Sous l’habit, le moine

« L’élève doit être capable d’assurer l’exécution d’un vêtement depuis sa mise en œuvre jusque l’après-vente afin de satisfaire la démarche commerciale dans le cadre du niveau de la formation professionnelle.»

Après avoir participé comme membre du jury à l’évaluation de l’épreuve de qualification du troisième degré en professionnelles habillement, j’ai regretté que l’élève soit si peu valorisé en tant que personne. L’évaluation portait exclusivement sur des compétences, un savoir-faire sélectionné et préparé par le professeur et évalué à huis clos par le professeur et le jury.

Dépasser la tradition

Professeur d’habillement dans le troisième degré, j’ai participé, avec les autres enseignants du cycle, la direction et les responsables pédagogiques, à la modification de l’épreuve de qualification. Nous avons voulu la rendre plus valorisante pour les élèves, leur offrir une participation plus grande et la centrer sur leur propre projet de vie.

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Les objectifs poursuivis étaient de mettre l’élève au centre des apprentissages techniques en l’impliquant personnellement ; lui permettre de se situer par rapport au monde qui l’entoure en l’observant pour mieux le connaitre ; l’accompagner dans sa découverte de la mode, l’aider à faire des choix par rapport aux modes et collections où la femme est souvent présentée comme un objet de luxe inaccessible.

L’élève doit pouvoir s’exprimer et réagir afin d’agir sur le monde qui l’entoure par des réactions réfléchies, par la création de vêtements adaptés aux situations vécues, à la personne qui les portera et aux moments où il sera porté.

Confronter la réalité du monde et ses propres limites, en tenant compte de son physique ; s’accepter comme on est, en tenant compte aussi de ses capacités gestuelles et intellectuelles, voici aussi des préoccupations à réfléchir entre élèves et professeurs.

Enfin, donner l’accès à la réussite pour tous, quelles que soient leurs spécificités techniques, physiques, mais aussi culturelles et philosophiques.

Se dépasser

Les principales étapes de cette démarche s’appuient au départ sur le choix du modèle et du tissu, respectant les critères déterminés par le niveau d’études. Ce choix est personnalisé et justifié, au travers de documents écrits et d’échanges en groupe classe.

Le travail de préparation technique peut dès lors se développer sur quelques semaines, à savoir la recherche et le choix du gabarit de base, la construction des patrons industriels, l’achat des fournitures, l’élaboration de la méthode de fabrication et la mise en route d’un dossier dans lequel sera consigné tout le chemin parcouru.

À mi-parcours, une rencontre avec les professionnels du métier, membres du jury, donnera l’occasion d’un dialogue réaliste et par une critique constructive encouragera l’élève à poursuivre et à mener à bien son projet.

Une évaluation progressive sera appliquée tout au long des étapes préparatoires selon une grille tenue par l’élève afin de suivre son évolution vers le but final. L’accompagnement des élèves concerne les différentes disciplines de cours qui se sont investies dans ce projet et est assuré par les professeurs.

En fin d’année scolaire, l’élève réalise la pièce d’épreuve et clôture le dossier par un calcul du prix de revient. Ce travail lui permet de comparer les différents éléments qui en font partie et de mesurer la valeur de chacun. Cette démarche de calcul du prix permet de valoriser le travail de l’élève, mais est aussi l’amorce d’une réflexion sur la société de consommation dans laquelle nous vivons.

Devant le jury, l’élève présente son projet avec les commentaires utiles afin de valoriser le travail accompli et faire la démonstration des compétences acquises.

Dépasser les obstacles

La tâche fut ardue au niveau de l’interdisciplinarité, elle fut immédiatement gratifiante au niveau de l’engagement des élèves dans le programme de leur réussite.

Ce projet demande un investissement plus grand de la part des professeurs et une constante adaptation, mais, élèves et professeurs sont fortement enrichis par une meilleure connaissance les uns des autres, acquise au travers des rencontres et échanges vécus tout au long de l’année.

J’ai rencontré des difficultés. Faire exprimer les élèves de l’enseignement professionnel est une tâche ardue, mais leur expression est facilitée par le support concret : le tissu, le modèle, la méthode, les circonstances,… L’écriture est aussi une difficulté. Tous les enseignants doivent s’allier pour que les élèves de professionnelles surmontent cette difficulté du passage à l’écrit.

La nécessaire coordination entre les différents professeurs n’est pas simple. L’enseignant est individualiste, rencontrer l’autre est difficile, mais les rencontres des professeurs autour des projets d’élèves facilitent les échanges. Ces temps de concertation montrent aussi à l’élève combien il est important aux yeux des enseignants et que son avenir ne les laissent en rien indifférents. Il reste encore la relative importance du temps. Calculer le prix de revient d’un vêtement en y incluant le calcul de la main-d’œuvre montre le poids que doit prendre le temps, lorsqu’on lui attache une valeur financière.

Toute méthode présente des lacunes, celle-ci n’échappe certainement pas à la règle. J’y ai retenu cependant plus de raisons d’exercer mon métier et plus de satisfactions professionnelles, ne serait-ce que par la reconnaissance du travail réalisé par les enseignants du professionnel et la fierté des élèves lorsque leur travail est apprécié par des spécialistes de leur branche.