L’économie à l’école ? Oui, bien sûr ! Mais pour quoi faire ?
Pour imposer du prêt-à-penser ou pour apprendre à penser le monde ?
Dès qu’un groupe de personnes vit une expérience commune, inévitablement, une série de questions d’ordre économique se posent. Quelles sont les ressources dont nous disposons ? Que pouvons-nous faire de ces ressources ? D’où proviennent-elles ? Comment pouvons-nous en produire d’autres ? Comment pouvons-nous les répartir ? Est-ce qu’on peut les échanger ? Où, auprès de qui et comment pouvons-nous nous procurer d’autres ressources ?
On ne peut poser les questions économiques (production, utilisation, répartition et échange des ressources) que si on accepte de poser des questions sensibles, et les occasions ne manquent pas dans la vie de la classe et de l’école, du fondamental à la fin du secondaire.
Dans le fondamental, dès le plus jeune âge, le mystère de l’argent est une source riche de questionnements intéressants, mais qui sont trop souvent, soit évités (avec le grand Saint-Nicolas) ou abordés pour faire la morale. Inévitablement, ces questionnements surgissent dans la vie de la classe : avec les cadeaux d’anniversaire, les questions sur les professions des parents, à l’occasion d’un projet de classe, et avec les frais scolaires (garderie, étude, cantine, matériel scolaire…). Quand un enfant dans un jeu écrit 50 € sur un bout de papier, il crée de la monnaie et se pose des questions sur les prix. Quand il observe l’utilisation des distributeurs de billets, il se pose des questions sur l’origine de l’argent, les banques, les revenus... D’autres questions tournicotent : qui fabrique les objets, qui les répare, les comment ça marche, les besoins de matériel, la rénovation des toilettes, l’observation de la construction d’un bâtiment proche de l’école, une sortie ou une petite fête de classe… Autant d’occasions à saisir pour construire progressivement des concepts et des représentations qui permettent de mieux comprendre et penser les systèmes économiques et leurs enjeux. Jusqu’à la fin du secondaire.
Faire l’économie des sciences humaines
Ces questions économiques en appellent d’autres. Comment décider ensemble des réponses à donner à ces questions ? Au nom de quelles valeurs ? Comment s’organiser en conséquence ? Quelles réponses à ces questions a-t-on données dans le passé ? Comment font les autres ? Quelles ont été, quelles sont les conséquences ? Y a-t-il moyen de faire autrement ?
Il n’y a pas de réponse univoque à toutes ces questions. Inévitablement, les questions économiques se lient aux autres sciences humaines : les sciences politiques, philosophiques, sociologiques, géographiques et historiques.
Mais, les replis sur les disciplines sont aujourd’hui de mise pour rassurer les adultes qui les défendent. Au contraire, pour tenter de donner du sens à leurs questionnements, les enfants et les jeunes sont prompts à convoquer les disciplines ensemble. Particulièrement en économie parce que la proposition dominante apparait de manière évidente comme injuste, désincarnée de la réalité et incapable de marcher en dehors de ses hypothèses simplificatrices.
L’histoire économique a été sortie des programmes de l’option économie qui peut désormais se limiter à l’apprentissage de mécanismes et de lois qui, sous le couvert de la science, contraignent la pensée au lieu de l’ouvrir au questionnement. Et même quand des enseignants veulent donner une ouverture critique, c’est trop souvent pour induire de nouveaux comportements jugés meilleurs (économie d’énergie, manger sain, trier les déchets).
Mais, comment pourrait-il en être autrement si l’on s’interdit de sortir du corpus économique, si les questions politiques sont taboues, si l’économie n’est pas plongée dans le social, si elle n’est ni territorialisée ni inscrite dans l’histoire des luttes et des conflits ?
Entre l’éducation civique (apprendre à gérer son argent pour vivre avec ce qu’on a et ne pas s’endetter trop) et l’inculcation de la mécanique des lois pseudo naturelles de l’économie capitaliste (le marché, les prix et la concurrence, le libre échange et la vérité par le profit), entre l’éducation civique alternative (apprendre à consommer moins, bio et équitable) et l’inculcation de comportements responsables au nom du réchauffement climatique (trier, consommer moins d’énergie, recycler), les enfants et les jeunes risquent d’attendre encore longtemps les outils et les concepts qui leur permettront de penser le monde en y intégrant les enjeux économiques.
Les apprentissages en économie se limitent trop souvent à des litanies de définitions et à des lois mécaniques ou à des bonnes réponses, celles de l’idéologie dominante, à apprendre. Or l’économie n’est qu’un art du questionnement qui ne trouve de réponses que sur base d’un positionnement citoyen, donc interdisciplinaire.
Ou faire de l’économie avec les sciences humaines
Apprendre l’économie à l’école, ce serait apprendre à se poser les questions économiques en convoquant les sciences humaines au sens large. C’est-à-dire apprendre à faire des choix économiques conscients, inscrits dans le questionnement politique et philosophique, et à comprendre les conséquences de ces choix. Apprendre à les inscrire dans l’histoire et la géographie du monde, du local au global. Pas pour faire des débats, mais pour construire des outils, des méthodes et des concepts issus de ces sciences humaines, pour apprendre à s’appuyer sur eux pour comprendre et penser le monde. Rigoureusement, avec toute la panoplie des outils et méthodes que chacune des disciplines des sciences humaines est en mesure d’apporter, en partant des questionnements et des propositions des élèves.
Le risque est cependant grand que ces questions ne soient abordées que comme des prétextes à débats ou à l’introduction de notions à apprendre. Pour l’économie, comme pour l’ensemble des sciences humaines, ces questions ne déboucheront sur de véritables apprentissages que si elles sont abordées comme de véritables questions de recherche : apprendre à les formuler, à faire des hypothèses, à les tester et chercher à théoriser sur cette base. Et accepter que, par conséquent, les réponses ne seront pas univoques. Et accepter que, dès que l’ont fait des sciences humaines, on questionne aussi le milieu dans lequel on vit. On revient à la base : éduquer à la citoyenneté à l’école n’a de sens que si cette citoyenneté peut s’exercer aussi sur et dans l’école de manière crédible.