« On va lire (pour) quoi ? »

Littérature avec petit l, grand L… Comment choisir les livres à (faire) lire pour réaliser un TFE ?

En 7e professionnelle C1, les élèves nous arrivent avec des motivations assez semblables (s’orienter vers « autre chose » que ce à quoi leur option les a préparés), mais des parcours très différents. On peut ainsi réunir, dans une même classe, des pâtissiers, des mécaniciens, des puéricultrices, des électriciens, des vendeurs-étalagistes, des auxiliaires familiales, des soudeurs… et parfois de jeunes mamans qui reprennent des études après quelques années d’interruption.

Les livres, on n’aime pas

Durant cette année, les élèves ont plus de vingt heures par semaine de cours généraux, ce qui est pour eux un fameux défi, car cela suppose, autant pour le travail sur leur projet personnel que pour la problématique choisie pour leur travail de fin d’étude (TFE), de prendre le temps nécessaire pour s’informer, confronter des infos avant de donner un avis et d’apprendre à exprimer cet avis de façon respectueuse et nuancée. Ce qui implique de longues heures d’un travail « qui casse la tête », de lecture et d’écriture, activités dans lesquelles, souvent, ils se sentent peu à l’aise, « carrément nuls » disent certains.

Nous commençons donc l’année par quelques activités d’écriture et de lecture qui nous permettent d’échanger sur les pratiques des uns et des autres, de réfléchir ensemble sur tout ce qu’ils ont appris déjà, tout ce qu’ils savent écrire et lire, ce qu’ils aiment écrire et lire (sms, mails, messages et commentaires sur Facebook, Métro, les magazines people ou sportifs…). Ce qu’ils pensent devoir apprendre encore. Ce qui les tente.

On leur parle du TFE[1]La 7e C est une année de formation générale, sans option. Elle se construit autour du projet des élèves, projet de vie et projet de recherche. Le projet de recherche fait l’objet d’un … Continue reading et on leur dit qu’ils devront beaucoup écrire et réécrire pour corriger leurs textes, compléter et nuancer leur avis au fur et à mesure de la recherche, ce qui, de façon surprenante, semble rarement les inquiéter. Par contre, tout de suite surgit la question « Et on va beaucoup lire ? », immédiatement suivie de « Parce que lire des livres, ça, on n’aime pas ! »

Pourtant, en discutant, nous nous rendons compte que des livres, ils en ont lu (presque toujours « pour l’école »)… et qu’ils s’en souviennent ! Le plus souvent parce que cette lecture a été accompagnée, partagée avec le groupe, parfois avec d’autres lecteurs et/ou l’auteur en personne.

Les livres qui « les ont touchés » sont des témoignages, des histoires qui leur ressemblent ou qui (r)appellent leur vécu (Le livre de Fatma, La mémoire trouée, Cher inconnu, Mutilée, Il faut sauver Saïd , Lettres de l’intérieur, La fille de Shabanu…). Des livres qui dénoncent ce qui les révolte ou qui les ont aidés à comprendre ce qui, dans notre société, leur pose question (Sobibor, Maestro, Junk, Mamie mémoire, Libérez mon frère, J’habite en bas de chez vous…). Pour la plupart, des livres de littérature de jeunesse.

Une différence qualitative

Mes collègues et moi, nous apprécions autant cette littérature de jeunesse que la Littérature « avec un grand L ». Comme l’écrit Valérie ZENATTI : « La littérature dite “de jeunesse” est un espace de création où des écrivains (…) interrogent la perception si singulière que les enfants et les adolescents ont de la vie et du monde, en s’adressant à leur intelligence et à leur sensibilité, à leur humour – qui fait défaut à tant d’adultes – et à leur curiosité. Avec les mêmes outils que les autres écrivains et poètes (les mots, simplement les mots, sans sucre, sans guimauve, sans petits nœuds roses), ils s’emparent des sujets éternels que sont l’amour, la mort, la guerre, l’amitié, l’ambition, la trahison, la perte, le rêve, pour tenter d’en cerner les contours avec une voix qui cherche à retrouver l’intensité des premiers regards, des premières émotions et du “temps perdu”. Nier cela, c’est nier aux enfants et aux adolescents la place et le respect qui leur reviennent, auxquels ils ont tout autant droit que vous ou moi. Quelle différence alors avec les auteurs “pour adultes” ?, pourriez-vous rétorquer. Eh bien la même que celle qui existe entre une sonate, un concerto et un opéra : jamais qualitative, toujours formelle. »

Pour nous, la littérature de jeunesse offre une autre porte d’entrée, un autre chemin pour poser les mêmes questions. Et une façon souvent plus proche des élèves de les traiter. Ou plus interpellante. Par exemple, quand Susan FISHER STAMPLE, américaine, écrit Afghanes et raconte en je l’histoire de Najmah la musulmane, celle de Nusrat l’Américaine devenue musulmane par amour, le questionnement des élèves va bien au-delà de l’histoire…

C’est donc avec ce bagage que nous cheminons en 7e vers d’autres lectures : articles de presse, récits, témoignages, nouvelles et romans. En effet, pour le TFE, les élèves choisissent un sujet et définissent une problématique. Il s’agit ensuite, en confrontant des documents de sources différentes, de se construire un avis sur la question de départ. L’un des documents imposés est un récit, un témoignage ou une fiction. Peu importe en effet que l’histoire soit réelle ou pas, l’important pour nous est qu’elle permette à l’élève de s’approprier un aspect de la problématique traitée.

Des recherches, des choix

Pour qu’ils puissent choisir ce livre, nous les emmenons en bibliothèque et en librairie, où nous leur présentons le rayon des livres de poche et certains auteurs qui abordent les problématiques qui les intéressent : Laurent GAUDE, Annie ERNAUX, Noëlle CHATELET… De même, avec la collaboration des libraires et des bibliothécaires, nous leur présentons les collections et auteurs de littérature de jeunesse qui pourraient leur être utiles : Medium (École des Loisirs), Scripto (Gallimard), Do ADo (Rouergue), les éditions Thierry MAGNIER, Mijade, Exprim’…

Le plus souvent, ce sont ces livres qu’ils choisissent. Parfois parce que ce sont de beaux objets, ceux de la collection Scripto entre autres. Ensuite, et surtout, parce qu’ils sont écrits pour eux et qu’ils s’y (re)trouvent.

Certains collègues ou amis enseignants interrogent fortement ces choix. En 7e, quand nous sommes supposés préparer ces jeunes, entre autres, à des études supérieures, ne faudrait-il pas en effet leur donner à lire des textes (re)connus, classés « littérature pour adultes » ? Les élèves eux-mêmes parfois nous interpellent : la littérature de jeunesse, c’est pas seulement pour les petits ou ceux qui ne savent pas lire ?

Aux uns et aux autres, nous répondons que pour nous, les critères de sélection sont autres. Le plus important est que le livre lu permette à l’élève d’avancer dans sa réflexion. Si l’élève est intéressé par le titre et la couverture d’un livre, ce qui importe n’est pas la maison d’édition ni la renommée de l’auteur, mais bien qu’il vérifie que le livre traite non seulement le sujet qu’il a choisi, mais aussi la question qu’il se pose sur ce sujet. Si, après avoir lu la 4e de couverture et discuté avec la libraire ou la bibliothécaire, il est convaincu, il faut encore que ce livre soit compréhensible, que l’élève puisse avancer avec plaisir dans cette lecture, que ce livre « le touche », l’interpelle.

Des découvertes, des questionnements

Yassin, dans son travail, cherchait à comprendre qui sont les sans-papiers qui arrivent chez nous, pourquoi ils viennent et surtout pourquoi ils veulent rester alors qu’il leur est difficile d’obtenir un statut et qu’ils sont souvent maltraités. Après une première recherche, il hésitait entre Eldorado de Laurent GAUDE et Tu peux pas rester là de Jean-Paul NOZIERE. Il a finalement choisi le livre de Jean-Paul NOZIERE, plus compréhensible pour lui. Sans doute le livre de Laurent GAUDE est-il plus complexe, plus complet, mais le livre choisi lui a permis de découvrir le quotidien d’une travailleuse clandestine et de sa fille en France et il a pu répondre à certaines de ses questions. Le livre en a suscité d’autres, ce qui lui a donné l’envie d’aller au CIRE poser ces questions, de rencontrer des réfugiés pour confronter leur vécu et ce qu’il avait lu. C’est ce cheminement qui pour nous justifie le choix du livre.

Parfois aussi, les élèves choisissent des problématiques sur lesquelles seuls les écrivains de littérature de jeunesse, semble-t-il, ont écrit des récits. Nabil s’interrogeait sur l’influence du hip-hop sur les jeunes : engendre-t-il la violence ou au contraire aide-t-il à la dépasser, à exprimer autrement ce qui révolte ? Après de longues recherches, nous découvrons avec lui la collection Exprim’ et le livre Hip-hop connexion. Bouchra, elle, nous fera découvrir Elliot, sur la question de la violence entre jeunes à l’école, aujourd’hui.

Permettre de lire des romans de littérature de jeunesse est donc un choix guidé par la démarche du TFE et les difficultés de lecture de certains de nos élèves. Un choix qui, chaque année, nous fait découvrir de petites perles de littérature que, sans eux, nous n’aurions sans doute jamais lues. Qui nous a fait découvrir aussi des auteurs comme Jeanne BENAMEUR ou Valérie ZENATTI.
Et qui nous conduit vers d’autres réflexions. Souvent, en effet, les élèves ont envie de se raconter ce qu’ils ont lu, de partager ce qu’ils ont ressenti, apprécié. Ces échanges suscitent bien des interrogations : c’est qui les écrivains ? Pourquoi on dit que c’est un métier ? Il faut vraiment travailler ? _ Est-ce que tout le monde peut écrire un livre ? Ça sert à quoi d’écrire des romans ? Quand des livres reçoivent des prix, c’est qui qui décide ? Questions qui nous conduisent, avec eux et en équipe de profs, à réfléchir sur nos choix de lectures et d’écrivains, les modes littéraires, la notion même de culture générale et donc de culture littéraire, ce qu’elle signifie pour nos élèves et la place que nous lui donnons, la littérature comme institution, mais aussi patrimoine… tant de pistes passionnantes à explorer.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 La 7e C est une année de formation générale, sans option. Elle se construit autour du projet des élèves, projet de vie et projet de recherche. Le projet de recherche fait l’objet d’un travail de fin d’études (TFE), dont l’objectif pour l’élève est de se construire un avis sur une problématique qui l’interpelle dans la société d’aujourd’hui.