Onze enseignants d’une école liégeoise se trouvent une volonté commune de laisser une place plus juste aux élèves : lancer tous azimuts des conseils dans leur propre cours et un interconseil au sein d’une école traditionnelle. Mission suicide ?
Jour J moins un ! L’ordre du jour est serré. Tous les postes sont passés en revue : sports, matériel, élèves responsables, animateurs extérieurs, profs accompagnants. Vingt-deux sports différents pour sept-cents personnes le même jour : du tennis, du kickboxing, du VTT, de l’aïkido, du beach-volley, du foot, du badminton... Pour la plupart des élèves, un sport le matin et un autre l’après-midi. Au choix !
Des listes, des listes, des listes de listes. Des groupes hétérogènes, mixtes, de la troisième à la septième. L’organisation des déplacements et du repas offert à midi par des sponsors dégotés il y a des mois, mais qu’il faut aller chercher… Des messages à faire passer au micro, des ateliers sous la conduite exclusive d’élèves responsables. Ludovic, élève de rhéto, a réponse à toutes les questions. Il a, lui, une vision globale de la journée. C’est plus d’un an de travail qui se peaufine au trentième [1] et dernier interconseil avant le jour J.
Et que ferons-nous des élèves sous certificats médicaux ? Zoé et Corine proposent d’organiser leur journée : blind-test, jeux de société, petite balade... Comment seront prises les présences ? Des listes le matin et des listes l’après-midi ! Nous devons assurer, et rassurer aussi. Tous les ateliers ont-ils leur boite de secours avec une déclaration d’accident ? Les profs accompagnants se sont-ils inscrits ? Clothilde va les relancer. On comble les trous. Faire les dernières photocopies des dossiers avec les consignes à transmettre aux responsables des sports. Nous rassemblons le matériel. Profs et élèves de l’Interconseil (ic), nous déplaçons les tables de tennis de table, regonflons des ballons, comptons les battes de baseball. Magnifiques, les t-shirts bleu ciel pour les membres de l’ic ! Et les t-shirts orange pour les élèves qui ont pris la responsabilité d’animer l’atelier de leur sport ! L’ic, on se regarde : on est fou, mais on va le faire.
Sportive, la journée !
Jour J. Dans la cour, l’agitation est palpable. Des vélos tout-terrain se faufilent parmi des élèves en tenue sportive. Une camionnette vient d’être déchargée pour transformer la salle d’étude en ring de boxe ! Le prof de menuiserie est habillé en arbitre et le directeur a un casque. C’est parti pour le matin ! Chacun est attendu dans un rang selon le sport choisi. Les classes deviennent des vestiaires. Ceux qui font du tir à l’arc le matin doivent partir en voiture. On stresse, mais la cour se vide et les petits groupes hétérogènes s’en vont faire joyeusement du sport dans ou aux alentours de l’école, souvent sous la conduite des t-shirts orange et… sous le soleil. Tiens, il en reste un groupe qui attend ! Pas de soucis, c’était prévu. Ce sont les pêcheurs. Ils attendent l’arrivée de l’instructeur. De toute façon, la patience est une vertu le long de la rivière qui longe l’école. Ils peuvent se distraire en regardant d’autres élèves être initiés à un sport de combat dans la cour. Certains d’entre nous circulent dans les ateliers. Tout de même la petite Anaïs de troisième qui frappe avec des gants de boxe un grand de cinquième ! L’ambiance est au beau fixe. Les premiers retours sont très positifs. Mais, il est déjà temps d’être à son poste pour le repas de midi, de vérifier les tickets, de distribuer les six-cent-cinquante bouteilles d’eau offertes et de renforcer le personnel des cuisines qui, d’habitude, n’accueille pas tout le monde en même temps... Les files grandissent, puis les jeunes s’allongent dans les pelouses, les joues déjà rougies par le sport et le soleil.
Bientôt, la deuxième manche commence et tout le monde est attendu pour un autre sport, une nouvelle découverte. Jérémy ne se débrouille pas mal pour une première au tennis. Les profs qui accompagnent le hockey ne cachent pas leur plaisir, tandis que l’élève responsable gère les matchs en main de maitre, sifflet en bouche. Et ça bataille ferme ! Le contraste est saisissant quand on entre au dojo de l’aïkido situé un kilomètre plus loin : l’ambiance y est feutrée, entrecoupée du bruit des corps qui chutent sur le tatami, sous le regard des instructeurs en hakama, habits traditionnels japonais.
La journée s’achève et les remerciements pleuvent : l’initiative et l’organisation sont saluées. Il y a eu plus d’anecdotes que de couacs. Une élève à l’eau, un ballon dans la figure, et aussi pas mal d’absences… Peut-être avons-nous surestimé le côté fédérateur du sport et sous-estimé son côté discriminant ? On ne vient pas à l’école pour faire du sport, entendons-nous d’une fratrie, régulièrement absente et qui a brossé cette journée. Le rôle de l’école qui est sous-jacent quand on transforme le quotidien scolaire.
Nous recevons beaucoup de conseils aussi… Pour l’année prochaine. Mais qui a dit qu’on organiserait à nouveau une journée sportive ? Cette idée est née du désir d’un petit groupe d’élèves en dernière année qui avait connu cela dans une école précédente. De toute façon, il nous reste encore à évaluer tout le processus dans le dernier ic de l’année. Allons-nous réunir les t-shirts orange également ? Un petit groupe va-t-il créer une commission journée sportive en parallèle à l’ic l’année prochaine ? C’est l’ic qui décidera. Ce qui est certain, c’est qu’on prévoit une petite fête pour les organisateurs. Notre pari est réussi. Sur la photo de groupe, à la fin de la journée : we are the champions !
Politique le débat
En cette fin d’année scolaire, d’autres projets encouragés par l’Épiraph, notre équipe de pédagogie institutionnelle, aboutissent également au sein des classes. Parmi ceux-ci, notre collègue de sciences éco raconte.
Mardi 22 mai 2018, quinze heures, c’est le stress. Baptiste ne trouve pas ses mots : je n’y arriverai pas, parler en public, c’est vraiment ma hantise ! Mercredi 23 mai 2018, 19 h 20, Baptiste prend la parole devant presque cinquante personnes. C’est l’aboutissement du projet collaboratif de fin d’études : une conférence-débat organisée par les élèves.
Préparer la salle, prévoir un projecteur et une sono, acheter les boissons et les chips pour le drink : ça, c’est pour les tâches les plus simples. Avant, il a fallu créer des flyers et des affiches, contacter les apprentis citoyens pour qu’ils participent au débat, inviter des élus.
En amont, encore et surtout, l’écriture de propositions de loi à soumettre à ces élus. Les élèves ont dû décortiquer des textes juridiques, les analyser, les comparer, imaginer des idées nouvelles et rédiger des articles de lois. En début d’année, c’était l’euphorie à l’annonce du projet. Mais en cours d’année, ils n’y croyaient plus trop. Grâce à leur collaboration, ils ont pourtant trouvé au fur et à mesure des solutions aux difficultés qui survenaient. Et si ces solutions n’ont pas toujours été à la mesure des attentes des professeurs qui encadraient le projet, elles ont eu le mérite d’exister et de correspondre à une volonté commune. Ils se souviendront sans doute longtemps de cette soirée où face à des élus mr, cdh, ptb et Écolo, ils ont défendu leurs idées et animé le débat.
Cuire à cœur
Au sein de notre école, l’ÉpiRaph et l’ic existent et ont gagné leurs galons. L’épi, en plus du soutien à l’ic, aura toujours la volonté d’interroger les pratiques entre collègues afin de se conseiller, de se serrer les coudes et d’ainsi créer une collaboration professionnelle autour des techniques et de l’éthique pi. Nous poursuivrons également la réflexion, avec la direction, à propos de conseils de classe, clé de voute d’un système qui pourrait être différent, plus satisfaisant, plus efficace, plus juste. Ce qui sera probablement l’occasion d’interroger nos missions et d’inciter au débat avec l’ensemble des collègues de l’école. En outre, histoire d’assoir un peu plus notre groupe et de lui permettre d’apprendre, de grandir professionnellement, cinq membres de l’ÉpiRaph iront aux rencontres pédagogiques de cet été en première, deuxième ou troisième année du stage pi.
L’ic, quant à lui, va continuer avec un nouveau groupe : des rhétoriciens vont partir, des élèves vont continuer et d’autres nous rejoindre pour élaborer de nouveaux projets, pour prendre plus de responsabilités, pour produire d’autres apprentissages, et, qui sait, faire changer l’école depuis son cœur.
1. bien çà ! Nous n’avons pas compté ...
[1] Bien, ça ! Nous n’avons pas compté…