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Accueil / Publications / TRACeS de ChanGements / TRACeS 210 - Bonnes écoles ? - Mars & Avril 2013 / Une école qui tient enfin compte de ses élèves !

Certaines écoles professionnelles trainent derrière elles une réputation catastrophique : impossible d’y donner cours, fréquentées par des jeunes
difficiles. Comment améliorer l’image et la valeur de ce qui s’y passe ? Notre école a relevé le défi de redevenir une école professionnelle qualifiante
de qualité.

Dans notre école, depuis septembre 2012,
les trois options traditionnellement organisées
(Services sociaux, Vente, Travaux
de bureau) dès le 2e degré ne le sont plus !
Tous les élèves ont la même grille de cours
avec des cours généraux renforcés : 7 heures de français,
2 heures de math, 2 heures de préparation au Certificat
d’Études de Base (CEB) version « adulte », 2 heures de
langue moderne et 2 heures de sciences (comprenant un
volet éducation à la santé). « Partir de leur logique immédiate pour les faire entrer dans les raisonnements. »La préparation à un choix d’option a lieu grâce à des cours d’initiation aux deux
grands secteurs professionnels envisagés dans l’école,
ainsi que des cours centrés sur le projet personnel de
l’élève. Rien moins qu’une 3P généraliste !

UNE 3E PROFESSIONNELLE GÉNÉRALISTE

Ce projet a vu le jour pour plusieurs raisons et dans
un contexte particulier.
Il s’agit d’une expérience stimulée par le Cabinet
Simonet : devant l’importance de l’échec et du décrochage
au 2e degré professionnel, la Ministre a lancé un
appel à projets. Les écoles sélectionnées avaient toute
latitude, jusqu’à l’autorisation d’« éclater » les grilles
horaires, pour réaliser leur projet (mais sans moyens
humains ou financiers supplémentaires).
Il emboite le pas à d’autres réformes menées dans
l’école depuis 3 ans, sous l’impulsion
du PGAED [1], dont un autre
projet pilote entamé l’an dernier
au premier degré, ainsi qu’une
réforme de la fonction des éducateurs
(de surveillants, ils sont devenus
référents, interfaces entre
les élèves et les enseignants, la direction
ou les parents), la création
d’heures FLE (Français Langue
Étrangère) avec intégration des
élèves concernés dans différentes
classes plutôt que leur regroupement dans une classe
homogène, l’aménagement d’espaces informatiques et
internet dans les différentes classes du 1re degré, la création
d’un centre cybermédia pour les classes des autres
années, etc.

QUI SONT NOS ÉLÈVES ?

Lors du passage du décret « discriminations positives
 » au décret « encadrement différencié », notre
école s’est vue placée en classe 1, ce qui nous situe au
plus bas de l’échelle socioéconomique des écoles de la
Fédération Wallonie-Bruxelles. Majoritairement composée
de jeunes issus de milieux immigrés peu scolarisés,
de 1re, 2e ou 3e génération, d’origine maghrébine ou
africaine des quartiers proches de l’école, notre population
cumule les difficultés scolaires et sociales. Les
jeunes qui arrivent chez nous n’ont majoritairement pas
obtenu leur CEB et ont déjà connu l’échec et le redoublement.
Sans projet professionnel particulier, ils aboutissent
chez nous pour divers motifs : parce que leurs
copains y sont (60 %), que c’est près de chez eux (17 %),
parce qu’ils ont déjà « essayé » les autres écoles avoisinantes
(10 %). Fatalistes, ils sont devenus très passifs
par rapport à leur réussite scolaire.
Confrontés à ce public tellement différent de celui
pour lequel ils ont été formés, des enseignants ne
peuvent qu’être déçus des résultats qu’ils obtiennent,
quand ils ne sont pas dépassés et désarçonnés par
les problèmes dits de comportement dérangeant des
élèves. De plus, les abandons en cours d’année ainsi
que les faibles taux de réussite provoquent une grande
instabilité de la population scolaire et donc une grande
insécurité d’emploi.

ASSURER NOTRE RECRUTEMENT OU LA QUALITÉ DE NOTRE ENSEIGNEMENT ?

Que faire ? Accueillir tous les élèves exclus ailleurs
pour maintenir l’emploi ? Et en même temps, sévir pour
« redresser le niveau » ? Exclure les élèves difficiles ?
La réflexion a longtemps vacillé entre accueil et rétorsion,
pour arriver à la conclusion que poser la question
en ces termes la faussait. Quoi que nous fassions, nous
devions nous faire à l’idée de travailler avec les élèves
que nous avions et de les rendre plus compétents pour
qu’ils trouvent un sens à leur présence à l’école. Il fallait
donc s’attaquer à la pédagogie : comment arriver à
développer les compétences des élèves que nous avions
dans nos classes ?
Nous avons alors pu commencer à réfléchir aux
moyens à mettre en oeuvre : comment modifier nos pratiques
de classe et améliorer le suivi des élèves pour les
faire sortir du cercle vicieux de l’échec et limiter les décrochages.
Des groupes de travail se sont formés, la salle
d’études a été supprimée au profit d’un encadrement
spécifique des heures de fourche et d’une incitation à
éviter au maximum les exclusions, les cours généraux
ont été renforcés, les formations encouragées, certains
professeurs ont demandé à changer d’école...
Des expériences ont été tentées : cours en coprésence,
renforcement en français et math, cours liés au développement personnel des élèves. Des financements
ont été obtenus pour procurer une aide logopédique et
psychologique (supplémentaire à l’accompagnement
du CPMS) aux élèves, une structure d’espace d’accrochage
scolaire interne a été créée pour soutenir la scolarité
des élèves trop perturbants ou perturbés.
Mais la difficulté principale des élèves reste leur
extrême faiblesse en maitrise de la langue qui les handicape
lourdement dans la réussite de tous leurs cours.
Au-delà de modifications structurelles, comme l’attribution
d’un nombre supplémentaire d’heures de renforcement
dans les cours généraux, il était nécessaire
de réfléchir aux processus à mettre en oeuvre pour favoriser
des apprentissages réels chez les élèves. Et, s’il
faut « partir des élèves » pour qu’ils apprennent, il faut
aussi « partir des professeurs » pour qu’ils apprennent
d’autres manières d’enseigner. C’est tout le travail de la
coordination pédagogique qui s’est mise en place à ce
moment.
Aucun changement ne peut intervenir si nous ne
nous formons pas ensemble.

DU RAPPORT AU SAVOIR À L’ASPECT COLLECTIF DE NOTRE MÉTIER

Nous faisons le constat que nos élèves ne comprennent
pas le sens de ce que nous leur enseignons :
quand ils sont bien disposés, ils obéissent, s’appliquent
et reproduisent. Et quand ils ne sont pas bien disposés…
Lors des évaluations, nous nous rendons bien
compte qu’ils ne savent pas transférer, qu’ils sont
perdus dès que les énoncés s’éloignent de ce qui a été
exercé en classe, malgré les cours supplémentaires, les
révisions, les répétitions d’explications, la réduction
des objectifs, la limitation des quantités de matières
vues… Comment apprendre autrement à apprendre ?
C’est toute la question du « rapport au savoir ».
Chacun de nous est capable d’apprendre grâce aux
ressources dont il dispose. Nos élèves, issus de milieux
peu scolarisés et dominés socialement, retrouvent
ce même rapport de domination face aux personnes
cultivées de l’institution scolaire et n’ont, en plus, que
peu de ressources pour entrer dans les savoirs scolaires
inconnus ou peu maitrisés dans leurs familles.
Ils sont pourtant très autonomes dès qu’il s’agit de se
débrouiller dans la vie concrète et ne manquent pas de
logique dans les gestes du quotidien, par exemple pour
l’intendance des voyages scolaires. C’est donc à nous,
en tant qu’enseignants, de partir de leur logique immédiate
pour les faire entrer dans les raisonnements qui
permettent d’apprendre. Ce qui n’est pas évident avec
nos ressources « héritées » de notre milieu et de notre
formation initiale !
Nous avons décidé de nous former ensemble dans
différentes matières : gestion de groupes, projet personnel,
français, math… Pour libérer des jours pour ces
formations, nous avons supprimé les « jours blancs »
de la session de Noël. Selon leur spécialité, les professeurs
des 1er et 2e degrés ainsi que la logopède ont
suivi 3 jours de formation en français, 2 jours en math,
2 jours en projet personnel… centrés sur les processus
mentaux à développer chez les élèves pour qu’ils
apprennent ou se mettent en projet. Des journées pédagogiques
sont organisées en plus, pour nous donner
l’occasion de travailler ensemble. En complément à
ces temps de formation et de travail collectif, la coordinatrice
pédagogique intervient pour préparer, avec
les collègues, des démarches concrètes [2] à mettre en
oeuvre dans les cours de français et de sciences humaines
et soutenir les professeurs d’autres cours qui
le demandent. Nous évaluons régulièrement les effets
de nos préparations sur nos élèves et les améliorons.

LES EFFETS DE CETTE EXPÉRIENCE

Il est trop tôt à présent pour juger de la pertinence
de nos choix. L’école est plus calme, les élèves sont
moins bruyants, moins absents. Ils semblent globalement
moins désintéressés, apprécient le fait d’avoir
davantage de cours généraux, particulièrement les
cours de langue et d’informatique. L’effet relégation est
réduit par ces choix pédagogiques « rescolarisants » et
modifie la structure des classes : il n’y a plus une classe
qui concentre tous les élèves à problèmes, ce qui limite
leur marge de manoeuvre et leur pouvoir dans l’école.
Nous faisons le pari que ce travail d’outiller les élèves
au 2e degré leur permettra un choix de formation plus
heureux vers une réussite au 3e degré.
Les enseignants, de leur côté, apprécient le caractère
collectif de l’expérience et se parlent beaucoup
plus. Sans remettre encore en cause leur façon d’enseigner,
ils se questionnent et écoutent davantage les
élèves sur leurs difficultés. Ils réfléchissent à leurs
pratiques et se professionnalisent progressivement.
Les éducateurs, quant à eux, prennent leur place face
aux élèves et aux enseignants. Mais ce mouvement
qualitatif entamé dans notre petite école résistera-t-il
à la rationalisation annoncée de l’offre de l’enseignement
qualifiant ?
À suivre…

notes:

[1Projet Général
d’Action d’Encadrement
Différencié
devant expliciter
les actions évaluables
mises en
place pour l’utilisation
des moyens
complémentaires
que certaines
écoles reçoivent
du fait de se situer
dans les classes
les plus faibles
de l’encadrement
différencié anciennement
appelé
discrimination
positive.

[2Nous avons
décidé d’utiliser la
méthode « Lector
& Lectrix » de R.
Goigoux et S.
Cèbe, de la 1re à la
4e, pour favoriser
l’apprentissage des
mécanismes implicites
qui mènent à
la compréhension
des textes narratifs
 ; de préparer
ensemble l’exploitation
de petits
romans ou nouvelles,
le travail
sur le lexique, des
jeux de langage ;
de suivre une
même méthodologie
pour réfléchir
l’orthographe avec
les élèves, pour les
faire rédiger.