L’action des écoles de devoirs devait être un accompagnement à la scolarité, comme parcours dans l’élaboration d’un projet de vie. Or, aujourd’hui, cette action se situe surtout comme projet compensatoire aux dysfonctionnements d’un système qui redistribue les enfants dans des établissements et des filières d’études nettement hiérarchisés et socialement différenciés.
Le système scolaire opère un tri social, multiplie les procédures d’évaluation internes et externes. Il individualise, naturalise et médicalise les difficultés des élèves en les renvoyant aux acteurs externes. Il renvoie au mérite individuel et à celui des familles, disqualifiant par là même de nombreux parents étiquetés « démissionnaires ». Les jeunes et les familles de milieux populaires, entre grande souffrance et colère, se sentent enfermés dans une logique de disqualification sociale sans espoir de promotion pour leurs enfants.
Angoissées et dépassées, les familles se tournent vers le secteur associatif (écoles de devoirs en particulier) qui en devient saturé. Souvent, elles privilégieraient le recours aux cours particuliers, mais ne peuvent en assumer le cout.
Difficile, face à cette idéologie du résultat devenue dominante, de répondre aux attentes de l’École et des parents, tout en plaçant l’enfant et ses besoins au cœur du projet d’accompagnement scolaire. Difficile alors de viser tant les objectifs du Code de Qualité de l’Accueil[1]« Quel projet d’accueil pour les enfants de 3 à 12 ans ? », ONE (téléchargeable sur leur site). de l’ONE que les quatre missions confiées par Décret aux écoles de devoirs : le développement intellectuel, le développement et l’émancipation sociale, le développement culturel, l’apprentissage de la citoyenneté et de la participation.
Les écoles de devoirs constituent un lieu privilégié où se poser et réinvestir les apprentissages de l’école autrement, en tenant compte des différents temps de l’apprentissage et des besoins des enfants. Le public des écoles de devoirs nous montre chaque jour combien l’École peut rater ses missions : d’« explorateurs curieux du monde » les enfants deviennent « compétiteurs ». Il y a ceux qui y croient encore, les « assoiffés » de découverte, ceux qui sont encore dans la compétition. Il y a ceux qui n’y croient plus, « obligés » par les parents, ils attendent les années qui passent. Et il y a les « invisibles », ceux qui ont abandonné la course, qui ne viennent plus vers les écoles de devoirs ou en ont été exclus.
Il y a, dans la plupart des cas, des enfants qui manquent de… ou ont perdu confiance en eux ; qui ressentent une non-reconnaissance d’eux-mêmes, de leur famille, de leur école, de leur quartier, de leurs origines. Ils sont souvent stressés, angoissés à l’idée de ne pas y arriver, entre exigences de l’école et attentes parentales. Ils peuvent manifester fatigue extrême, blocages nombreux et perte du sens. Comme si le sens des apprentissages n’était que dans les points à obtenir pour occuper une place honorable dans la compétition généralisée.
Pour apprendre et réussir l’école, l’enfant a besoin de vraies activités — découvertes de son quartier ; de parler, de lire et d’écrire dans des situations réelles de communication ; de participer à un Conseil des Enfants ; d’être acteur du projet dans lequel il s’inscrit… Pour lui permettre de s’instruire, de remobiliser ses apprentissages scolaires dans des situations de vie, de développer son esprit critique, sa capacité à appréhender et questionner le monde. Besoin aussi d’aborder ses apprentissages dans un cadre où d’autres relations lui soient proposées ; où sa parole soit entendue, et prise en compte ; où ses compétences, ses intelligences peuvent être (re) valorisées, (re) mobilisées et reconnues par la construction de projets collectifs ; où les parents sont associés, sans aucune disqualification. Un espace où l’erreur n’est pas sanctionnée.
L’Utopie d’une réelle alliance éducative. Aujourd’hui, le secteur des écoles des devoirs se dilue dans un ensemble élastique et hétéroclite entre animation éducative et sous-produit de l’école.
« Comme toute action, l’accompagnement scolaire n’est pas sans risques (…) celui de dessaisir les autres acteurs de leurs responsabilités. (…) que l’école soit tentée d’oublier qu’elle n’a pas seulement à enseigner, mais aussi à faire que chaque élève apprenne. (…) qu’une remédiation cherche à réparer, de manière individuelle en dehors de la classe, les pannes d’un processus d’enseignement qui n’aurait pas à être remis en cause, ne serait-ce que pour ne pas ralentir « Le secteur se dilue entre animation éducative et sous-produit de l’école. »la minorité qui ne rencontre aucune difficulté. Le risque (…), de dessaisir les parents de leur responsabilité en les dispensant de s’intéresser au travail scolaire de leurs enfants[2]C. Pair, « Relever le défi, malgré les risques » dans le livre de J.-M. Le Bail, « L’accompagnement à la scolarité », Scérén, CRDP d’Amiens, CRAP-Cahiers Pédagogiques, 2077.. »
Pour que se construise une réelle alliance éducative, il faudrait rompre avec la prégnance d’une approche des apprentissages et de la réussite scolaire qui en néglige les circonstances et accepter la nécessité que ces apprentissages se fassent en différents lieux, temps et contextes aux relations diversifiées.
Autant de partenaires à reconnaitre dans leurs rôles, missions, compétences, spécificités et complémentarité.
Notes de bas de page