Rigueur, un mot rarement au pluriel. Pourtant, je suis convaincu que mon métier d’instituteur est fait de rigueurs qui semblent parfois anodines, cachées par exemple dans des consignes qui s’élaborent, se retravaillent et s’affinent au fil de la reprise de l’activité d’année en année…
En deuxième primaire, nous commençons une série d’activités mathématiques autour de la composition additive de « grands nombres ». Les pièces et billets en euros constituent le matériel choisi comme support pour la première séquence. Il s’agira de préparer un montant précis en utilisant le moins de pièces et de billets possible. Lors de la première mise en place de cette activité, j’avais demandé de dessiner individuellement les solutions trouvées et les dessins étaient ensuite affichés au tableau pour des mises en commun. Comme c’étaient presque toujours les mêmes qui arrivaient avec une proposition correcte, le découragement s’installait vite chez les autres… D’où l’importance d’essayer d’y aller autrement !
La banque
Cette fois, une table qui représente la banque est installée : un élève y distribuera les pièces et billets demandés. Quelques contraintes, présentées comme les règles du jeu, sont mises en place :
On travaille par équipe de deux et chacun à son tour viendra à la banque prendre un seul billet ou une seule pièce à la fois.
On ne peut pas rapporter à la banque un billet ou une pièce qu’on a déjà emporté.
On cherche une solution avec le moins de pièces et billets possible.
Chaque équipe dispose d’une feuille d’essais qu’elle peut utiliser si nécessaire, mais qui doit rester sur la table de l’équipe.
Chacune de ces règles est mise en place pour provoquer anticipation, concertation et organisation de la recherche. C’est le cadre de l’activité, qui devrait permettre aux élèves de démarrer sans devoir se poser nombre de questions énergivores, comme, par exemple : qui va à la banque ? Ce cadre ferme des portes tout en faisant en sorte que les conditions de la recherche seront bien les mêmes pour tous. On perd en liberté et on gagne en cohérence, en égalité tout en laissant une place importante à la communication et à la découverte d’un processus qui conduit à une solution.
Le cadre pourra être complété ou amendé au fil des mises en commun. Ainsi, après le premier tour d’activité, on précisera qu’on peut venir à la banque seulement pour regarder les billets et les pièces sans en demander, histoire de vérifier si les pièces de 3 € existent ou pas.
Les gros billets
Les enfants cherchent avec 79 €. Au moment de la mise en commun du travail de chaque équipe, les enfants comparent ce qu’ils ont sur leur table et commentent :
On a trop de choses sur la table parce qu’on n’avait pas pensé à prendre un billet de 20 au lieu de nos deux billets de 10, alors maintenant, c’est juste, mais on en a un de trop.
On n’a pas écrit sur la feuille et on a été trop vite, alors on a toutes les deux pris un billet de 5.
J’avais pris 50 et 20 et 10 parce je me suis trompée en comptant, alors maintenant on va compter sur la feuille d’abord.
On ne savait pas comment faire pour commencer.
On a perdu du temps parce qu’on croyait qu’il y avait des billets de 30 €, puisqu’il y a des 10 et des 20.
Ainsi, ces constatations feront que des erreurs se produiront moins souvent, voire disparaitront au fil des demandes suivantes. L’utilisation de la feuille de brouillon devient plus systématique, pour y consigner des essais ou encore y indiquer qui va venir demander quoi au banquier.
Le groupe qui ne voyait pas comment commencer a pu entendre des autres qu’ils prenaient d’abord les gros billets : « Si on prend plein de pièces de 1 €, alors on en aura trop ! C’est mieux de demander 50 € pour commencer et après tu comptes ce qui manque et tu regardes à la banque ce qui va bien, mais surtout les gros billets, mais pas les trop gros. »
Dans la mesure où les équipes sont constituées d’élèves ayant à priori des forces proches dans ce domaine (bien que je me trompe encore régulièrement à ce sujet !), l’obligation de venir chacun à son tour à la banque va permettre à tous de prendre part à l’activité, y compris les élèves qui se sentent (déjà !) moins compétents. Cette règle a été mise en place suite à des activités précédentes au cours desquelles j’ai pu constater que les tâches dans une équipe sont souvent dévolues aux mêmes élèves ou que la distribution des tâches cachait des enjeux qui devenaient plus importants que le travail lui-même ! Si les enfants ont des compétences trop différentes, l’un risque fort de devenir l’exécutant de l’autre.
L’obligation de venir chacun à son tour force à se parler au sein de l’équipe, de façon empirique d’abord, plus organisée ensuite : les enfants constatent qu’en se mettant d’accord par écrit sur l’ordre de passage et des demandes, il y a peu d’erreurs.
Au moment du bilan de l’activité, Natasha déclare : « Ce n’était pas gai parce que Martin faisait le chef et décidait tout ! » Et si, la prochaine fois, je mettais ensemble Martin et un autre « chef » ?