Dans le cadre de La culture a de la classe [1], je participe avec des élèves de 4e secondaire à des animations de la Ligue d’improvisation durant une dizaine de séances. Avant qu’elles ne débutent, nous avons pu assister à un match avec des professionnels et tout un décorum. Le but final est de réaliser un tournoi avec une école pas très éloignée de la nôtre et qui s’y prépare tout comme nous.
J’avais un apriori par rapport à ces joutes verbales. Je pensais (et je le pense encore, mais dans une moindre mesure) que c’était destiné à ceux qui savent déjà. Parler dans le vide à partir d’une situation donnée, c’est surtout à la portée de ceux qui ont déjà de l’aisance à oral. Les bien nés, ceux qui ont le verbe facile et qui aiment s’écouter parler et être écoutés.
Tant qu’à faire
Première contrainte : le temps. Les improvisations sont minutées à la seconde près. Lors des premières séances, notre coach le laissait choisir à la personne qui osait s’exposer. « Vingt secondes, c’est ok pour toi ? » Par la suite, lors des essais collectifs, la durée s’est rallongée progressivement : une minute, une minute trente, deux minutes, pour arriver à maximum de trois minutes.
Un arbitre-assistant tient un chrono et annonce : « Plus que trente secondes » puis, il décompte les dix dernières secondes avec les doigts des deux mains.
Les acteurs sont mis sur la sellette, mais il y a un début, un temps bien défini et une fin. Ça rassure.
C’était la dernière
Le titre est lancé, les équipes ont trente secondes voire une minute pour se concerter. Toutes les discussions se déroulent en présence du coach et du capitaine, deux rôles investis avec beaucoup de sérieux.
La dernière danse ? La dernière de la file ? La dernière clope ? Oui, oui, c’est bon ça ! On envoie deux membres sur scène, ok ? Qui veut y aller ?
Vas-y José !, Commence déjà avec deux !, La trottinette électrique, Le lendemain de la veille... Les mises en thème sont souvent drôles, elles apportent un cadre tout en nourrissant un imaginaire. Elles libèrent une parole collective qui va servir de fil conducteur au jeu des acteurs venant affronter ceux de l’autre camp.
Lors d’une improvisation mixte, les deux équipes envoient des émissaires qui jouent simultanément. Il faut alors tenir compte du jeu des adversaires, il faut former un seul groupe et ce qu’on avait imaginé au départ peut passer complètement à la trappe.
Il y a un grand principe en improvisation, c’est qu’on ne peut pas refuser ce que les autres apportent. « Alors, ça va Pépé, les rhumatismes ? » : celui qui pensait incarner un jeune homme à la rencontre de sa bienaimée se retrouve dans la peau d’un vieillard ayant du mal à se déplacer ! Une gymnastique mentale s’impose pour adopter, physiquement et dans les propos, ce petit vieux qui vient de faire irruption.
Encore une couche
Dernière grosse contrainte : les catégories.
Pour les faire découvrir, Marie a photocopié une liste. Chaque équipe en a choisi une et a tenté de se l’approprier à l’abri des regards des autres. Lors du rassemblement, la présentatrice (nouveau rôle), explique la catégorie sélectionnée. L’animatrice donne un titre à l’impro et l’équipe a une minute trente pour illustrer la situation avec la catégorie.
Quelques exemples : à la manière d’un film d’horreur, chantée, croisement (les joueurs doivent s’échanger leur personnage quand l’arbitre siffle), Harold (tout le monde connait et parle d’Harold, mais personne ne le voit jamais sur scène…)
Le thème ayant été imposé et la façon de le jouer aussi, la liberté réside dans les actions, les propos…. Les contraintes sont vécues comme des défis à relever.
Coup de sifflet
Pas de match sans arbitre et, dans cette classe, nous en avons trois : Siham, en chef, le sifflet prompt, signale les fautes ; Gil, chrono à la main, contrôle le temps en maitre et Coline note consciencieusement les points et les fautes dans son petit carnet noir.
Deux pages complètes reprennent les erreurs à ne pas commettre. Marie, après avoir formé quatre équipes, confie le soin à chacune d’elles d’illustrer quatre pénalités. On devra s’entrainer à les mettre en scène pour que les autres groupes s’exercent à les identifier.
Par exemple : sortie de thème si ce dernier n’est pas respecté, confusion lorsqu’un manque d’écoute fait que plusieurs idées s’emmêlent ou qu’une situation installée n’est plus respectée, retard de jeu soit les équipes ne montent pas assez vite sur scène, soit l’histoire n’avance pas.
Prendre le contrepied de la règle a été un moment drôle et, en même temps, très instructif.
Score final
Tournoi de clôture dans notre Agora avec l’école voisine. Le groupe est composé de primo arrivants scolarisés en français depuis un an ou deux. Il est clair qu’au niveau de la langue, mes élèves leur étaient largement supérieurs, mais nos invités se sont surpassés par le jeu, le comique, la gestuelle.
Dans mon camp, j’ai vu une nette évolution pour certains, ils se sont révélés en campant des personnages surprenants, avec de la répartie. D’autres sont restés plus discrets ou ont occupé des postes comme assistant arbitre. Tous ont participé à l’élaboration de fiches utilisées ensuite lors des matchs.
Tous disent avoir appris, ils pointent tel ou tel moment où des compagnons les ont surpris. Ils font des hypothèses intéressantes sur ce que l’impro peut leur apporter.
Pour ma part, j’ai pu constater qu’il a fallu plonger les élèves dans des difficultés pour qu’ils se prêtent au jeu, pour qu’ils aient envie de s’investir.
Les moments où ils ont été le plus attentifs, c’est lors des improvisations sur scène. Je pense qu’ils ont évolué aussi par comparaison. Ils se sont inspirés des idées, des personnages des autres. Dans les improvisations mixtes — celles où chaque équipe envoie des joueurs —, il a été frappant de voir les progrès accomplis. Au début, chacun arrivait sur scène avec son idée toute faite qu’il cherchait à imposer à l’autre. À la fin, même si cela restait difficile, ils se sont mis à l’écoute et à construire ensemble.
Je pense que l’imaginaire de chacun a pu être sollicité, développé aussi et les réponses très personnelles à la dernière question d’évaluation de l’animatrice ont pu nous le prouver aussi.
« Que pensez-vous de l’importation de cactus en Laponie ? »
[1] Projet subsidié pour faire venir des artistes dans les écoles.