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Accueil / Publications / TRACeS de ChanGements / Rubriques hors dossiers / Démarches / Qu’est-ce que le développement durable ?

Dans un numéro précédent [1], je présentais une situation - problème que je prétendais applicable de la 5e primaire à la 2e licence. Les instits du comité n’y croyaient pas. Mis au défi moi-même, je l’ai donc présentée à une classe de 6e primaire. Présentation, récit et commentaires.

J’ai donc repris la situation-problème utilisée avec mes étudiants du régendat et, tout en maintenant la même commande - classer les pays du plus au moins développé durablement, j’ai simplifié les données : moins de pays (6 au lieu de 10) et moins d’indicateurs (11 au lieu de 16). Vous trouverez ci-jointe la fiche de mise en situation telle qu’utilisée. Les consignes et les données sont, à mon sens, directement utilisables telles quelles en fin de primaire et début du secondaire. J’ai également prévu des enveloppes de secours [2], une par indicateur, expliquant en langage simple ce que mesure l’indicateur en question. Muni de tout cela, je me suis donc présenté devant les 24 enfants de 6e.

Lancer et relever le défi

Un peu démago, je leur ai dit que Stéphane et les autres estimaient que c’était beaucoup trop difficile pour des enfants de 6e, que des grands économistes des Nations-Unies avaient travaillé longtemps pour réaliser ce travail, mais que je croyais, moi, qu’ils étaient capables d’y arriver et que mon honneur et le leur étaient en jeu. Et comme c’était le Monsieur de Madame qui le disait, le désir de relever le défi était plus grand encore. Ils étaient prêts à se lancer avec frénésie dans la tâche.

Je leur ai donc distribué la feuille de consignes et de données sans autres explications. Ils l’ont lue attentivement en silence. J’ai attendu leurs questions de compréhension. Il n’y en avait pas. J’ai demandé à quelques élèves : « Qu’est-ce que tu crois que tu dois faire ? Ben, dire celui qui est le plus développé. » Et « est-ce que tu vois comment tu vas faire ? Ben, on va regarder les chiffres et on verra bien. » Je leur ai annoncé qu’ils pourraient demander des enveloppes de secours, une par indicateur, pour dire par exemple ce que c’est le PIB et je les ai mis en groupe de quatre et au boulot.

Ça discute ferme dans les groupes, ils se lancent dans la tâche avec une motivation et un intérêt incroyables pour moi, habitué à moins d’enthousiasme et de spontanéité. C’est en courant qu’ils viennent chercher l’une ou l’autre enveloppe de secours, mais finalement assez peu . On fait le point à mi-parcours après un quart d’heure. Les groupes se communiquent où ils en sont. De grosses différences de résultats et de grosses inégalités de méthodes apparaissent. Les arguments sont assénés avec force et conviction, puis les groupes se remettent au travail.

Un quart d’heure plus tard, les classements sont assez proches. On les compare au tableau, on se fait expliquer pourquoi on a fait comme cela et pourquoi non. On reprend ensemble les indicateurs et on en discute. La motivation et l’intérêt restent intacts. Tous les doigts se lèvent pour dire si oui ou non, et pourquoi, c’est bien d’avoir beaucoup de connexions à Internet, ou peu ou beaucoup d’enfants, si c’est le PIB total ou le PIB par habitant qui compte, etc. C’est la sonnerie qui nous arrache à nos débats.

Ce qu’ils ont fait

Alors que je me l’étais pourtant bien promis, j’ai oublié (!) de les obliger à travailler seuls d’abord avant de les mettre en groupe. Les plus lents et les plus faibles ont été emportés dans la frénésie des autres. Il y a donc eu trop d’inégalités dans la recherche au sein des groupes où les ténors menaient un train d’enfer, même si les manières de faire y étaient débattues.

Dans un premier temps, seul comptait le résultat auquel arriver. Ils étaient un peu trop aspirés par le but, trop pressés, et pas assez attentifs au comment. Ils ne se posaient que peu de questions sur le sens des indicateurs : seuls comptaient les plus et les moins, pas besoin de savoir de quoi il s’agit ! Un groupe avait même classé en prenant en compte systématiquement le nombre le plus élevé pour chaque indicateur, qu’il s’agisse de cigarettes, de dollars, d’enfants ou de tonnes de dioxyde de carbone, sans même remarquer qu’il y avait des nombres négatifs (solde des transactions). C’est la différence de résultats dans le classement (comparaison entre les groupes) qui les a fait réfléchir. Ils ont donc repris le travail en essayant de juger si c’est le plus qui était bien ou si c’était le moins.

Ils ont demandé finalement assez peu d’enveloppes de secours : au début et pour certains, parce qu’il suffisait de regarder celui qui a le plus et celui qui a le moins mais ensuite et pour d’autres parce qu’ils avaient une compréhension intuitive des indicateurs, finalement plus grande qu’on ne pourrait le croire. Bien sûr, ils ont demandé l’enveloppe PIB et celle sur l’indice de Gini, mais dans l’ensemble, ils ont assez bien discuté entre eux pour savoir si fumer beaucoup par exemple, c’était bien pour le développement parce que c’était le signe qu’on était riche, ou si c’était mauvais pour le développement, parce que c’est mauvais pour la santé et que c’est du gaspillage.

Une autre difficulté était de réaliser « mathématiquement » la tâche. Un groupe a repris pour chaque pays combien de fois il était le meilleur, arrivant ainsi à un classement en trois rangs : celui qui est le plus de fois le premier, puis quelques exæquos, puis quelques-uns qui ne sont jamais les premiers. D’autres groupes inventent d’autres manières de cumuler les rangs. Et deux groupes pensent à classer les pays de 1 à 6 pour chaque indicateur, puis à faire la moyenne de leur rang respectif et obtiennent ainsi un classement final de 1 à 6. Dans la comparaison à mi-parcours du travail des différents groupes, cette méthode apparait la meilleure aux yeux des autres qui, tous, vont alors essayer de l’appliquer.

Ce qu’ils n’ont pas fait

À aucun moment, ils n’ont remis en cause la validité d’un indicateur ni imaginé non plus qu’un indicateur pouvait être plus important qu’un autre, avoir plus de poids dans le classement final. Ils ont donc tous pris tous les indicateurs avec un poids égal pour le classement. Alors qu’ils discutent bien et logiquement dans les groupes pour savoir si c’est le plus ou le moins de tel indicateur qui est bien pour le développement, ils ne discutent jamais pour estimer l’importance relative d’un indicateur dans l’ensemble. Aucun rejet ni aucune pondération. À cet égard, je regrette de n’avoir pas ajouté un indicateur absurde en matière de développement afin de les pousser à plus d’esprit critique. Car, si la pondération peut ne pas être envisagée par manque d’outil mathématique, le rejet, lui, peut s’opérer par simple logique et décision. Mais manifestement, si une autorité scolaire leur propose des données, il est inconcevable pour eux de les rejeter. C’est donc cet apprentissage-là qu’il aurait fallu privilégier.

À aucun moment non plus, ils n’ont imaginé de tenir compte des écarts entre pays pour chaque indicateur. Ils sont restés dans une logique purement ordinale, sans essayer de quantifier le développement pour chaque indicateur. Y auraient-ils pensé qu’il leur aurait manqué aussi les outils mathématiques pour le réaliser. Et c’est déjà très difficile pour des adultes d’inventer un calcul qui permette d’en tenir compte. Mais il n’y ont jamais pensé. Et pour y penser, faut-il disposer des compétences mathématiques qui le permettent ou le besoin fait-il chercher les moyens pour y arriver ?

Ce qu’ils ont retenu

La sonnerie nous ayant empêché de conclure, le lendemain, l’institutrice leur demande de reprendre leurs notes de la veille et de mettre par écrit ce qu’ils ont retenu de l’activité, les questions qu’ils se posent et ce qu’est le développement durable pour eux. Les résultats sont vraiment encourageants : des questions et des commentaires sur les différences entre pays (richesse, pollution, démographie,...), sur l’intérêt de prendre en compte le PIB total ou le PIB par habitant, d’avoir ou non une population jeune (démographie), de financer de la recherche ou d’attendre celle des autres (!), d’avoir ou non beaucoup de connexions Internet, etc. Quant au développement durable, cela signifie que « le pays se développe en pensant à l’avenir et que, dans dix ans, les habitants vivront aussi bien, sinon mieux ».
1.
2.
Consigne de travail et tableau

Consignes et tableau

Qu’est-ce que le développement durable ?

Classez les 6 pays du tableau depuis celui que vous trouvez le plus développé durablement jusqu’à celui que vous trouvez le moins développé durablement. Pour classer les 6 pays, vous devez utiliser les informations contenues dans le tableau. Vous n’êtes pas obligés de les utiliser toutes, vous pouvez choisir les informations que vous trouvez les plus importantes, mais vous êtes obligés d’utiliser au moins une information.
Si vous avez des questions qui vous empêchent de faire le travail, posez-les et vous recevrez l’explication. Si vous avez des questions sur le développement durable qui ne vous empêchent pas de faire le travail, notez-les, on en parlera après. Une fois votre classement fait, dites ce qu’est le développement durable pour vous. Évidemment, votre définition doit correspondre à votre classement.

Indicateurs Arabie Saoudite Belgique Bénin Cuba États-Unis Inde
PIB total = tout ce que le pays produit en un an (en milliards de $) 173,3 226,6 2,2 124,4 9.837,4 457,0
PIB par habitant (en $) 11.367 27.178 990 4.519 34.142 2.358
Différence entre tout l’argent qui entre et tout l’argent qui sort du pays (en milliards de $) 20,5 15,9 - 0,5 - 0,6 - 407,7 - 11,9
Nombre de scientifiques et d’ingénieurs qui font de la recherche pour développer le pays (par million d’habitants) 914 2.307 174 1.611 4.103 158
Nombre d’ordinateurs reliés à Internet pour mille habitants 0,2 29,4 0,0 0,1 295,2 0,05
Inégalités de revenus entre les familles (indice de Gini) 58,4 28,7 32,3 22,6 40,8 37,8
Espérance de vie à la naissance (ans) 71,6 78,4 53,8 76,0 77,0 63,3
Nombre moyen de cigarettes consommées par adulte par an 258 1.910 12 824 2.193 119
Nombre moyen d’enfants par femme 6,2 1,5 6,1 1,6 2,0 3,3
Émission de dioxyde de carbone par an par habitant (en tonnes) 14,1 10,0 0,1 2,3 19,9 1,1
Jeunes qui vont à l’école primaire et secondaire inférieur (en % de tous les jeunes entre 6 et 14 ans dans le pays) 61 % 109 % 45 % 76 % 95 % 55 %

Les données de ce tableau sont extraites du Rapport mondial sur le développement humain, PNUD, 2002. Quelques-unes sont extrapolées.

notes:

[1Voir « Le noyau dur de la science », Échec à l’échec n° 158, novembre 2002.

[2Les enseignants qui souhaiteraient obtenir les textes de ces enveloppes de secours pour mener la démarche dans leur classe peuvent me les commander par courriel : jacornet@skynet.be

Pièces jointes