C’était un groupe scolaire (Concorde) implanté dans un milieu très défavorisé de la banlieue lilloise à Mons-en-Barœul, avec un taux d’incivilités important et des résultats moins bons que ceux des écoles environnantes. Quelques années plus tard, certains résultats dépassaient ceux de la moyenne nationale et, dans un collège proche, des classes se réclamant du même projet pédagogique se sont ouvertes. Histoire d’une école qui a basculé en pédagogie Freinet.
À partir de propos recueillis par L. Miguel Lloreda auprès de Yves Reuter.
Paradoxalement, ce changement a été rendu possible par une crise : les parents commençaient à retirer leurs enfants. Il y avait donc un risque de fermeture de classes. À l’initiative de l’inspecteur de la circonscription, les maitres présents ont été remplacés par une nouvelle équipe qui pratiquait la pédagogie Freinet.
Les enseignants de cette équipe se connaissaient préalablement, car ils appartenaient à une régionale du mouvement. Ils ont alors élaboré ensemble un projet pour lutter contre l’échec.
La conception de ce qu’est enseigner a totalement changé. On n’a plus été dans le magistral, le transmissif, administré à tous les élèves selon le même rythme. Se sont mises en place des manières d’apprendre différentes selon des rythmes différents. Pour les élèves s’est créée la possibilité de pouvoir travailler à partir de leurs questions, de s’exprimer, de participer à des conseils, d’élaborer des règlements...
Enseignants et chercheurs
Ce travail a été soutenu par une concertation constante entre enseignants, y compris entre ceux de maternelle et ceux du primaire, centrée sur une mise en interrogation exigeante, tant sur les pratiques enseignantes que sur la gestion des temps scolaires et extrascolaires, les problèmes avec des familles ou avec tel élève, ou encore les formations à programmer.
Cette expérience a été suivie par une équipe de chercheurs1 (Théodile), mais selon des modalités particulières. Un des principes de cette recherche était que ces derniers ne coopéraient pas avec les enseignants. En effet, puisqu’il s’agissait de savoir si la pédagogie Freinet pouvait avoir des effets positifs dans un milieu très défavorisé, il n’était pas question de modifier les pratiques en cours de route.
Cela a donc créé une pression, une difficulté supplémentaire pour les maitres, parce que pendant les deux premières années de cette recherche (qui a duré cinq ans), ils ont dû « subir » des gens qui venaient observer, les questionner, questionner les élèves et les parents, sans leur faire de « retours ».
L’efficacité d’un système
Ce qui a été opérant, c’est l’ensemble du système mis en place et le fait que l’accent ait été porté d’emblée sur le travail et l’intérêt à apporter au travail. Un système de pratiques qui fait que les maitres sont extrêmement attentifs aux apprentissages des élèves et à la manière de les étayer.
Aujourd’hui, certains critiquent les pédagogies alternatives, notamment pour les milieux populaires, sous prétexte qu’elles pourraient rendre invisibles les savoirs mobilisés. Cette thèse est soutenue par des chercheurs qui confondent parfois innovations, pédagogies alternatives et fonctionnement un peu ramolli de la pédagogie traditionnelle.
Il y a là une erreur théorique assez grave parce que quand les pédagogies alternatives fonctionnent bien, en mettant l’accent sur les apprentissages effectués, les élèves s’approprient des savoirs et développent des compétences ainsi que la conscience des apprentissages. Cela passe, ici encore, par des dispositifs précis, tels des phases de bilan de savoirs avec les élèves, qui peuvent avoir lieu en fin de journée, et qui portent sur ce qu’ils ont appris et comment.
Cette critique à l’égard des pédagogies alternatives est d’autant plus curieuse que c’est surtout en pédagogie traditionnelle que les savoirs peuvent être invisibles pour les élèves, parce que c’est là que les fonctionnements sont les plus opaques pour nombre d’entre eux.
Et ailleurs ?
Cette expérience est née d’une situation de crise, alors que les choix pédagogiques sont souvent tributaires des affinités pédagogiques qui se créent fréquemment au gré des rencontres entre enseignants. Mais le vrai problème est ailleurs. C’est au pouvoir politique de savoir ce qu’il veut faire pour lutter contre l’échec scolaire, de voir ce qui produit des effets et ce qui n’en produit pas. En attendant, quand on se retrouve isolé ou avec un ou deux collègues, on fait ce qu’on peut, et au mieux…