« Notre établissement n’est pas qu’une boite à cours », disait fièrement un directeur en présentant un spectacle monté par des profs et joué par des élèves. Comment percevez-vous ce propos dans le contexte actuel de votre boite à vous ?
L’école a toujours été un lieu d’acquisition de savoirs. Depuis le décret mission de l’enseignement fondamental et secondaire de la Fédération Wallonie-Bruxelles du 24 juillet 1997, c’est bien plus, puisqu’il s’agit « d’amener tous les élèves à s’approprier des savoirs et à acquérir des compétences qui les rendent aptes à apprendre toute leur vie et à prendre une place active dans la vie économique, sociale et culturelle » (article 6, 2°).
Pour beaucoup, l’école a servi de tremplin social. Aujourd’hui encore, il faut « assurer à tous les élèves des chances d’émancipation sociale » (article 6, 4°), mais l’ascenseur est en panne.
« Préparer tous les élèves à être des citoyens responsables, capables de contribuer au développement d’une société démocratique, solidaire, pluraliste et ouverte aux autres cultures » (article 6, 3°) : c’est aussi l’affaire de l’école. Le cannabis, l’alcool, le tabac, les déchets, la sexualité, l’effet de serre, le Code de la route, les réflexes de conduite passive, c’est encore pour l’école, bonne à tout faire. « Pourquoi les élèves ne pourraient-ils pas s’épanouir au travers des cours ? »Missions impossibles, contradictoires et trop pesantes…
Un souffle de légèreté, un appel d’air, un vent de liberté, un parfum d’âme… Le législateur de 1997 y a pensé : « promouvoir la confiance en soi et le développement de la personne de chacun des élèves » (article 6, 4°). Au quotidien, cela signifie : in muros, des informations, des témoignages, des animations, des conférences ; et extras muros, des expositions, des excursions, du théâtre, du cinéma, des journées sportives, des retraites et des voyages. C’est le prix à payer, au sens propre (car tout cela se répercute sur le budget des familles) comme au sens figuré pour contribuer à l’É-P-A-N-O-U-I-S-S-E-M-E-N-T personnel du jeune.
Pourquoi cette mission d’éclosion des jeunes pousses est-elle en grande partie externalisée ? Les animations se font la plupart du temps hors école et quand c’est à l’intérieur, elles reposent souvent sur des personnes ressources extérieures. Les enseignants sont-ils des gros lourds, incapables de voir au-delà de leur cours et braqués sur leurs matières ? Sont-ils trop heureux de foutre le camp ou d’échapper à une heure de cours ? Se sentent-ils incapables ou moins bien préparés que d’autres pour remplir ces fonctions ? Pourquoi, par exemple, offrir une plage de deux heures à un fonctionnaire européen pour présenter une vision édulcorée de ses institutions dans l’indifférence et le brouhaha général, tandis que le prof de géographie ou de sciences économiques peut proposer une approche plus distanciée et plus critique ?
Comment sont exploitées et articulées aux cours, toutes ces activités supposées faciliter la floraison des personnalités ? Quel est le vrai travail des élèves ? Dépasse-t-on souvent le stade de l’information ? Est-ce vraiment rentable, par exemple, de consacrer une journée entière pour partir de Liège et se rendre en train à Bruxelles avec tous les élèves de sixième pour visiter, durant une heure trente, une exposition à Tour & Taxis consacrée aux Amerloques. Quel est le pourcentage d’élèves qui ont eu l’occasion de poursuivre le travail en classe avec leur professeur ?
A-t-on bien mesuré quels effets ont sur le travail et la concentration des élèves, ces occupations sensées les élever à la plénitude ? Qu’elles soient internes ou externes, ne provoquent-elles pas une certaine désorganisation, des cassures dans le rythme de travail, la perte d’heures de cours et la déconcentration de pas mal d’élèves en difficulté ? Quand une demi-classe, par exemple, part à Zierikzee dans le cadre du cours de néerlandais, que fait-on avec l’autre moitié de la classe ? On fait de la remédiation pour tous, on avance ou on fait tout autre chose ? Et ceux qui sont partis doivent-ils récupérer les matières vues durant leur absence ?
Un baladeur MP3 sur une oreille, un téléphone portable sur l’autre ; l’œil droit sur la tablette pour visualiser un SMS tandis que le gauche mâte une personnalité fashion non loin de là ; une main qui frappe un texto tandis que l’autre va et vient dans la chevelure ; un pied dedans, un pied nowhere ; c’est le profil du jeune assis sur nos bancs d’école. Hyper booké, il garde bien peu d’espace mental pour laisser le temps au temps, la place à l’ennui et la possibilité de maturations lentes et profondes des concepts abordés aux cours. À ces sollicitations multiples, l’école doit-elle encore ajouter tout et le reste ?
De nombreuses études et ouvrages montrent que la durée réelle consacrée aux apprentissages qui se déroulent dans une classe normale avec l’encadrement de maitres a un impact sur le rendement de l’enseignement. Mieux que cela, ce temps d’exposition semble être un facteur parmi les plus importants.
Pourquoi les élèves ne pourraient-ils pas s’épanouir au travers des cours ? Si la vie est au centre des programmes, si l’élève est à la tâche durant les cours, si les enseignants sont là pour accompagner la démarche des apprenants plutôt que pour gaver et sanctionner, si l’établissement scolaire fonctionne de façon démocratique, si l’école tente de développer l’autonomie des enfants et des jeunes, n’atteint-on pas la quintessence en matière de mission ?