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Commandes & Abonnements

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Une convention lie la maison de quartier MOSAIC avec mon école. En échange de l’occupation de la salle de gym et du terrain de sport, certaines classes bénéficient d’animations de Drama pendant six séances...

À l’école, j’avais brièvement décrit le type d’activités que nous allions expérimenter : des jeux, des mimes, le figé pour apprendre à se contrôler...
L’animateur, Nenad, nous accueille avec deux jeunes de Mosaïc qui viennent faire les passeurs d’un savoir qu’ils maitrisent bien. Le responsable nous explique le jeu de présentation : se mettre en cercle, s’avancer seul au centre, dire son prénom, se figer 3 secondes et repartir. Ici, pas de monsieur madame, chacun est participant et on s’appellera tous par nos prénoms. Petits rires… et c’est parti.

Où l’on apprend à coopérer

« Bâbord-tribord » : on court, on se défoule et on revient au cercle. Il faut s’avancer à nouveau, dire son prénom et en plus un mot qui commence par la même lettre. Certains calent, d’autres ne se posent pas trop de questions : Miloud — Malin, Fatim — Ferme… On reprend l’exercice et Nenad nous demande d’associer un bruitage au mot que l’on vient de choisir. Certains passent leur tour, l’animateur revient gentiment à la charge : « Lâche-toi, la première chose qui te passe par la tête...  » Ismaël s’avance enfin, mais sans bruit, il avait choisi le mot image !
« Chaise musicale », de manière compétitive d’abord de manière coopérative ensuite. La musique défile et les chaises disparaissent petit à petit. Les uns montent dessus, d’autres prennent leur copain sur les genoux. Il a fallu trois tours avant que les élèves coopèrent avec moi...
L’animateur nous divise en deux équipes, nous sommes des serpents. Déplacement en musique, en imitant le serpent de tête. Au clap, le premier devient le dernier. Déplacements dans l’espace, je découvre mes élèves autrement que derrière leur bureau.
On construira aussi une machine humaine avec un geste et un son : cohésion, surprise. Nous terminerons par un classique « Pauvre petit chat. » La maitrise dont ils font preuve pour ne pas éclater de rire me sidère. En classe, tout est prétexte à débordements.
La séance se termine par un cercle de parole où chacun peut s’exprimer par rapport à l’animation vécue : « C’était trop cool. C’est mieux qu’un cours d’EDM. On pourra revenir ? C’est quand les autres jours ? »

Où l’on se met en scène

Cette fois-ci, la classe est au complet. Nenad leur rappelle le « figé » et refait un cercle avec prénoms au centre. Ensuite, des jeux pour que la sauce prenne avec tout le groupe. Les élèves demandent à être meneurs de jeu. L’animateur passe la main, et intervient pour cadrer : les décisions du leadeur ne se contestent pas, on est éliminé, on se met sur le côté et ça continue...
Ensuite, en deux sous-groupes, nous allons devoir construire des statues. Quelques consignes mimées avec des volontaires : on ne tourne pas le dos au public, on crée des hauteurs différentes, on forme un tout, on peut se toucher, mais chaque élément peut être extrait de la statue sans que le tout s’effondre. Il nous donne un thème commun « l’école » et nous devons en trouver un deuxième. Les uns choisiront la rue et les autres, le terrorisme... Un temps de préparation puis un des groupes sur scène, l’autre comme public. Des applaudissements salueront le travail de chacun.
En classe, je passe du temps à réprimer le bruit. Peur de déranger la classe d’à côté, peur de l’intervention d’un éducateur ou d’un directeur venant voir ce qui se passe. Ici, le bruit est en même temps très libre et très cadré. Pas de débordements... Ils me surprennent.
Encore des petits jeux et puis, le « Jargon » : émettre des sonorités comme dans une conversation, mais ne voulant rien dire dans aucune langue. L’animateur nous demande de nous mettre en cercle, d’imaginer une phrase et puis de la dire en jargonnant, il montre l’exemple. Rires, gêne, ça semble dur. Nenad pose deux tabourets sur scène, nous propose un large choix d’accessoires (foulard, chapeaux, lunettes, sacoches...) et nous demande d’en prendre un. Et par deux, nous venons nous produire dans cet espace en campant un personnage et en nous exprimant avec nos bruitages.
Pour terminer, deux jeux et le cercle de parole : « C’était bien. C’est payant si on vient pas avec l’école ? C’est quand la prochaine fois ? »
J’exprime qu’il a fallu faire beaucoup de rappels à l’ordre pendant la séance, certains ne prêtent pas assez attention à ce qui se passe sur scène. Nenad rappelle le besoin de respect et d’écoute. Il attend des progrès.

Où l’on se fait exclure

La séance débute par un « Balle chasseur ». Je sors de mon rôle de participante, Ismaël vient de lancer la balle à toute volée. Ils sont dans l’excitation du jeu et n’anticipent pas toujours les conséquences de leurs gestes, ils pourraient facilement se faire mal. Le contrôle, ça s’apprend.
L’activité suivante nécessite que l’on se serre en rond les uns contre les autres et que l’on se tienne par la taille. Un participant est choisi préalablement et doit venir toucher le dos de la personne qui lui est désignée. Lors de la mise en cercle, je suis attentive à Nawal, elle qui ne voulait pas « toucher » un garçon, elle va être servie. Elle se glisse entre l’animateur et moi et contourne ainsi cette difficulté...
Retour au calme, l’alternance de moments plus agités et plus concentrés a été pensée. Nouvelle consigne : choisir un objet dans le local, mais comme on est en l’an 3000, il ne peut plus avoir la même fonction. Mais... la chaise reste un siège, la percussion reste une chose sur laquelle on tape... Nenad se fâche un peu : trop de papotages, trop de temps perdu à répéter les consignes. On reprend en choisissant un autre objet... L’imagination se délie, on se lâche un peu. Progression : on doit passer chacun entre deux paravents avec notre objet et le mettre en scène. À nouveau, le public applaudit généreusement.
Comme des percussions sont dans le local, les élèves demandent à l’animateur de pouvoir faire du rythme. « Ils savent », disent-ils... Après petite démo de ceux qui prétendaient maitriser, on se rend compte qu’ils ne savent même pas les tenir correctement. Ismaël se fait exclure. Pendant qu’on essaie tous de reproduire le rythme que l’animateur vient de taper, lui, est occupé à passer son corps à travers le dossier de la chaise. C’est au tour de Kamal de proposer un rythme. Ismaël demande à rejoindre, permission accordée. Difficulté d’écoute, ils se défoulent, tapent trop fort. Moussa parle pendant les explications. Nenad, après avoir essayé de leur faire taper ensemble des noires, des croches et des doubles croches, renonce et arrête la séance 10 minutes avant la fin.
« Oh non », « Pourquoi ? », « C’était bien, on peut pas continuer ? En plus il pleut... » Nawal se fait féliciter, elle a tout fait à fond même si elle était la seule fille. Nenad leur parle respect, écoute, temps perdu...
Où l’on différencie la personne et l’acteur
La quatrième séance a été annulée : notre coach a un problème à la jambe. Je m’attendais à tollé, mais pas du tout, on s’est mis au travail en étude du milieu et j’ai même donné 1 h en plus, car la collègue de sciences était absente.
Nous sommes lundi, séance 5. J’ai été en formation le jeudi et le vendredi et je retrouve les élèves complètement éclatés. Leur devoir n’est pas fait, je les sens agressifs entre eux... J’ai des craintes, mais le rendez-vous étant pris, on y va. Ismaël vient me trouver : « J’espère que ça va aller ». « Il ne faut pas seulement espérer !!! Fais ce qu’il faut pour que ça se passe bien ! » Moussa n’est pas pressé de quitter l’enceinte de l’école, il cherche vite à télécharger quelque chose. Ionel tire la tête. Il a l’air d’avoir pleuré, mais ne veut rien me confier...
Nenad nous présente un jeune de Mosaïc. Il vient faire le relai auprès de nous : « Prêts à travailler ? »
« TRAVAILLER ??? » Mes élèves s’insurgent, à Mosaïc, ils n’ont pas l’impression de travailler, ils s’amusent ! Petit jeu de démarrage et puis, nous nous retrouvons assis, dos à dos par deux, au claquement de main nous devons nous redresser et prendre une mimique pour faire rire notre partenaire. Le lieu est suffisamment sécurisant que pour oser se montrer ridicule et plus on l’est, plus on a des chances d’arriver en finale.
Pour l’exercice suivant, Nenad nous campe un personnage très maniéré. Gros rires... Il leur explique qu’il y a une grosse différence entre ce qu’on est et le personnage qu’on incarne, on doit se permettre de jouer des rôles.
On se remet en cercle, la musique tourne et à tour de rôle, en rythme, on va s’avancer vers le centre avec une démarche, une mimique que tout le groupe devra reprendre par la suite. Ça reste très « sage » pour certains, mais d’autres commencent à oser.
Exercice de passage entre les paravents. La confiance acquise, l’envie d’occuper la scène font merveille. La moitié du groupe défile en musique, avec des ustensiles, en campant des personnages seuls, en duos ou en trio. L’autre demi-groupe forme le public. Ce qui se passe est vraiment magique. Le jeune « relai » bouche les trous, les passages sont fluides, il guide les plus hésitants, donne le ton et l’ensemble est vraiment intéressant. Deux élèves se lâchent particulièrement et ça me fait un bien fou de pouvoir rire avec eux.
Lors du cercle de parole final, Nenad leur dit : «  Je me suis amusé avec vous aujourd’hui », il les invite à faire le programme de la dernière séance. Tous les élèves sont enthousiastes et ils sont trois à présenter leurs excuses pour la séance de la semaine dernière. Moi qui avais des craintes en démarrant... et ces excuses spontanées alors qu’ils n’avaient pas l’air de réaliser ce qui n’allait pas à la séance d’avant. Je n’en reviens pas.

Où la magie opère

La veille, je leur ai appris un chant simple à 3 voix, en modifiant les paroles pour qu’il serve de remerciement à Nenad. Sur le trajet, ils le chantonnent et y ajoutent même une gestuelle.
On reprend quatre jeux qu’ils avaient demandés et puis un exercice : l’animateur pose trois chaises sur l’espace délimité comme étant la scène, un couvre-chef différent sur chacune d’elles. Il pose la casquette sur sa tête et incarne la colère, il se transforme en un voyou qui cherche la bagarre. Ensuite, un béret qui le rend soudainement triste, renfermé et pour finir, il enfile une cagoule qui le rend euphorique, il rit de bon cœur. Les élèves veulent tous passer. Il les envoie par trois et leur demande de créer des interactions sans se parler ! Ils peuvent jargonner et au claquement de main, ils devront échanger les couvre-chefs et donc les rôles. Moment tout simplement magique, tous osent et réussissent à rester dans le bon sentiment malgré les interactions des autres...
Quelques jeux encore, et un dernier exercice où l’un devient marionnette et l’autre sculpteur. Tout en douceur, avec humour, on fait prendre la pose...
Les élèves ont offert à Nenad le chant qu’on avait préparé, ils étaient beaux, fiers, drôles... Lors du cercle de fermeture : « C’était trop bien ! Le groupe en ressort plus soudé ! On s’excuse pour la séance qu’on n’a pas bien faite. On s’est bien amusé. »
Pour ma part, c’est le regard que je porte sur eux qui a changé. On a osé sortir des attitudes conventionnelles, prendre le risque de paraitre ridicule. Ce cocktail jeux - exercices a vraiment su les conquérir et en faisant le détour par le rire et la compétition, les élèves se sont permis des choses. Ils ont osé se décaler et laisser au vestiaire l’image qui leur colle tous les jours à la peau. Il y a eu des moments touchants, d’une belle intensité.