Quelle réforme pour notre enseignement technique et professionnel ?

Notre enseignement va mal et coute cher. La publication des résultats d’enquêtes internationales comme Pisa entache sa réputation. L’argent public ne peut plus être gaspillé, il faut donc agir. Mais tandis que l’enseignement général bénéficie encore malgré tout d’un prestige, les filières technique et professionnelle sont dévalorisées : on y aboutit après avoir échoué dans le général et on le quitte souvent avant d’être qualifié.

Ce sont les élèves les plus faibles, issus majoritairement des milieux sociaux les moins favorisés qui fréquentent l’enseignement qualifiant. C’est interpelant. La ministre de l’Éducation prépare une réforme dont les buts sont de réduire l’échec scolaire et de limiter les redoublements. Que penser de ce qui se prépare? Ce projet rendra-t-il vraiment notre enseignement plus performant et contribuera-t-il à la réussite du plus grand nombre ? Répond-il aux besoins de formation des élèves ?

Une réforme aux intentions généreuses

Les jeunes de l’enseignement qualifiant constituent plus de la moitié des élèves qui terminent l’enseignement secondaire. Globalement, ils y ont été relégués suite à des échecs et non par choix. Ils essaient d’y conserver une image acceptable d’eux-mêmes en tant qu’élèves du secondaire et/ou d’arriver au terme de la scolarité obligatoire. L’accès à un métier n’est pas leur priorité. En technique d’ailleurs, très peu ont comme projet d’aller travailler directement, ils s’engagent généralement par la suite dans des études supérieures de type court. Certains peuvent même obtenir leur diplôme du secondaire sans réussir leur qualification.

Mais l’enseignement technique et professionnel coute cher : les normes d’encadrement y sont plus favorables, les redoublements et changements d’options fréquents. La ministre de l’Enseignement secondaire cherche donc à en améliorer l’efficacité et propose une réforme aux intentions généreuses pour “valoriser les acquis plutôt que sanctionner les échecs” et lutter contre le redoublement. Intitulée Certification Par Unités (CPU), son intention globale est de donner la possibilité aux élèves de valoriser des Unités d’Apprentissages Acquises (UAA). Chaque formation sera découpée en UAA, dont les réussites seraient capitalisées, avant l’épreuve intégrée finale qualifiante. La remédiation devra être organisée conjointement aux apprentissages, de manière à réduire fortement les échecs. L’élève qui échouera à une UAA passera quand même à la suivante, jusqu’à la dernière et s’organisera pour compléter sa formation par la suite, surtout s’il veut obtenir son diplôme d’enseignement secondaire ou continuer des études.

Un jeune qui quitte l’enseignement sans diplôme final pourra ainsi valoriser les UAA qu’il aura acquises, même s’il a abandonné l’école avant la fin de la 6ème. Il sera peut-être engagé dans une entreprise sur base de ces réussites partielles, mais dans un sous-statut. Il pourra également représenter les UAA manquantes à l’école lors d’une autre session, ou aller les compléter dans l’enseignement en alternance. Les offres des Centres de Formation en Alternance, de promotion sociale, de formations Forem, des classes moyennes et même d’opérateurs privés fleurissent de toutes parts et attirent déjà les jeunes non qualifiés.

Les propositions de la ministre sont séduisantes pour les jeunes en difficulté qui y trouveront une porte de sortie socialement plus acceptable parce qu’elle ne porte plus le nom d’échec. Il n’en reste pas moins que ces élèves quitteront le qualifiant avec des UAA certifiées mais sans qualification et sans diplôme du secondaire. Et cela est d’autant plus préoccupant que pour ces élèves, ce n’est pas l’identité professionnelle mais la réussite potentielle de l’enseignement secondaire qui fait sens.

De plus, cette réforme reste pudiquement centrée sur le 3ème degré du secondaire et postule que les élèves y sont parce qu’ils veulent apprendre une profession. Elle fait donc l’impasse sur les causes de la présence de ces élèves dans le qualifiant et s’autorise à ne pas prendre le problème dès le deuxième degré, par exemple en tentant d’y réduire les abandons des élèves majeurs, et en questionnant la pertinence de leur présence dans le qualifiant. En certifiant des UAA, on réduit le nombre officiel d’échecs et on réduit les couts mais on renonce aussi à transformer ces échecs en réussites.

Une réforme qui pose questions !

Alors qu’on en est encore aux esquisses d’un projet, cette réforme sera mise en œuvre dans trois secteurs de formation (esthétique, garage et hôtellerie-restauration) dès septembre 2011. Pourquoi cette hâte alors que tant de questions pratiques restent sans réponse ?

Toutes les formations ne sont pas sécables en UAA. Dans les formations centrées sur l’humain, par exemple, comme celles d’animateur, aide soignant ou aide familial, cela n’a pas beaucoup de sens. Il est, par exemple, peu pertinent de savoir composer un régime alimentaire adapté à une pathologie tout en ayant raté la partie consacrée aux soins !

Les UAA vont constituer des morceaux de qualification qui ne donneront pas accès au salaire barémique lié à un métier reconnu. La CPU est donc aussi un moyen de déconstruire la reconnaissance des métiers et d’ouvrir la porte à une multiplicité de statuts différents difficilement intégrables dans une logique de négociation collective des salaires et des conditions de travail.

D’un point de vue plus pédagogique, les élèves qui suivent le 3ème degré de l’enseignement qualifiant sont globalement des élèves fragiles, qui se reconstruisent après une série d’échecs. Les équipes pédagogiques les soutiennent tant dans les cours généraux que dans les cours de leur option pour qu’ils arrivent au terme d’une formation qualifiante. Les pédagogies les plus efficaces qui s’appuient sur le groupe et la construction collective de savoirs ne pourront plus s’exercer avec des groupes à géométrie variable. Si on parcellise la formation en UAA, les groupes-classes risquent d’être peu crédibles devant la multiplicité des parcours individuels et chaque élève se retrouvera encore un peu plus seul face au défi d’arriver au bout des différentes unités. De quelles ressources disposent-ils pour relever ce défi ? Plus encore, au terme de leurs réussites partielles, ils seront responsables de leur « activation » à se former auprès d’opérateurs extérieurs, comme les chômeurs en recherche d’emploi. C’est une injustice supplémentaire qui va toucher une population particulièrement démunie des ressources culturelles nécessaires pour se former et s’insérer dans la société.

L’individualisation des parcours va déstructurer l’organisation des écoles. La réflexion semble fort lacunaire en ce qui concerne l’organisation des remédiations conjointement aux apprentissages d’une UAA, l’accueil et le statut des élèves qui vont revenir pour une UAA, l’encadrement de ceux qui ont échoué à une UAA si ce ne sont pas les mêmes professeurs qui interviennent dans la suivante. On se rapproche de l’organisation en Unités de Formation (UF) des centres de formation. À nouveau, quel intérêt sociétal y a-t-il à favoriser l’existence de « sous-qualifications » et à renoncer à l’enseignement au profit de la formation ?

Les cours généraux, déjà réduits à une part congrue, seront évalués dans chaque UAA, sur leur usage dans le cadre des apprentissages professionnels. Nous ne voyons pas émerger, dans la réforme qui se met en place, la formation générale indispensable à la construction de citoyens. Le projet de la ministre est plus que flou sur le sujet, la réflexion n’est pas aboutie sur la façon d’intégrer les cours généraux à la formation qualifiante, sur le niveau de maitrise du français, des mathématiques, de l’histoire… dont, par exemple, une esthéticienne a besoin. Y aura-t-il une UAA en cours généraux ? Quelle en sera l’utilité ? Sans la réussite des cours généraux, les élèves auront-ils accès à un diplôme d’enseignement secondaire, diplôme pourtant indispensable pour la poursuite d’études supérieures ?

Renoncer à l’enseignement ?

La première mission du décret de 1997 demandait à l’école de former des citoyens critiques capables de comprendre et d’agir sur le monde dans lequel ils vivent. Il faut un minimum de connaissances pour atteindre cet objectif, connaissances qui ne seront pas atteintes avec la CPU. Nous ne percevons plus les objectifs de formation générale, humaniste, présents dans le décret Missions, document censé être « de référence » pour l’enseignement secondaire ! La Communauté française renonce à ce que ses jeunes aient une formation générale et ça concerne la moitié des élèves du 3ème degré du secondaire !

Cette réforme mise en œuvre dans l’urgence atteindra ses objectifs mécaniquement : moins d’échecs et moins de couts. Les élèves sortiront plus vite de l’école, certifiés partiellement mais non diplômés. La CPU va améliorer « l’employabilité » de travailleurs qualifiés partiellement et payés moins cher. L’offre de formations qualifiantes dans l’enseignement de plein exercice sera rationalisée, les opérateurs privés et extérieurs à l’école pourront se développer.

Mais ce sera au prix d’un renoncement aux missions de l’enseignement secondaire. En se centrant sur l’acquisition d’habiletés professionnelles et en réduisant l’importance des cours généraux, la réforme ignore la cause de la présence des élèves dans le qualifiant. Elle ne met pas non plus en réflexion la corrélation entre précarité sociale et relégation scolaire.

Cette réforme cache l’impuissance des politiques face à l’ampleur du chantier à entreprendre. Le fait de lier l’idée de réduction de l’échec à celle de certification partielle relève de la pensée magique. Quelle société nous préparons-nous si les futurs adultes sont des illettrés fonctionnels ? Nous savons qu’il n’y aura pas d’amélioration conséquente à espérer si on ne développe pas des dispositifs d’accueil et d’apprentissage qui tiennent compte des difficultés liées à l’origine sociale de tous les élèves, et cela, dès l’école maternelle !

Issu du groupe de travail CGé autour de la réforme du qualifiant