des Grands Lacs (Afrique centrale) et de l’Europe de l’Est. Ces nationalités ne regroupent qu’un tiers des élèves étrangers de la Communauté française, mais elles concentrent une part importante des étrangers en situation précaire. La majorité des élèves ayant d’autres nationalités étrangères proviennent en effet de l’Union européenne.
Les statistiques sont claires : si nous nous limitons aux groupes de nationalités retenus pour notre étude, il y a de nettes différences en termes de parcours scolaire selon que l’élève est primo arrivant, étranger, naturalisé depuis moins d’un an ou Belge depuis au moins un an. Quel que soit l’indicateur retenu, les positions scolaires des primo-arrivants sont de loin les plus défavorables. Viennent ensuite successivement celles des étrangers, des récemment naturalisés et des Belges.
Ces différences apparaissent dans tous les indicateurs, et notamment dans celui qui mesure l’évolution au fil des âges de la proportion d’élèves s’écartant de la trajectoire « normale »[3]Qui équivaut, dans l’enseignement fondamental, à être ‘à l’heure’ ou en avance dans l’enseignement ordinaire, et, dans l’enseignement secondaire, à être ‘à l’heure’ ou en … Continue reading . Comme le montre le graphique, cette proportion décroit logiquement au fil des âges, mais la décroissance est plus rapide chez les naturalisés récents et les étrangers, ce qui éloigne progressivement leur situation de celle des Belges. Naturalisés et étrangers se différencient également entre eux, les premiers affichant un taux plus élevé de trajectoires « normales ».
La réussite scolaire dépend donc de la phase où se trouve l’élève entre l’arrivée en Belgique et l’éventuelle naturalisation. Ce qui ne veut pas dire que c’est la naturalisation qui, magiquement, ferait réussir les élèves. Sans doute l’explication est-elle à chercher dans le fait que les élèves naturalisés et leurs familles ont, dès avant de devenir belges, un profil différent du celui des étrangers qui n’optent pas pour la nationalité belge.
Des différences non négligeables existent aussi entre les nationalités. Parmi les nationalités que nous avons étudiées, les Polonais, ainsi que les Rwandais et Burundais, occupent les positions les plus favorables. À l’autre bout de la distribution figurent les Turcs, les ressortissants de l’ex-Yougoslavie et les Européens de l’Est membres de l’Union européenne (hors Polonais). Les Congolais, les ressortissants de l’ex-URSS et les Marocains sont dans une position intermédiaire, mais plus proche des « mal classés » que des « bien classés ». Les différences entre nationalités ne se limitent d’ailleurs pas à une différence de taux de réussite : l’échec ou le retard scolaire débouche plus souvent sur le redoublement quand l’élève provient des pays de l’Est, alors que les Marocains ou les Turcs « choisissent » plus souvent la réorientation.
Il est également incontestable que les étrangers sont concentrés dans les quartiers les plus défavorisés. Si l’on regroupe les quartiers en dix catégories selon leur indice socioéconomique, les Belges ne représentent que 77 % des élèves résidant dans les quartiers du premier décile, les plus défavorisés. Dans ces quartiers, les nationalités faisant l’objet de l’étude représentent 14 % des effectifs. Ce taux décroit très nettement quand on passe du 1er au 2e décile et de plus en plus lentement ensuite (88 % de Belges dans le 2e décile et toujours plus de 90 % dans les autres déciles). Au total, plus de 90 % des élèves ayant l’une des nationalités étudiées résident dans les quartiers des 5 premiers déciles.
Ces situations diffèrent cependant selon le pays d’origine. Trois profils coexistent. (1) Les Turcs et les Marocains sont ceux qui subissent le plus la ségrégation puisqu’environ 70 % d’entre eux résident dans les quarter des 1er et 2e déciles. (2) Les ressortissants de l’ex-Yougoslavie sont aussi concentrés dans de tels quartiers, mais dans une moindre proportion (environ 50 %). (3) Les Rwandais, Burundais et Congolais, ainsi que les Polonais et les ressortissants de l’ex-URSS sont plus uniformément répartis entre les différentes catégories de quartiers, même si environ 35 % d’entre résident dans les quartiers des 1er et 2e déciles.
Nationalité et variables socioéconomiques
Ces constats une fois reliés, on est tenté de déduire que les différences de réussite entre Belges et étrangers ou entre catégories d’étrangers proviennent de variables socioéconomiques plus qu’ethniques. On sait en effet qu’il y a une très nette corrélation entre les caractéristiques socioéconomiques du quartier de résidence et la réussite scolaire (puisque, par exemple, à 14 ans, 80 % des élèves résidant dans les quartiers du décile supérieur sont dans une situation scolaire « normale » contre seulement 33 % de ceux résidant dans les quartiers du décile le plus défavorisé).
Une manière de vérifier cette hypothèse consiste à mesurer si les taux de réussite scolaire de Belges et d’étrangers habitant dans le même type de quartier se différencient. Une telle analyse doit être faite séparément par année d’étude, par nationalité et par étape dans le parcours de nationalité, ce qui, pour des raisons de taille d’effectif, limite les possibilités d’analyse au 1er décile et à trois nationalités ou groupes de nationalités. Le tableau, qui permet de comparer le taux de réussite des Belges à celui des étrangers ou naturalisés récents, contient une majorité de chiffres négatifs, ce qui signifie que les taux de réussite des étrangers sont généralement inférieurs à ceux des Belges habitant dans le même type de quartier de résidence. Les écarts restent cependant relativement faibles (inférieurs à 5 %), sauf exception.
Écart entre le taux de réussite de quelques catégories d’étrangers et le taux de réussite des Belges (élèves résidant dans les quartiers les plus défavorisés)
Réussite = passage à une année d’étude supérieure.
Bien que ces résultats ne soient pas extrapolables aux autres nationalités et aux autres déciles, ils confortent l’hypothèse que la variable « nationalité » ne se dissout pas entièrement dans une variable de type socioéconomique, laquelle demeure cependant déterminante. Je rejoins en cela certains auteurs (Jacobs et al, 2009) qui soulignent l’existence d’un effet ajouté de la variable ethnique et indiquent qu’en neutralisant « le statut socioéconomique, la langue parlée à la maison et le type d’enseignement, les élèves issus de l’immigration se trouvent toujours dans une situation défavorable » (Jacobs et al, 2009, 85).
Cependant, l’explication de cet écart n’est pas nécessairement à trouver dans les caractéristiques ethniques au sens strict. Sur ce point également, je rejoins l’interprétation que l’équipe de l’ULB fait de ce lien statistique. « Une réflexion doit être ouverte sur les effets probables de facteurs liés à l’origine ethnique et nationale comme source d’inégalités, tout en écartant les arguments non fondés, qu’ils aient trait à la biologie (“inférieurs”) ou à l’incompatibilité culturelle (“trop différents pour s’intégrer”) » (Jacobs et al, 2009, 85).
Il convient aussi de ne pas limiter la réflexion à une mesure de l’impact relatif des variables ethniques et sociales. Certains auteurs soulignent en effet que la faiblesse ou l’absence de différence statistique significative entre autochtones et immigrés ne signifie pas que la variable ne joue aucun rôle, mais qu’elle agit davantage sur la nature des processus que sur l’ampleur de l’impact que cette variable a sur la réussite scolaire (Connely, 2007).
Notes de bas de page
↑1 | Voir par exemple : – Lafontaine et al (2003), Les compétences des jeunes de 15 ans en Communauté française en lecture, en mathématiques et en sciences. Résultats de l’enquête PISA, Cahiers du Service de pédagogie expérimentale, 13-14. – Hirtt N. (2006), PISA 2003 et les mauvais résultats des élèves issus de l’immigration. Handicap culturel, mauvaise intégration ou ségrégation sociale ? – Jacobs et al (2009), L’ascenseur social est en panne. Les performances des élèves issus de l’immigration en Communauté française et en Communauté flamande, Fondation Roi Baudouin. |
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↑2 | Verhoeven M., Delvaux B, Druetz J., Rea A., Jacobs D., Devleeshouwer P., Herman B., Martiniello M. et Poncelet A. (2007), Analyse des parcours scolaires des jeunes d’origine ou de nationalité étrangère en Communauté française. |
↑3 | Qui équivaut, dans l’enseignement fondamental, à être ‘à l’heure’ ou en avance dans l’enseignement ordinaire, et, dans l’enseignement secondaire, à être ‘à l’heure’ ou en avance dans les filières de l’enseignement ordinaire habilitées à délivrer le CESS en 6e année, c’est-à-dire le général, le technique de transition et le technique de qualification. |