Tout, tout de suite

Si faire mouvement, c’est travailler ensemble avec un but commun et se renforcer, nous avons été assez efficaces. Si faire mouvement c’est créer la vague qui fait bouger les lignes, le bilan est moins glorieux.

Quand je dis nous, je parle de ce milieu associatif dans lequel baigne CGé, et donc moi aussi. Peut-être pourrions-nous profiter de la force ainsi gagnée pour sortir de notre petit cocon et repolitiser le débat, ensemble, avec d’autres associations agissant dans d’autres champs.

Y a-t-il un militant dans la salle ?

Nous sommes des spécialistes, imbattables dans notre domaine, avec « le terrain » comme légitimité et le changement social comme objectif. Nous nous réunissons entre nous, nous utilisons le collectif comme méthode et comme moteur, nous sommes dans l’action et nous voulons agir maintenant, transformer le contexte, nous transformer nous-mêmes, transformer les autres. Nous avons comme repères communs la lutte contre les dominations, la construction collective des décisions et la volonté d’en finir avec le capitalisme libéral.

Mais chacun dans notre petit domaine, chacun dans notre petit fief.
Nous sommes financés par l’État et, parfois, concurrents pour les mêmes financements. Les emplois de nos différentes associations, nos actions, notre vitalité en dépendent. Nous sommes évalués par l’État et nous nous sommes professionnalisés pour répondre aux critères de ses évaluations, parce que notre financement en dépend. Cela nous a rendus plus rigoureux et plus savants, plus crédibles aux yeux des dominants et cela nous donne le sentiment de pouvoir agir sur leurs décisions. Mais chacun dans notre petit domaine.
« N’existons-nous que pour permettre aux dominants de mieux comprendre les dominés ? »
Cela nous permet de communiquer avec plus d’assurance et une certaine prétention à avoir raison. Mais cela ne nous permet en rien de transformer notre discours sur le changement social en action sur les systèmes que nous critiquons, d’agir sur la réalité.

Faut (bien) vivre

Tout se passe comme si nous n’existions que pour permettre aux dominants de mieux comprendre les dominés ou pour nous aider à supporter de vivre à l’articulation des dominations avec la conscience d’y participer peu ou prou, cherchant à y échapper personnellement et refusant d’y être mêlés professionnellement. Stratégie de survie donc, aux effets peu convaincants sur les dominations, mais non négligeables cependant sur les individus que nous sommes, soit parce qu’elle donne un sens acceptable pour nous à notre activité professionnelle, soit parce qu’elle nous donne une place acceptable dans un système qui ne l’est pas à nos yeux. Et nous nous consolons en disant que ça aide « les gens » à commencer à penser « autrement ». Mais où donc est le changement social attendu, et surtout dans quel sens va-t-il dans la réalité ?
Dès lors, même si le doute s’insinue de temps à autre, nous sommes devenus très habiles pour transformer les enjeux en questions techniques, et la question de l’engagement en conscience professionnelle.
Le champ social de nos associations est morcelé, on peut donc y parler de changement social sans le penser politiquement. Nous nous inspirons du discours produit dans les autres champs (culturel, pauvreté, environnement, travail, jeunes, développement,…), mais nous nous gardons bien d’en assembler les pièces, alors que (ou parce que ?), sortant certes de notre domaine spécialisé, et perdant du même coup notre assurance de crédibilité professionnelle, nous nous trouverions dans l’obligation de choisir ensemble de lui donner une forme politique. Non comme spécialiste, mais comme citoyen. En assemblant, en cherchant à coagir, nous serions amenés à lier la question du changement social à la question politique : quelle sorte de monde voulons-nous, et que sommes-nous prêts à faire ensemble pour y parvenir ? Nous ne serons capables d’agir politiquement que si nous reconnectons les différents domaines dans lesquels nous agissons, certes avec beaucoup de conviction, mais avec des effets assez limités.

Concrètement, soyons positifs

Nous sommes compétents et sommes heureux de l’être. Profitons de cette béatitude reposante pour aller plus loin. Je pense que le moment est favorable à la constitution d’un grand rassemblement associatif.
La droite a pris toute la place et ne va pas tarder à nous reléguer là où nous ne voulons pas être, dans le rôle d’emmerdeur marginalisé. Les questions sociales se durcissent et les questions politiques qu’elles posent redeviennent plus visibles. Notre discours technique et nos actions limitées en perdent de leur crédibilité alors qu’ils n’ont jamais été aussi pertinents, chacun dans leur domaine.

Ce texte est un appel, un appel au sein de CGé pour qu’y soit menée une stratégie fédératrice au sein du monde associatif, afin de reconstituer le grand puzzle du changement social et de lui redonner un projet politique : proposer ensemble, nous engager ensemble, agir ensemble pour modifier les rapports de force dominants/dominés.

Ce texte est donc aussi un appel aux associations sœurs des domaines de l’interculturel, du développement, de lutte des femmes, de l’éducation à l’environnement, de lutte contre la pauvreté, d’alphabétisation, d’aide à la jeunesse… pour commencer sans attendre à penser les formes, le cadre et les outils qui nous permettront d’agir politiquement avec plus de force et de forces, plus d’engagement et d’engagements.