D’après les propos recueillis auprès de Myriam JARDON par Noëlle DE SMET
Dans nos numéros 199 et 200, nous avons présenté les deux premières phases d’un projet d’année, travaillé en collaboration avec la Monnaie, par toutes les sections d’une école secondaire d’enseignement qualifiant. Les phases suivantes concernent la mise en œuvre et en matière de toutes les réflexions, idées, écrits, patrons, maquettes réalisés.
Madame JARDON, chef d’atelier, me l’avait dit en début d’année : « C’est la matière première apportée par les élèves qui deviendra matière finie. »
Il s’agissait, au départ, de ce foisonnement d’activités, de lectures, d’écrits, de dessins, de diptyques, d’exemples, de prises de position, à propos de tolérance et intolérance, fil rouge du programme d’opéras 2010-2011, à la Monnaie. Ce futur évoqué en début d’année révélait déjà une fameuse confiance dans les possibilités des élèves.
Quand j’ai pu voir tout ce qu’il en est advenu, tout ce que ces élèves étaient occupés à réaliser en vue du défilé-spectacle de mai, je me suis dit que cette confiance n’est pas vaine ! J’ai eu l’occasion de circuler dans tous les coins, rencontrant aussi des groupes venus d’autres écoles, parce que ce jour-là était un jour de « portes ouvertes ».
De l’enthousiasme et des créations
En 5e professionnelle coiffure, des élèves travaillent à une perruque qui doit donner une impression de décoiffé un peu sauvage. Les unes fabriquent les boucles au fer à boucler, les autres arrangent l’ensemble sur une tête postiche. Il s’agit d’assortir cette coiffure à une robe de poupée fabriquée par d’autres.
En 6e, Madame IBN EL CADI, professeure de coiffure, explique comment les élèves cherchent l’harmonie de la coiffure avec l’ensemble de la tenue et les caractéristiques du personnage. Elle signale que les arrangements, coups de peigne et autres se feront le jour même, sur place et sur les vraies têtes ! C’est elle qui en a la responsabilité. Comme il faudra aller vite lors du défilé, les élèves s’entrainent aujourd’hui déjà à faire les bons gestes, afin de bien savoir que faire le jour même.
En 5e professionnelle habillement, des élèves s’activent, dans un grand local, sur des machines à coudre industrielles. Elles réalisent les costumes du défilé, en se basant sur les fiches techniques conçues par les stylistes de 6e technique habillement. Il arrive que, confrontées à la réalité de la matière, elles proposent des aménagements aux stylistes. Ce que j’avais vu dans des ébauches de dessins lors d’une visite précédente, prend ici tout à fait corps et forme et… m’impressionne ! À mes questions concernant leur travail, Aïcha me dit : « J’adore faire ça. C’est génial ! » Je palpe la fierté de réaliser des costumes originaux pour ce spectacle. « À part cela, elles fabriquent aussi des vêtements pour elles-mêmes », me précise Madame JARDON, mais ici elles peuvent s’atteler à des créations uniques et particulières.
Les élèves sont formés pour l’industrie et utilisent donc ces machines, différentes des machines à coudre familiales. Ils peuvent aussi ouvrir eux-mêmes une boutique, s’ils obtiennent le certificat de gestion. Madame FLOOREN, professeure d’habillement en 6e professionnelle, montre les vêtements en cours de fabrication. Les élèves réalisatrices aiment échanger avec les créatrices de ces vêtements. Elles aiment aussi découvrir de nouveaux achèvements, des combinaisons autres dues aux nécessités du projet. Le professeur signale que des discussions ont parfois lieu avec des spécialistes en décor et en costumes qui travaillent à la Monnaie. Ils donnent des avis, font des propositions.
De l’initiative et de l’invention
En 5e et 6e technique artistique et en 6e professionnelle décoration, les élèves ont pris des photos de tout ce qui se passait dans l’école, tout au long des diverses réalisations : croquis de silhouettes, jeunes au travail, étapes de fabrication du sol en damier, etc. À l’aide de toutes ces photos, avec leur professeure d’infographie Madame JANS, les élèves font des compositions. Ce sont des genres de collages plus faciles à faire sur écran que sur papier, vu toutes les possibilités informatiques de mouvements et de mise en page. Les élèves réalisent ainsi des affiches explicatives du projet, en s’appuyant sur les travaux des autres élèves. « C’est une habitude dans l’école », dit leur professeure, « les élèves prennent beaucoup de photos. Ils glanent partout et m’en apportent. Ils sont assez autonomes et prennent des initiatives quant à ce qui pourrait servir. Ils sont très motivés par le projet défilé et son thème. »
Dans le grand atelier des décorateurs, en 7e, des parapluies arrangés sont suspendus sur un fil, certains sont couverts de mots : parapluies pour se protéger de mots grossier, les mots rassemblés par d’autres classes en début d’années ! De grandes boites rondes sont en fabrication. Un élève essaie d’y poser les murs de plastic qui devront être traversés par des poupées se libérant de carcans. Les couleurs dominantes sont le noir, le blanc, le rouge, porteuses des oppositions noir/blanc, tolérant/intolérant, haine/amour.
Ce que j’avais vu en petite maquette est à présent réalisé en taille réelle. Les mots tolérance et intolérance sont écrits sur le tissu de sol, dans diverses graphies, entourant ce damier qui s’estompe au fil de sa longueur.
Le corps et l’esprit
Les esthéticiennes ne sont pas occupées par le projet-défilé. Ce jour-là, elles proposent divers types de soins à des personnes extérieures, entre autres dans leur petit SPA. À l’entrée de leur local, trône une de ces tables de maquillage au miroir entouré de lampes comme on en voit dans les loges d’artistes. Ce sont les décorateurs qui ont fabriqué ce meuble. Il s’agit d’annoncer ainsi l’ouverture d’une nouvelle section l’an prochain : 7e professionnelle esthétique, art du spectacle.
Chemin faisant, Madame JARDON me parle de la qualité B [1]. Il s’agit, toujours pour les élèves, de tendre vers du travail de pro, vers de la perfection. Ainsi, l’intérieur d’un vêtement, par exemple, doit se présenter de façon aussi achevée que son extérieur. Au début, quand les élèves arrivent en 3e, 4e, certains bâclent leur travail. Les enseignants leur demandent de le recommencer jusqu’à ce qu’il soit de qualité. Si des élèves ne sont pas habitués à ces exigences, ils rechignent, mais peu à peu ils s’habituent ou alors, ils quittent.
Et qu’en est-il des cours généraux ? Ils sont souvent orientés vers le métier : les assistants en décoration feront, par exemple, des maths à partir des plans des décors. À part cela, les enseignants tentent d’intéresser les élèves à d’autres choses, via des projets comme celui-ci qui dure depuis septembre. Là aussi des produits finis sont arrivés : le professeur de français, Monsieur ZERRARI, a poursuivi le travail sur le thème tolérance/intolérance, approché de façon très vaste. Les élèves de 5e, 6e, 7e ont écrit des textes. Ils les ont présentés de façon artistique, avec collages ou autres méthodes. Des extraits de ces textes feront partie de la mise en scène du défilé : ils seront choisis pour être dits en voix off (voir un de ces textes en encadré). Elle est donc bien là la « matière finie »… Presque finie : il reste à écrire le dernier épisode, le défilé final et les vécus des élèves concepteurs créateurs, réalisateurs, photographes, composeurs, présentateurs, coiffeurs, habilleurs !
Maman bouteille
Quand tu cries, tu ne m’entends pas
Quand je crie, tu ne me vois pas
SOS, Maman, es-tu là ?
SOS, pourquoi Maman elle boit ?
Seule dans ma chambre, je dois grandir
Seule dans ta chambre, tu dois souffrir
Après des cris qui me tuent
Après une promesse rompue
Je te vois devant moi
Je vois Maman qui boit
Pourquoi tu ne veux pas arrêter ?
Pourquoi tout part en fumée ?
À ne plus manger ni boire
Ne plus vouloir revivre chaque soir
Je pars à mon tour
Je m’envole au petit jour
Vers cette fenêtre ouverte
Vers un ciel plein de gommettes
Au revoir Maman sommeil
Au revoir Maman bouteille
Aurélie
[1] Madame Jardon cite ici le nom de l’école. Pour des motifs déontologiques, nous ne nommons jamais les écoles.