Recherche

Commandes & Abonnements

Accueil / Publications / TRACeS de ChanGements / Rubriques hors dossiers / Ouvertures / Une expérience de lecture-écriture en classe-passerelle

À partir de l’album de littérature de jeunesse « Devine qui fait quoi, une promenade invisible » de Gerda Muller [1], les élèves seront amenés à travailler sur la structure narrative d’un récit et à partager le plaisir de lire et de conter des histoires.

L’album raconte, sans faire appel aux mots, une promenade faite de diverses rencontres. Seules des traces de pas permettent de suivre le héros dans sa pérégrination. Il s’agit d’un support pédagogique simple puisque la difficulté du déchiffrage en est absente. Cette activité ne peut cependant être proposée dès l’arrivée en classe-passerelle, les élèves doivent d’abord posséder quelques rudiments de français pour pouvoir y participer.

Le travail préparatoire de l’enseignant

Chaque planche de l’album est photocopiée de manière à pouvoir présenter le récit dans le désordre. Sa couverture composée d’illustrations du héros dans différentes actions l’est aussi.
Ce petit personnage sera découpé de manière à constituer un jeu de cartes. Il est préférable de plastifier les planches et les petits cartons, afin de faciliter leur manipulation et de garantir la pérennité du matériel !

Le scénario de la séquence

Pratiquer  [2]

Les planches de l’album distribuées dans le désordre, les élèves doivent reconstituer le récit. Ils se servent des indices donnés par les traces de pas pour agencer les planches les unes à la suite des autres.

Mis dans la posture d’enquêteurs, les enfants, attentifs aux indices visuels, élaborent la structure narrative de l’album.

Il est important à cet effet de dégager de l’espace dans la classe pour permettre ce travail.

En effet, la construction du récit va demander de placer, de déplacer les différentes planches afin d’aboutir au résultat escompté. Celles-ci devraient idéalement être exposées afin de permettre la suite de l’activité.

Le local entier en classe-passerelle est un support à l’apprentissage !

Analyser  [3]

Lorsque le récit est reconstitué et après vérification, le professeur invite à émettre des hypothèses sur le héros : qui est ce personnage qui marche dans ce récit ? Qu’a-t-il fait exactement durant sa promenade ? A-t-il rencontré d’autres personnages ? Ce questionnement permet déjà d’alimenter l’imaginaire et de nourrir au-delà des signes visibles proposés par les illustrations le contenu d’un récit qui pourrait paraitre trop simpliste.

Les « primos » remobilisent ainsi une série d’expressions et un lexique lié à la maison et aux actions quotidiennes appris lors d’autres séquences d’apprentissage : « Il se lève, il se lave et se brosse les dents. Il court dans la neige ».

Les petits cartons représentant le personnage sont ensuite distribués aux élèves qui les placent sur les planches, là où l’action du personnage est suggérée par les indices prélevés dans l’illustration. Par exemple, sur la planche où se retrouvent des pousses d’herbe arrachées, c’est là que l’élève va poser le personnage tenant en main de l’herbe. Ou encore, c’est sur la planche où la branche d’un arbre est coupée qu’il placera le personnage tenant en main la branche arrachée à l’arbre.
Cette lecture, car il s’agit bien de la lecture d’illustrations qui racontent le déroulement d’une narration, a mobilisé chez les apprenants diverses compétences de lecture : mise en relation d’indices, inférences entre les illustrations représentant des décors et les images « étiquettes » présentant le personnage en train d’agir. Un discours structuré a été construit puisqu’il fallait verbaliser la confirmation des hypothèses émises (« La branche est coupée. Il a coupé la branche. Il saute et traverse l’eau »). C’est ainsi l’occasion de structurer des apprentissages déjà initiés lors d’autres activités : associer des verbes d’action à des objets, nommer des actions, mettre des mots dans une phrase, etc.

À ce stade-ci de l’activité, le récit est reconstitué : les décors et le personnage sont en place. Le professeur va maintenant faire raconter à ses élèves cette promenade bien singulière.
Lorsque le récit est reconstitué, c’est aussi l’occasion pour les « primos » d’échanger sur leurs diverses histoires en mettant leur vécu en relation avec certaines images : que mange-t-on au petit déjeuner en Bosnie, au Rwanda, au Chili ? Qui vivait dans une maison avec un jardin ? Comment était-il ? Qui a un animal de compagnie ?

Réinvestir  [4]
Sous la dictée des élèves, l’enseignant va noter au tableau ce qui se déroule dans chacune des planches. Un peu comme si la classe donnait un texte à l’album ! Les élèves donnent un prénom au personnage et décrivent chacune de ses actions. Ils notent progressivement dans leur cahier le texte qui s’élabore peu à peu (« Yvan se lève, il se lave et s’habille. Il boit un bol de chocolat chaud et mange une tartine... »)
Cette description peut être poussée dans sa complexité suivant le niveau d’appropriation de la langue des apprenants d’un texte écrit au présent avec des phrases simples à un texte écrit au passé et complexe dans la structure de son discours.

Le récit transcrit dans le cahier des élèves, le professeur propose à l’un ou l’autre de le lire à voix haute. L’idéal, car la part créative rend cet apprentissage encore plus intéressant, est d’ajouter une phrase ou deux sous chaque illustration et de recomposer l’album. L’objet livre peut ainsi être travaillé dans sa matérialité. Une observation s’impose cependant : en classe-passerelle, l’apprentissage, bien qu’étant centré ici sur des compétences de lecture, fait d’abord appel à l’oral : échanger, construire le récit, dire des phrases sur le modèle de structures connues. Ce passage par l’oralité permet aux élèves de s’appuyer sur le bagage langagier qu’ils ont déjà acquis. Il s’agit de leur offrir ainsi la confirmation d’un savoir qu’ils maitrisent et par conséquent de leur offrir une sécurité psychoaffective nécessaire à la poursuite des apprentissages proposés.

La classe-passerelle, un lieu d’apprentissage de la solidarité

Le travail collectif de construction de sens donne déjà à la lecture sa dimension culturelle.
Comparer son hypothèse à celle d’un autre, en vérifier la validité, c’est apprendre que la lecture est un dialogue. Aborder le récit en étant actif —parce que le sens du récit ne se donne pas d’emblée, qu’il faut le construire en cohérence— nécessite chez les apprenants la mobilisation de nombreux savoirs : langagiers et culturels.

Qui, lors d’un apprentissage, peut, en effet, avoir la garantie de ne pas se tromper si sa vision n’est pas confrontée à celle d’autrui ? En classe-passerelle, au-delà des apprentissages scolaires, on apprend que le « faire ensemble » garantit la réussite de chacun ! Plus qu’ailleurs, l’enseignant de la classe-passerelle, par le biais d’une pédagogie participative, offre à ses élèves des dispositifs où ils ont à construire leurs savoirs. La classe-passerelle devient alors un lieu de vie où l’échange dans le respect de la diversité est un atout plus qu’un handicap !

notes:

[1Gerda Muller, Devine qui fait quoi, une promenade invisible, Archimède, Lutin poche de l’école des loisirs.

[2Pratiquer c’est-à-dire mettre les élèves en situation afin de susciter un questionnement qui permet de donner du sens à l’apprentissage. Cette mise en situation consiste déjà à réaliser une première production. Ici, reconstituer la chronologie d’une promenade.

[3Analyser c’est-à-dire observer la tâche première et structurer les apprentissages en vue d’une production finale identique à celle de départ ou proche de celle-ci.

[4Réinvestir c’est-à-dire réactiver les apprentissages mobilisés pour les transférer dans une situation nouvelle.