Vraie bonne idée, mais fausse bonne réforme ! D’une idée à une réforme, le fossé est souvent très large et les chemins très sinueux. Nombreux sont d’ailleurs les ministres de l’enseignement qui se sont cassé les dents sur une vraie bonne idée qu’ils ont transformé telle quelle en réforme.
Et c’est bien le cas pour le redoublement !
Cela fait des années que les enquêtes en sociologie de l’éducation ont prouvé que le redoublement ne servait à rien. Ou pire, qu’il aggravait la situation des élèves qui le subissait. Ce que les psychologues expliquent très bien : être un « redoubleur » est une étiquette qu’il est difficile de se décoller du front. Et qui entraîne l’élève dans une spirale de l’échec souvent difficile à casser [1]G. Chapelle, Peut-on interrompre la spirale de l’échec ? dans Chapelle, G. et Crahay, M. « Réussir à apprendre », PUF, 2009. .
La vraie bonne idée semble donc de supprimer le redoublement. Mais attention ! Qu’appelle-t-on ici « supprimer le redoublement » ? S’agit-il de l’interdire ? Ou de le rendre inutile ? Cela ne revient pas au même.
On a déjà interdit le redoublement entre la première et deuxième année du secondaire en Communauté française de Belgique en 1994. Quelques années plus tard, en 2001 : marche arrière du gouvernement, face aux multiples échappatoires qu’avaient trouvées les équipes éducatives. Et tentative de compromis avec la mise en place des réformes du premier degré.
Comment comprendre cette difficulté d’interdire le redoublement ? [2]H. Draelants, « Le redoublement est moins un problème qu’une solution. Comprendre l’attachement social au redoublement en Belgique francophone. », Cahier de recherche en éducation et … Continue reading
En prenant les enseignants au sérieux et en se demandant pourquoi ils tiennent tant à cette « mesure éducative ». Les enseignants tiennent au redoublement car cette mesure remplit plusieurs rôles très importants pour eux : premièrement, il permet de trier les élèves, de réduire les différences de niveau entre élèves, à l’intérieur d’une classe. Deuxièmement, il sert souvent à donner une bonne image d’une école, en concurrence avec les autres écoles. Troisièmement, le redoublement sert à exercer une certaine autorité, à motiver les élèves à travailler. Quatrièmement, perdre la possibilité de décider ou non d’un redoublement est vécu par les enseignants comme une privation de leur expertise professionnelle.
Regarder les choses sous cet angle conduit donc à une tout autre façon de résoudre la question de la vraie ou fausse bonne idée. Ou en tout cas, à prévoir des réformes qui ne s’attaquent pas au redoublement de la même manière. Si le redoublement est pour les enseignants une solution à plusieurs des problèmes qu’ils rencontrent, et que l’on envisage comment y répondre autrement, on peut espérer faire perdre son utilité au redoublement. Et voir son usage diminuer. Nous allons voir que cela implique des changements de posture de deux ordres :
Premièrement, lorsque le redoublement sert à gérer la différence de niveau qui existe entre les élèves, et à exercer une certaine autorité sur eux, à les motiver, il constitue en fait une mauvaise réponse au défi le plus difficile à relever pour un enseignant, mais qui est pourtant le cœur de son métier : comment faire apprendre tous les élèves, malgré leurs différences ?
Il est urgent d’amplifier les mesures de soutien des enseignants dans ce défi, par une formation initiale et continue appropriée, par un soutien à l’utilisation de dispositifs pédagogiques différenciés, par la validation de manuels scolaires de référence, par le soutient à un véritable travail d’équipe hebdomadaire, etc. Dotés des moyens d’exercer leur métier, les enseignants pourraient alors vivre les difficultés d’apprentissage de leurs élèves non comme un obstacle, mais plutôt comme le matériau sur lequel travailler, comme le potier travaille la terre. En termes d’autorité et de capacité à motiver leurs élèves, le gain serait également non négligeable ! Les enseignants le savent d’ailleurs : un enseignant qui fait progresser ses élèves y gagne souvent beaucoup en autorité. Il gagne la légitimité de celui qui exerce son métier avec efficacité. Et l’élève qui réussit est souvent bien plus motivé à travailler que celui qui échoue.
Deuxième changement de posture à opérer : sur les mentalités et la culture scolaire. Lorsque le redoublement sert à donner une bonne image de l’école, il n’est qu’un symptôme d’une culture scolaire dans laquelle une sélection sévère et élitiste est vue – à tort !- comme un signe de qualité. Il s’agit alors d’agir par une formation et une sensibilisation de l’opinion aux dégâts que produisent les mises en échec et les feed-backs négatifs sur les capacités d’apprendre. Il fut un temps où frapper les élèves était toléré par le système scolaire. Les mentalités ont changé sur ce point. Elles peuvent également changer sur l’utilisation de la mauvaise note et du redoublement comme une preuve de la qualité d’un prof ou d’une école.
Vraie bonne idée, donc, de supprimer le redoublement. Mais à la condition de s’attaquer à ce qui explique son utilité aux yeux des enseignants. Et donc, en leur apportant le soutien nécessaire à ce qu’ils continuent pour la plupart à considérer comme le cœur de leur métier : réussir à faire apprendre tous les élèves.
Contrastes n°137 Mars – Avril “Enseignement en Communauté française : Écoles sanctuaires, Écoles ghettos” 2010
Également dans cette revue une article de Jacques Liesenborghs “Quel(s) Projet(s) scolaire(s)?”
Notes de bas de page
↑1 | G. Chapelle, Peut-on interrompre la spirale de l’échec ? dans Chapelle, G. et Crahay, M. « Réussir à apprendre », PUF, 2009. |
---|---|
↑2 | H. Draelants, « Le redoublement est moins un problème qu’une solution. Comprendre l’attachement social au redoublement en Belgique francophone. », Cahier de recherche en éducation et formation, 2006, N°52. |