Pour concocter une recette savoureuse, il ne suffit pas de juxtaposer les ingrédients. Il faut beaucoup travailler avant, pour faire correctement travailler les autres après.
Apprendre une langue ne peut se faire que par l’action, pas en enseignant des règles de grammaire et en demandant de les appliquer. Il faut que les apprenants vivent des situations de communication authentiques, qui présentent des outils de langage pertinents et qui créent naturellement des opportunités non artificielles de se les approprier. Naturellement : qu’est-ce à dire ? Partons d’un exemple.
Dans ma classe, chaque cours commence par une activité que je prépare en réinvestissant des contenus travaillés antérieurement avec les étudiants. Par exemple, pour un groupe d’apprenants qui ont déjà appris à exprimer le présent, le passé et le futur, on démarre par un exercice de salutation. En classe, les bancs et les chaises ont été écartées, au son de la musique, tout le monde circule.
Mise en état de grâce
Au début, on se salue, tout simplement. Dans un second temps, quand j’arrête la musique, on se regroupe par deux, et on se cherche un trait commun lié à l’enfance. À priori, l’exercice amène les apprenants à utiliser l’imparfait qui est en train de se travailler par ailleurs. En grand groupe, on partage ses points communs, c’est l’occasion d’énoncer et d’entendre des verbes à l’imparfait formulés par chacun, au besoin corrigés par mes soins.
Troisième temps, même consigne, mais cette fois, ils doivent trouver quelque chose qu’ils aiment tous les deux. C’est une invitation implicite à utiliser le présent, et ça permet de nouer des liens entre les membres du groupe. Dans la quatrième phase, outre un bonjour, à chaque fois plus chaleureux (on est aussi dans le plaisir de la théâtralisation), il leur est demandé de se trouver un désir commun. Pour les exprimer, ils seront amenés à utiliser des verbes semi-auxiliaires de type vouloir, etc. Chaque phase est ponctuée par une mise en commun.
Au terme de l’activité, ils auront donc naturellement réutilisé les différents temps, en interagissant vraiment. Il n’est pas ici question de textes à trous, d’exercices structuraux ou de règles de grammaire martelées. On ne communique pas pour le simple fait de communiquer.
Valse à quatre temps
Évidemment, ce travail suppose qu’on ait déjà démarré une séquence d’apprentissage sur les notions de présent, de passé et de futur. En fait, chaque séquence pédagogique se découpe en quatre grands moments.
D’abord, un temps de sensibilisation, au cours duquel je branche les participants sur ce que je veux travailler avec eux. Pour l’imparfait, ce sera, par exemple, une invitation à se remémorer son enfance, les yeux fermés, et en silence, sur la base de questions formulées à l’imparfait. Évidemment, dans ce genre de travail, une certaine maitrise de techniques d’animation s’avère indispensable.
Ensuite, à partir d’une situation audiovisuelle présentant un dialogue entre deux personnes qui évoquent leurs souvenirs d’enfance, on réalisera un travail d’écoute, puis de compréhension, puis de mime, un travail sur le rythme et la répétition des phrases, selon des techniques aussi diverses que possible. Il est important que la situation présentée soit accrocheuse et impliquante. L’objectif, c’est d’arriver progressivement à la mémorisation d’énoncés corrects.
J’en profite pour attirer l’attention sur certains points essentiels. Par exemple, le fait que, d’un point de vue rythmique, à l’imparfait, l’accent est mis sur la syllabe finale à la différence du présent où la fin du verbe est assourdie par le e muet (chantait/chant). On se met ainsi à battre les syllabes pour aider oreilles et bouche à s’approprier ce nouveau temps (il chante, deux battements, il chantait, trois).
À l’écrit, le groupe construira un texte résumant le dialogue appris, à la fois pour réutiliser le matériel et pour dépasser le simple exercice de mémorisation. Ce texte pourra servir d’activité de démarrage pour un autre jour. Il sera découpé à des endroits stratégiques sous forme de puzzle. Lors de l’activité de reconstitution, les apprenants devront être attentifs aux accords, à la logique textuelle, etc.
Réinvestissements en chaine
La structuration s’organisera, là aussi, à travers des activités de communication. Ainsi, l’écoute de la chanson Les vacances au bord de la mer de Michel Jonas est un bel outil pour travailler l’imparfait. Après une première écoute, je demande aux apprenants de dessiner les vacances du chanteur, par groupes de quatre pour favoriser les interactions. La consigne est évidemment choisie en lien avec la fonction de description de l’imparfait. Pendant la réalisation du dessin, la chanson passera une nouvelle fois, afin de multiplier les occasions d’écoute.
Puis, chaque groupe affiche son dessin et, ensemble, on essaye de reconstituer les vacances de Michel Jonas. Où allait-il en vacances ? Que faisait-il ? Était-il riche ou pauvre ? Etc. À ce stade, si les apprenants font des erreurs, je me contente de reformuler. Puis, suit un nouveau cycle d’échanges : et vous, quand vous étiez petit, que faisiez-vous ?
Diversifier pour travailler la même chose
Un moment donné, on pourra revenir sur l’univers amené par cette chanson (si possible, les dessins restent affichés dans le local), à travers différentes activités. Par exemple, le formateur pourra tirer d’un chapeau les prénoms des membres du groupe et il faudra essayer de se rappeler et de dire — à l’imparfait, évidemment... — les activités d’enfance de chacun. Ou à l’inverse : on lit un énoncé et on essaie de se rappeler qui l’a formulé.
Toutes ces activités fondées sur une approche inductive de la langue, sans recours à des règles formelles, sont nécessaires pour que les apprenants s’approprient progressivement l’imparfait en ce qui concerne sa phonologie, de sa rythmique, de sa sémantique et de sa morphologie. Cela n’empêche pas d’aborder le quatrième temps d’une séquence, celui de la structuration explicite à travers la formulation de règles : finalement, quelle différence entre l’imparfait et le présent ? À l’occasion de nouveaux exercices, les impressions que la classe a accumulées tout au long de l’apprentissage se rassemblent. L’explicitation, elle-même progressive, est le résultat d’un long processus. À ce moment, on pourra passer à des jeux de systématisation qui relèvent plus du drill.
En cuisine, en salle, la culture
La responsabilité du formateur est de créer des situations de communication qui vont donc naturellement amener les apprenants à travailler les notions visées. Le déroulement de l’ensemble de la séquence doit être très structuré, mais avec des fils invisibles pour les participants. Le fil conducteur apparent, c’est ce qui se vit et se discute au sein de la classe, sans que le métalangage soit nécessaire.
Cela demande, en amont, un travail énorme de réflexion et de préparation. Par contre, dans la classe, le formateur est en retrait, pour favoriser un maximum d’échanges. Ceci dit, il reste très attentif à ce qui se passe, pour réaménager les activités à venir en fonction des difficultés rencontrées, pour réutiliser des productions dans une nouvelle activité, etc. Contrairement à ce qui est demandé dans certaines écoles, il est impossible de définir avant la fin d’un cours ce que l’on fera exactement la fois suivante. Même si les ingrédients ont dû être sérieusement pensés à l’avance, le travail se coconstruit avec les participants, jour après jour.
Un dernier enjeu, c’est l’interculturel. Ici, ce ne sont pas de grands mots qui enferment les gens dans des identités figées ou folklorisées, il se vit concrètement entre des sujets singuliers.