Lorsque dans les années 1985-2000, des élèves ne connaissant pas le français arrivaient dans les écoles, la débrouille et le bricolage (parfois très beau mais à quel prix pour les enseignants…) faisaient office d’offre d’apprentissage, et cela, sans structure adaptée. Aujourd’hui, des classes-passerelles ont été créées.
Ces enfants en âge du secondaire étaient obligés de passer par la 1re accueil ou la 3e professionnelle. En primaire, des heures d’adaptation à la langue et du soutien, quasi bénévole, offert par les Écoles de devoirs, permettaient à des écoliers d’avancer, mais les envois dans l’enseignement spécial n’étaient pas rares.
Aujourd’hui, les classes-passerelles sont donc une avancée, mais ne sont pas suffisantes. Il reste une série de problèmes à traiter.
Commençons par ceux qui ne peuvent pas y être ! La liste des pays OCDE desquels les enfants doivent provenir pour accéder à une classe-passerelle ne permet pas à ceux polonais, bulgares, roumains d’y avoir accès. Une dérogation provisoire leur a été accordée mais jusqu’à quand ? Pour les enfants d’origine portugaise, espagnole, italienne qui peuvent être aussi nouveaux venus, rien n’est prévu. Ni pour ceux d’origines marocaine et turque arrivés dans le cadre de regroupements familiaux. Tous ceux-là sont pris en charge par les arrangements imaginés dans les écoles. « Dans une étude de 2004, des enseignants travaillant dans le secondaire à Bruxelles ont signalé les difficultés dues aux restrictions du décret : la grande majorité des élèves de leurs classes bénéficient de la loi sur le regroupement familial 69,52 % des 105 cas étudiés, alors qu’un petit pourcentage, 4,76 %, provenait des pays de l’UE avant l’élargissement et 8 % après l’élargissement (principalement des enfants polonais). Enfin, les réfugiés et ceux provenant d’un pays de l’OCDE ne dépassaient pas les 20 % de l’échantillon. »[1]« Bruxelles multilingue », L’école et la ville, Dossier nº 1, COCOF, 2006.
Problème aussi pour les enseignants qui travaillent dans les classes-passerelles : ils ne peuvent être nommés parce qu’ils exercent dans des structures particulières à renouveler chaque année.
Problème parce que la durée maximale d’un an de passage dans ces classes n’est souvent pas suffisante pour une maitrise du français langue d’enseignement (et du néerlandais à Bruxelles).
Surement pas pour beaucoup de « primos » des pays de l’Est ou d’Amérique latine quand ils arrivent en janvier et doivent donc quitter les classes-passerelles en juin de la même année. De plus, des recherches québécoises ont démontré qu’il faut environ un an et demi pour garantir aux enfants non scolarisés une intégration dans le système scolaire (ce qui recouvre plusieurs niveaux d’apprentissage, dont celui du français). La francisation nécessite cinq ans pour atteindre un niveau « natif ». La concertation entre les enseignants des « classes-registres » (les habituelles) et ceux des classes-passerelles, ou pseudo, est donc bien nécessaire. Pas de directives pourtant à propos de formes de suivis.
Problème parce que les classes-passerelles ne sont pas assez nombreuses.
À Bruxelles, beaucoup d’écoles de quartiers défavorisés voient affluer un grand nombre d’enfants ne maitrisant pas le français qui ne peuvent pas accéder aux classes-passerelles parce qu’ils ne répondent pas aux conditions fixées par le décret. Et donc, re-bricolage avec les moyens du bord. Une enfant pakistanaise et quatre autres roumains, dont trois analphabètes, tous les cinq de 10-11 ans, sont en 5e primaire. « On les garde en classe avec du soutien régulier » explique l’institutrice rencontrée dans une école D+. Ceux-là et d’autres ont de la « remédiation » donnée par leur institutrice pendant les heures de néerlandais assurées par quelqu’un d’autre pour les classes du cycle. Les « primos » sont alors sortis des classes « pour faire de l’oral français pendant cinq heures semaine, des dialogues, du vocabulaire, des programmes à l’ordinateur. Les modalités d’organisation et les pistes de travail à faire avec eux sont mises au point chaque semaine lors des moments de concertation ». De plus, une personne au statut de PTP[2]Programme de Transition Professionnelle par lequel des personnes peu qualifiées sont mises au travail pour trouver un éventuel ancrage et tremplin vers un hypothétique emploi futur. Ces personnes … Continue reading aide dans les classes, « en passant dans les bancs » pendant que la majorité fait du « travail de dépassement », l’institutrice peut alors un peu s’occuper des primos. Mais pour le reste du temps, « ils rêvent ou s’ils sont plusieurs de la même origine, ils parlent leur langue entre eux et dérangent ».
Pour cette institutrice, les élèves arrivés petits s’intègrent et maitrisent la langue en deux ans. Mais s’ils arrivent en 5e-6e, il arrive souvent qu’ils aillent ensuite dans une 1re accueil.
Problème parce qu’il existe actuellement trop peu d’outils de français langue étrangère. Cela signifie que les enseignants doivent faire preuve d’un esprit de recherche et d’initiative peu commun, et ce, souvent dans la discrétion et la solitude, même s’il existe des lieux où certains peuvent échanger leurs pratiques.[3]À citer : 1) Un outil construit par le CAF (Centre d’autoformation et de formation continuée de la Communauté française, La Neuville, 1, 4500 TIHANGE) et comprenant un CD audio, renseignements … Continue reading
Les méthodes et outils existants utilisés s’inspirent des courants connus de l’enseignement des langues vivantes[4]Un numéro de TRACeS pour l’année 2008-2009 présentera un dossier à ce sujet, avec les multiples facettes de cet apprentissage du français. et s’ils permettent en général aux élèves de développer une connaissance du français parlé et écrit convenant pour les communications « quotidiennes » courantes ils ne conviennent pas pour un apprentissage de ce qu’Anglejan et Masny appellent « la langue scolaire », approche où nous ne sommes pas encore bien avancés. Or, c’est par manque de maitrise de cette langue scolaire que beaucoup de jeunes « primos », et d’autres moins primos, sont en grande difficulté.[5]Comme au 4 !
Problème parce que le personnel qui est sensé « adapter ces enfants à la langue d’enseignement » n’a pratiquement reçu aucune formation spécifique pour le faire. Difficile donc de savoir si les outils imaginés sont adéquats.
En général, les instituteurs et les régents sont formés pour l’enseignement de la langue à des enfants francophones. Depuis 2001, il existe une formation initiale spécifique afin que les enseignants en classe-passerelle aient des qualifications pour la didactique d’une langue étrangère… mais ces enseignants sont rarement dans les classes où se trouvent deux, trois « primos » sans classe-passerelle.
Problème encore parce que ces enfants qui ont connu la misère, la violence, les déracinements précipités et les transplantations, peuvent être fortement déstabilisés et auraient surement besoin d’un accompagnement psychologique or le décret n’a rien prévu pour le faire.
Les classes-passerelles existantes ont un effet bénéfique pour les enfants et les jeunes qui y passent même si des améliorations pourraient encore y être apportées. Elles ont aussi le mérite de remettre sur le tapis la question des pédagogies interculturelles et d’enfin faire reconnaitre le fait qu’une autre didactique du français est à mettre en œuvre quand il est langue étrangère ou seconde.
Certains de leurs praticiens ou observateurs mettent aussi en avant la nécessité des pédagogies actives, les apprentissages en phase avec le vécu, la construction des savoirs… Parfois comme si ceux-ci ne devaient se pratiquer que dans les classes-passerelles, par référence à ce qu’ils nomment « classes traditionnelles ». Alors, chance des classes-passerelles, révélatrices de ce qui devrait se faire ailleurs, un peu comme en son temps, la présence des enfants des immigrations ouvrières a révélé les nécessaires chemins à prendre avec tous les enfants de milieux populaires ! Même si les spécificités des uns et des autres sont bien là, d’alors et de maintenant.
Heureuses classes-passerelles donc… mais sans perdre de vue que dans trop de cas, on en revient à la case départ des situations évoquées plus haut d’élèves en 1B, 3P, dans le spécial ou dans l’ordinaire sans vrai suivi et avec quels effets dans la suite ?
Les enseignants et directions concernés signalent les difficultés et les manques. Des instances et associations comme les syndicats enseignants, la FAPEO, Lire et Écrire, le Conseil général de l’enseignement fondamental, des chercheurs ont déjà proposé des aménagements ou carrément des transformations majeures pour les dispositifs existants.
Notes de bas de page
↑1 | « Bruxelles multilingue », L’école et la ville, Dossier nº 1, COCOF, 2006. |
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↑2 | Programme de Transition Professionnelle par lequel des personnes peu qualifiées sont mises au travail pour trouver un éventuel ancrage et tremplin vers un hypothétique emploi futur. Ces personnes ne peuvent jamais exercer seules et doivent profiter d’une formation, ce qui est souvent peu pensé dans les écoles. |
↑3 | À citer : 1) Un outil construit par le CAF (Centre d’autoformation et de formation continuée de la Communauté française, La Neuville, 1, 4500 TIHANGE) et comprenant un CD audio, renseignements chez Danièle Janssen, formatrice en français langue étrangère et seconde dans le secondaire, djanssen@wanadoo.be. 2) Le réseau créé à Bruxelles par Sonia Bonkowski et un outil référentiel destiné au cours de français en classe-passerelle. Renseignements brigitte.malherbe@segec.be. |
↑4 | Un numéro de TRACeS pour l’année 2008-2009 présentera un dossier à ce sujet, avec les multiples facettes de cet apprentissage du français. |
↑5 | Comme au 4 ! |