Quels enseignants voulons-nous pour quelle école ?

« Le Soir » du 4 juin titrait : « Universités : les recteurs réclament cent millions d’euros ». Cette revendication est aussi valable pour les Hautes Ecoles.

Sans vouloir tomber dans un corporatisme inapproprié, je pense particulièrement au secteur que je connais mieux : les catégories pédagogiques. Il s’agit de cursus professionnalisants qui forment en trois ans des bacheliers instituteurs préscolaire, primaire ou agrégés de l’enseignement secondaire inférieur.
A l’heure où, périodiquement, on parle d’une « mastérisation » de cette formation, il est plus que nécessaire de se pencher sur la problématique de l’articulation entre la formation attendue, la formation proposée et la question sociétale « quels enseignants voulons nous pour quelle école ? ». Je m’explique. Aujourd’hui, dans une proportion croissante, les étudiants qui s’engagent dans ces études, parfois comme second choix, sont issus de l’enseignement secondaire qualifiant. Il faut dire qu’un certain nombre d’entre eux, de même d’ailleurs que des diplômés de l’enseignement secondaire général et ceux qui ont débuté d’autres études supérieures, ont quelques lacunes pour démarrer raisonnablement ces cursus d’études : maîtrise orale et/ ou écrite de la langue française insuffisante, posture réflexive trop peu développée, fondements de connaissances générales trop rudimentaires, surtout dans la discipline choisie.

Diplômés « petit format »

Sans compter les représentations de départ qu’ils ont du métier, qui sont partiellement erronées et parfois simplistes alors qu’être enseignant aujourd’hui est de plus en plus complexe et doit tenir compte de multiples facettes insoupçonnées chez les débutants (ce qui est tout à fait normal). Ces quelques manquements ne sont pas un problème en soi et seront pour beaucoup comblés au cours de leur formation. Néanmoins, il faut aussi reconnaître que, pour une autre partie de ces étudiants, la formation proposée ne comblera pas ces difficultés, ou alors trop partiellement. Certains seront même diplômés sous le vocable interne de « petit format ». Nous pensons que ces enseignants s’amélioreront par l’expérience et leur formation continue, mais rien n’est moins sûr.
Nous pourrions aussi accentuer nos exigences, au risque de ne plus diplômer grand monde. Car il nous faut entendre que pour un bon nombre de ces étudiants, l’accession au métier d’enseignant est et reste un vrai ascenseur social qui va leur permettre de se hisser non seulement par leur statut social acquis (malgré tout, le métier d’enseignant reçoit encore un important degré de confiance, voire de notoriété de la part de la société, en particulier dans les milieux socioculturels plus défavorisés), mais aussi par une garantie d’emploi quasi assurée en cette période caractérisée par une hausse démographique et une pénurie latente dans cette profession, surtout dans les grandes villes. Cette considération est suffisamment importante que pour la souligner.
Ainsi, au nom de l’équité, valeur fondamentale à défendre, mais aussi au nom de la qualité de la formation des enseignants à maintenir, valeur tout aussi fondamentale, les Hautes Ecoles pédagogiques sont de plus en plus prises entre le marteau et l’enclume. Se posent alors deux questions antagonistes : voulons-nous des enseignants compétents (selon les compétences définies par le législateur) qui, non seulement, maîtrisent les disciplines enseignées, la langue de l’enseignement autant à l’oral qu’à l’écrit, mais peuvent aussi développer des pédagogies et des didactiques pertinentes et ada tées à leurs élèves caractérisés par l’hétérogénéité et la diversité sociale et culturelle ? Ou voulons-nous des enseignants qui ont, certes, d’autres compétences sans avoir suffisamment atteint celles citées précédemment, mais auxquels nous voulons donner une chance de développement professionnel et personnel ?
Bien entendu, la réponse à cette question ne peut être tranchée par une simple opposition ; bien entendu, à la sortie de la formation initiale, un enseignant en début de carrière forgera sa formation par l’expérience, l’échange et sa propre formation continue, laquelle reposera en grande partie sur sa seule volonté.

Enseignants hyper-compétents

Mais derrière cette interrogation, il y a une autre question d’ordre politique qui attend une réelle clarification : quelle école voulons-nous ? Il semble justement que si nous voulons une école émancipatrice qui réponde le plus possible à ses grandes missions définies par le législateur et, par cascade, tente de mettre progressivement fin aux profondes inégalités scolaires et à l’hécatombe de l’échec scolaire, il importe qu’il y ait dans les classes des enseignants hypercompétents, ce qui est encore plus indispensable dans les écoles qui accueillent les publics les plus fragilisés.
Au vu de toutes les considérations développées ci-dessus, il est de moins en moins sûr que les formations pédagogiques puissent actuellement répondre à cette commande. Il existe néanmoins une alternative qui devrait permettre de répondre aux deux postures a priori antagonistes. Il s’agit d’une part de proposer systématiquement des tests diagnostiques afin que l’étudiant entrant dans ces cursus se situe d’emblée face aux exigences qui l’attendent et, d’autre part, de fournir aux Hautes Ecoles pédagogiques, à l’instar de la revendication des universités, des moyens afin d’accompagner les étudiants en difficultés par des remises à niveau intensives, des services d’aide à la réussite en nombre pour encadrer les étudiants plus fragiles, y compris dans la dimension psychologique et identitaire.
Et selon le principe des vases communicants, ces investissements nouveaux seront à terme compensés par des économies réalisées par la diminution de l’échec scolaire d’élèves qui auront devant eux des enseignants efficaces et efficients. Voilà une visée politique à long terme qui va bien au-delà d’un décret qui abolirait le redoublement.

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