Où en sommes-nous ?

J’hésite entre vous parler d’une école en ISE 1 qui va vraiment mal, de la réforme de la formation initiale qui n’en est nulle part, ou encore de la formation continuée, ou de vous (re)parler du rôle des PO et des syndicats sans la mobilisation desquels le Pacte ne pourra pas aboutir… Ce sera un peu de tout ça !

Des écoles dont l’indice socioéconomique est inférieur à 5 (ISE < 5) sont totalement dans la merde. La question ne porte pas sur l’amélioration de leurs pratiques et de leurs résultats, mais sur la restauration des conditions pour y enseigner : faire qu’il y ait des profs pour que la classe se tienne et que les élèves apprennent.
Le problème, c’est le silence. Une chape de plomb qui pousse à cacher sa misère pour ne pas perdre d’élèves.

Délit d’insuffisance de solidarité

Une école primaire bruxelloise en ISE 1 est dans de telles difficultés avec son équipe que passer son chemin sans réagir est de la non-assistance à personne en danger.
Pourquoi un système si opaque ? Pour protéger qui ? Qui sait ce qui s’y passe ? Probablement pas les parents des enfants qui y sont ? Ces parents sont censés donner leur avis sur le fonctionnement de l’école via l’enquête-miroir, mais ils n’ont pas accès aux indicateurs qui objectivent l’état de l’école : le nombre de profs qui manquent, les heures d’absence, les résultats des élèves… Pourquoi l’équipe éducative ne se mobilise-t-elle pas avec eux, pour interpeler la direction et les syndicats ? Les syndicats sont-ils prêts à soutenir une demande de solidarité vers d’autres équipes enseignantes du même PO plus préservées ? Qu’est-ce qu’ils attendent pour mettre ce PO en demeure de réagir ?
Il y a ce qui nous est donné à voir, au détour du récit d’un enseignant ou d’un parent qui se sent suffisamment en confiance pour parler, et le reste du système scolaire : combien d’écoles sont dans ce type de situation avec des enfants en début de scolarité qui n’ont pas d’instituteur pendant plusieurs mois ? Impossible à estimer. Les chiffres ne sont pas accessibles et les équipes éducatives sont discrètes. Seul rempart contre la mouise : la solidarité et l’action collective !

Que faire de cette réalité ?

La ministre fait ce qu’elle a à faire : elle soutient et remercie l’ensemble de la communauté éducative qui travaille dans des conditions difficiles. Elle ne peut pas différencier les écoles dans son message public. Or, le terrain n’est pas homogène. Et le temps passe. Cela déresponsabilise les pouvoirs organisateurs et les organisations syndicales qui connaissent ces situations fracassées. Que font-ils à l’intérieur des gros PO et des fédérations de PO ? Chacun sa route ou la conscience d’une nécessaire solidarité est-elle en train de se faire jour ?
Qu’est-ce qui est dit et qu’est-ce qui est fait par rapport à cette réalité dans les organisations syndicales ? Où est la solidarité entre écoles favorisées et écoles défavorisées ? Comment la stimuler et se mobiliser pour exiger des PO qu’ils s’engagent pour la réduction des inégalités, entre leurs écoles-vitrines et leurs écoles-ghettos de pauvres. Que font certains PO communaux, à part aiguiller discrètement les parents vers la catégorie d’école qui leur convient pour préserver l’entre-soi ?
Les Plans de pilotage et les écoles en dispositif d’ajustement (EDA) devraient, à terme, pouvoir influer sur ces questions. Si tout le monde avance dans la même direction, si les DCO osent y aller respectueusement, mais franchement dans leurs interpellations, et si les fédérations de PO et les syndicats s’engagent et ne font pas obstruction.

Les heures de FLA, un flop ?

La prise en compte de la maitrise du français langue d’apprentissage est une avancée indispensable, mais fallait-il des heures affectées à un enseignant spécifique ? Il n’y a pas encore de professeurs formés en FLA et, surtout, il y a pénurie. N’est-il pas plus efficace de sensibiliser l’ensemble des équipes éducatives du fondamental au FLA, en mettant l’attention sur les équipes éducatives des écoles à ISE <5, puisque ce sont ces enfants-là qui sont pénalisés si l’école n’enseigne pas le niveau et les spécificités de langue qu’elle exige ?

La réforme de la FIE s’enlise tristement

Toujours rien et il serait question de la postposer alors que le Pacte avance, que le tronc commun démarre et qu’on a du mal à voir où les préoccupations centrales et les changements indispensables en termes de posture et de pratique pédagogique des futurs enseignants sont rencontrés dans les projets de la ministre. Est-il besoin d’expliquer pourquoi le seul changement significatif de concentrer les stages sur la dernière année de formation est une fausse bonne idée ?
Cela plaide pour en finir avec cette déconnexion entre la responsabilité politique de l’enseignement obligatoire et celle de la formation initiale des enseignants de cet enseignant obligatoire : est-ce que ça ne devrait pas être porté par un seul responsable politique ?

Et la réforme de la FC ?

Elle va être mise sur le métier, mais pour aboutir il faudra du temps et les équipes pédagogiques devront être libérées pour travailler collectivement sur leurs difficultés. Les réformes précédentes ont clairement pêché de ce côté-là : du côté de la prise en compte du temps et du soutien nécessaires aux équipes pour qu’elles se mettent en mouvement, se questionnent et commencent à coconstruire d’autres pratiques pédagogiques.
N’est-il pas temps d’entendre et de se rappeler que l’école n’est pas seule ? Que le mouvement associatif, le monde culturel et les parents peuvent se mobiliser pour faire des activités avec les enfants et donner du temps de formation collective aux enseignants ?

Des TRACeS qui durent

Dans l’article « Pourquoi ça rate[1]Pour l’intégralité des interviews croisées de Pierre Verbeeren, Vincent Dupriez et Roger Godet par Noëlle De Smet, publiées dans le TRACeS 225 « Spécial PACTE » sous l’intitulé … Continue reading», le ça étant toutes les grandes tentatives de réforme de notre système scolaire pour réduire les inégalités, Roger Godet concluait ainsi :
Sur le changement et les enseignants, il ne se fera pas sans eux.
D’autres conditions sont requises :
– avoir une volonté politique suffisamment forte et une majorité progressiste pour la porter ;
– avoir un rapport de forces qui se construise dans la société notamment via l’engagement d’intellectuels qui, prenant conscience des enjeux de société actuels au niveau de l’enseignement, s’engagent et tiennent une parole publique forte ;
– soutenir et accompagner les équipes pédagogiques afin qu’elles reprennent confiance et sortent de la dévalorisation douloureuse provoquée par le fait de ne pas arriver à ce que les élèves apprennent ;
– porter un travail de réflexion sur la didactique avec les équipes pédagogiques qui n’ont pas besoin de « coaching-gourou » ni qu’on ne leur dise ce qu’elles doivent faire, mais qui ne s’en sortiront pas non plus toutes seules.
Il termine par cette question fondamentale : est-il possible de créer plus d’égalité dans une école organisée selon un mode libéral ?
Ce qui nous frappe, c’est la difficulté d’avoir une image juste de l’état du terrain et des réformes entamées. Et donc, lecteurs de TRACeS, tous vos échos sont les très bienvenus[2]Écrivez-nous à traces@changement-egalite.be.
Ensemble, nous pouvons changer ce système scolaire.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Pour l’intégralité des interviews croisées de Pierre Verbeeren, Vincent Dupriez et Roger Godet par Noëlle De Smet, publiées dans le TRACeS 225 « Spécial PACTE » sous l’intitulé « Pourquoi ça rate » ? https://bit.ly/3m0PxmB
2 Écrivez-nous à traces@changement-egalite.be