Le fait de devoir rendre un travail de fin d’études [1]qui fasse lien entre les savoirs appris et ma pratique professionnelle m’a amenée à fouiller cette question : comment faire pour que tous mes élèves réussissent ?
Tous les chercheurs sont d’accord sur le caractère inégalitaire de notre école belge. Les travaux de Christophe Joigneaux et ceux de Pierre Roques et de Laurent Talbot révèlent que non seulement l’école ne réduit pas les inégalités, mais qu’elle a tendance à les augmenter. Est-ce que, comme enseignante, j’y participe, même involontairement ? Cette question est ancrée en moi et influence mes questionnements et mes choix pédagogiques.
Si certaines pratiques enseignantes ont tendance à augmenter les inégalités, j’en déduis que d’autres pratiques les réduisent... Lesquelles, et comment mettre en évidence leur impact ?
Je me tourne vers Elisabeth Bautier et son équipe ESCOL ainsi que vers Christine Passerieux. Leur discours est passionnant et je me rends compte que des notions, pourtant évidentes à la lecture, se révèlent ardues à mettre en place. Elles ont été à la source d’analyses réflexives et de remises en question. Au fil des ans, j’ai acquis des habitudes, des réflexes, notamment dans ma manière de parler aux élèves et de répondre à leurs questions. On demande souvent à nos élèves de se taire, j’ai pris conscience que limiter mes prises de parole, c’était difficile.
Observer
Pour ce travail écrit, je décide donc d’observer un échantillon diversifié d’élèves, afin de voir (ou non) leur évolution suite aux modifications de mes pratiques. J’établis une grille d’observation et je fais une courte enquête auprès de mes élèves.
Mes observations révèlent, dès le début d’année, une différence entre les élèves de milieux défavorisés et les autres. Cela confirme le lien entre milieu socioculturel et parcours scolaire. Il y a du travail à faire ! Mais quelle serait ma priorité ? Qu’est-ce qui distingue le plus ces deux groupes d’élèves ?
Imaginons deux enfants arrivant à l’école. Le premier, comme beaucoup, ne sait pas ce qu’est un élève, on l’a déposé le matin à l’école en lui disant : « Sois sage et écoute bien madame. » Le deuxième a la chance d’avoir été « briefé » à la maison, il vient à l’école avec le statut d’élève et la ferme intention d’y faire des apprentissages.
Avant même d’avoir franchi le seuil de la classe, il y a un fossé entre ces deux enfants… J’ai tenté, dans ma classe, de mettre les élèves sur pied d’égalité en clarifiant les choses : « Vous êtes tous des élèves et vous venez à l’école pour apprendre. » J’ai bien vu qu’une petite explication verbale ne suffisait pas, il m’a fallu le répéter et surtout le prouver dans les faits !
Se questionner
Dans ma classe, j’ai observé que les élèves de milieux défavorisés se montraient nettement moins autonomes que les autres. Il s’agit pourtant d’un objectif premier de l’école maternelle et mes collègues s’y sont déjà attachées depuis la classe d’accueil.
Que puis-je faire ? Peut-être d’abord m’empêcher de vouloir « aider à tout prix » les élèves, mais plutôt les renvoyer à leur réflexion, aux référents, à leurs compagnons et ainsi, leur montrer ma confiance en leur capacité à trouver des solutions sans moi. Leur apprendre à structurer le temps aussi. Et enfin, leur donner des outils qui leur permettront de s’affranchir face aux tâches : grâce à la gestion mentale et à la métacognition, dévoiler ce qui se passe dans la boite noire lorsque j’apprends. Certains élèves le comprennent d’eux-mêmes, les autres ont besoin de l’apprendre et c’est mon rôle.
Souvent, les enfants de milieux défavorisés privilégient les attentes premières par rapport aux attentes intellectuelles. Une bonne partie d’entre eux croient que pour réussir, il faut être sage, faire plaisir à la maitresse et faire ce qu’elle demande. Et souvent, je demande de bien s’assoir, de se taire et d’écouter. Mais j’ai pris conscience que le rôle d’un élève ne se limite pas à cela, et je prends le temps maintenant d’expliciter le pourquoi des consignes : on doit bien s’assoir et se taire, non pour me faire plaisir, mais pour mieux se concentrer, réfléchir dans sa tête, mémoriser, se mettre en état d’apprendre, puisque c’est pour ça qu’on est là.
Une seconde, je secondarise
Un domaine qui, dans mon observation, montre une forte disparité entre élèves selon les milieux d’origine est la secondarisation. Quand il s’agit de repérer derrière le premier plan de l’activité réalisée, le second plan, celui du savoir visé, les élèves ne sont pas égaux.
Si je donne une photocopie en leur demandant de colorier autant d’objets que le nombre indiqué, une partie de la classe comprendra qu’il s’agit d’une activité de numération, coloriera rapidement d’une même couleur le bon nombre d’objets et une autre partie de la classe « entendra » qu’il faut colorier, choisira avec soin ses marqueurs, tentera de ne pas dépasser… au risque de se perdre dans le coloriage. Je suis moi-même fautive si mes consignes d’ordre matériel prennent le pas sur les consignes cognitives. Ce sont ces dernières qui sont prioritaires et il faut le signifier aux élèves.
Bien sûr, j’ai laissé tomber ces classiques travaux sur photocopies, mais, même en abordant les compétences d’une autre manière, je surveille et j’insiste sur l’objectif cognitif comme étant l’essentiel.
Dans ce sens, Elisabeth Bautier nous encourage à réduire les activités distrayantes, à ne pas enjoliver les supports par des dessins, des couleurs qui risquent de distraire les élèves de l’essentiel.
De même, lorsque nous jouons, j’ai appris à être attentive à bien insister, auprès de mes élèves, sur l’objectif cognitif, sinon la seule chose que certains retiendront est qu’ils ont gagné (ou perdu).
Enfin, je tente de mettre en lumière ce qui se passe dans la tête des « bons » élèves : eux, ils font des liens. Ils se disent : « Oh ça, ça me fait penser à… » ou encore : « Ah, c’est comme ce dont on a parlé hier. » J’encourage donc tous à faire de même, à se dire « c’est comme » dans sa tête.
À poursuivre…
Devenir élève cela doit s’apprendre. Et si, pour certains, les « codes » de l’école semblent aller de soi, mon rôle d’enseignant, est de les apprendre à tous.
À côté des savoirs, je dois leur enseigner ces attitudes d’élève qui leur serviront pendant toute leur scolarité. Mais ces attitudes nous semblent si évidentes à nous, enseignant qui entrés dès le plus jeune âge à l’école n’en sommes jamais sortis. Pour moi, il est essentiel de prendre du recul, de mettre d’autres lunettes.
Il n’y a pas une méthode miracle, mais des attentions, des explicitations de non-dits et d’évidences qui aideront à réduire l’impact des inégalités. Cela ne se fait pas en un jour ni en une année, les trois années de maternelle sont nécessaires.
Christine Passerieux nous dit que le rôle de l’école maternelle est d’apprendre aux enfants les codes de l’école afin que tous deviennent élèves et profitent des apprentissages. J’ai eu la chance par ce travail d’en prendre conscience et dorénavant j’aurai toujours en tête ces élèves « prioritaires ».
[1] Travail réalisé à l’école supérieure de pédagogie.