Une classe de 5e, une classe de 6e. Deux titulaires, Florence et Bernadette. Chacune, nous vivons avec le même groupe pendant deux années depuis le début de la 5e jusqu’en fin de 6e, Quand Florence a les enfants de 5e, Bernadette a les 6e, et vice et versa.
Nos classes sont proches l’une en face de l’autre, séparées par le local informatique. Depuis sept ans, nous collaborons. Quatre heures par semaine, nous travaillons à deux en concertation. Nous animons des activités artistiques où les enfants de 5e et 6e sont regroupés. Très souvent, nous passons d’une classe à l’autre pour échanger, montrer, partager une expérience intéressante, un travail d’élève ou encore pour demander un conseil à propos d’un problème qu’on n’arrive pas à résoudre.
Et chaque fois, nous ressentons l’ambiance paisible qui y règne et que nous apprécions l’une et l’autre : la quiétude dans le travail, le respect des uns et des autres. Et de plus en plus, nous vient l’envie de laisser nos portes ouvertes, de travailler ensemble, construire des démarches d’apprentissage, lancer des défis, l’envie d’être à deux pour réagir au quotidien, ne plus être seule dans sa classe.
Fin septembre 2004, lors d’une concertation, nous envisageons de supprimer les cloisons de nos classes et de rassembler les cinquante enfants dans un même lieu en septembre 2005. Commence alors une longue réflexion.
Nous nous sommes bien vite rendu compte qu’il est inimaginable de retirer les cloisons dans le pavillon où nous sommes installés, car entre nos deux classes, il y a un local informatique bien organisé pour toute l’école et indéplaçable. Une seule possibilité semble réalisable : occuper le local sieste et le local garderie qui sont séparés par une cloison amovible. Seulement, voilà, ces locaux viennent d’être réaménagés par les éducatrices et le service de nettoyage.
Première démarche : organiser une rencontre avec les deux éducatrices et une autre avec les dames du nettoyage. Tout cela avant d’en parler au directeur et à l’équipe pédagogique. Nous devons d’abord savoir si ce projet est « physiquement » réalisable.
Enthousiasme de la part des éducatrices, ravies d’avoir deux locaux un peu retirés des grands passages dans l’école, et de pouvoir en faire des lieux spécifiques pour l’accueil des tout-petits à la sieste et l’accueil des enfants en dehors du temps scolaire. Aucun problème non plus pour les dames du nettoyage, très touchées par le fait qu’on leur demande leur avis avant de l’annoncer au directeur et à l’équipe pédagogique.
Il est évident pour nous que si ces personnes n’envisageaient pas d’occuper nos locaux et de remettre leur organisation et rangement en question, jamais nous n’aurions pu imaginer ce projet. Il n’aurait été alors qu’un rêve qui serait resté là, dans nos têtes.
Notre première étape est franchie, nous ne rêvons plus. Nous pouvons continuer notre chemin et aller à la rencontre d’enseignants qui vivent cette expérience au quotidien. Dans le cadre d’un compagnonnage, nous avons été visiter une école à Schaerbeek le 25 octobre et une autre à Liège, le 8 novembre.
Deux lieux où les enseignants ont enlevé les cloisons et travaillent à deux avec une quarantaine d’enfants. L’occasion de voir la disposition et l’organisation de la classe, de discuter, réfléchir aux points positifs et négatifs de ce projet.
Nous sortons de ces deux journées avec des éléments plus précis encore sur l’organisation pratique des choses : l’emplacement des manteaux, le rangement des cartables, des classeurs, des cahiers, des livres, tout ce qui rend le déplacement possible et évite la ruée de cinquante enfants vers un même endroit. Il faut dispatcher les lieux de rangement dans le local. On ne se sentira bien que si cet espace commun respire, est aéré, que chacun y trouve sa place. Si on s’y sent bien, on pourra travailler sereinement.
Nous élaborons, en concertation, une grille d’observations suite à nos visites : les choses positives et à retenir et les choses qu’on ne voudrait surement pas dans notre classe. Cette grille nous aide à fixer nos points communs et nos points forts pour construire ce projet, que nous avons nommé P56, Primaire 5e/6e.
Jeudi 16 décembre. Concertation avec le directeur. Nous lui parlons de notre rêve. Nous arrivons à la réunion avec un plan à l’échelle de la future classe, l’aménagement des locaux et l’organisation des rangements. Tout est consigné par écrit : le pourquoi du projet, notre motivation personnelle, nos observations lors de nos deux visites d’école, les contacts avec les éducatrices et les dames du nettoyage, les travaux à envisager pour l’aménagement du local (installation de portemanteaux, déplacement d’une toilette adaptée aux grands, déplacement d’un tableau, prises de courant à prévoir…) et d’achats éventuels (étagère TV, écran dérouleur, étagère pour les rangements, des casiers en plastique…). Nous lui expliquons ce que nous allons mettre en place pour préparer ce projet afin qu’il soit opérationnel à la rentrée de septembre : nos préparations en concertation, une rencontre avec l’inspectrice pour avoir son avis, une réunion des parents concernés au mois d’avril, une journée d’accueil des futurs enfants au mois de juin.
Le directeur reçoit notre projet positivement et nous pose des questions pertinentes auxquelles nous n’avions pas encore de réponse. Qui sera responsable de qui ? Qui sera la personne de référence pour chacun des enfants, pour chacun des parents ? Comment organiserez-vous les rencontres individuelles avec les parents et leur enfant, assisterez-vous à deux aux cinquante rencontres de vingt minutes chacune ? C’est énorme ! C’est déjà difficile de garantir une place à vingt-cinq enfants, comment allez-vous faire pour garantir cette place à chacun dans un groupe à cinquante ?
Plein de nouveaux points inscrits sur une feuille, à discuter, à réfléchir en concertation. Tout cela nous fait avancer et consolide notre projet.
Le lendemain, 17 décembre. Nous annonçons le projet P56 au conseil des professeurs. Enthousiasme de l’équipe de voir une nouvelle dynamique s’installer dans l’école, encouragement des collègues et partage de la richesse de travailler à deux. On a besoin de l’autre pour fonctionner : Bernadette et Florence au sein de la classe avec tous les enfants, mais aussi Bernadette et Florence au sein d’une équipe pédagogique avec le personnel extérieur, les éducatrices, les dames du nettoyage, les professeurs des cours spéciaux : cours philosophiques, néerlandais, gymnastique.
Que c’est bon de pouvoir partager cette nouvelle perspective de travail en équipe et de sentir la confiance que les collègues nous font.
Vendredi 4 mars à 11heures. Les titulaires des enfants de 4e et Bernadette, en 5e, lisent aux enfants la lettre adressée à leurs parents pour annoncer la rentrée P56. Florence et Bernadette accueillent ensuite tous ces enfants dans une classe pour leur raconter comment est né ce projet et répondre à leurs questions et inquiétudes. J’ai peur qu’il y ait trop de bruit ! Où on va ranger ses affaires, il y aura trop d’enfants aux casiers, on va se bousculer tout le temps ! Où on va mettre les manteaux ? Chez qui on doit aller si on a un problème ? Nous prenons le temps de répondre à toutes leurs questions. Au fur et à mesure de cette rencontre, nous sentons les enfants plus sécurisés. Ils sont rassurés. Avant qu’ils ne retournent dans leur classe, nous faisons un tour de parole afin qu’ils puissent chacun exprimer ce qu’ils ressentent après cette annonce. L’enthousiasme et l’envie d’être vite le 1er septembre est partagé. Florence et Bernadette sont soulagées. Un énorme pas est franchi, P56 est en route. On rencontre les parents le 24 mars.