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C’est bien d’une machine qu’il s’agit quand on regarde notre École et ses façons d’exclure les élèves sur base de leur origine sociale. Non par volonté machiavélique de quelques méchants mais bien par les effets d’un système, inscrit dans une histoire et des rapports de force. Chaque famille, chaque école agit, décide en bon petit soldat des caractéristiques de ce système. Quelle est l’origine d’une telle exclusion structurelle ? Quelle est la position de CGé face aux pistes lancées pour y faire face.

En termes de diagnostic des causes de l’exclusion scolaire, n’hésitons pas à pointer le premier générateur d’exclusions : la présence d’un marché scolaire consécutif à la liberté laissée aux « usagers » de choisir leur établissement scolaire et aux pouvoirs organisateurs de mettre sur pied leur mode d’enseignement. La liberté philosophique de départ a bien ouvert la voie au libéralisme.

Effets de structure…

Ce sont donc les mécanismes de marché qui régulent la répartition des ressources financières pour les écoles. Dès lors, le recrutement des élèves revêt un aspect primordial pour les établissements scolaires. Ceux-ci doivent aller « à la chasse » aux élèves afin de s’assurer leur financement et leur survie. L’aspect quantitatif donc, mais pas uniquement.
L’enjeu se situe aussi au niveau de la qualité des élèves « recrutés » : leur niveau présumé, leur origine sociale, leurs comportements. Il ne faut pas s’étonner de voir des écoles développer des stratégies « markéting » pour attirer les clients qui leur correspondent. Ces clients opèrent quant à eux leur choix d’école sur base des représentations qu’ils se font d’un établissement (réputation, image véhiculée à l’extérieur, taux de réussite). Se construit de la sorte une hiérarchie instituée qui établit un classement des filières les plus valorisées (enseignement général) vers les plus dévalorisées (professionnel) et un classement des écoles selon les quartiers. Dur à avaler, mais notre système scolaire porte dans ses gènes l’exclusion. Cela se sait, cela se dit, cela donne mauvaise conscience aux décideurs de tout poil, cela se voit transformé en dix priorités dans un Contrat pour l’École depuis 2005, mais concrètement… pas grand-chose ne change du point de vue du mouvement sociopédagogique ChanGements pour l’égalité.

… et de culture

Un mouvement d’éducation permanente comme le nôtre ne peut toutefois se contenter d’appréhender la lutte contre les inégalités scolaires uniquement par le haut. C’est aussi la formation, la transformation des acteurs là où ils sont qui sont à même de changer le système. On peut souhaiter toutes les modifications structurelles que l’on veut, si les acteurs de terrains n’adhèrent pas, c’est peine perdue.
Ensuite, toute mesure structurelle prise isolément est de nature à se retourner contre les meilleures intentions en termes de lutte contre les inégalités dont l’enfer reste pavé. C’est pourquoi CGé n’a pas de position « dogmatique » sur tel type de mesure à prendre côté structure et côté culture. Nous privilégions une approche systémique, une approche articulée de différentes mesures.
Enfin, CGé seul ne peut rien. Nous prenons une part active dans différents réseaux d’acteurs de première et de seconde ligne en matière de lutte contre l’exclusion scolaire et sociale.
Quels leviers le gouvernement actuel a-t-il actionnés pour lutter contre la ghettoïsation de notre enseignement ? Et qu’en pense CGé ?

Les bassins scolaires

L’idée de « bassin » est née du caractère territorialisé de la concurrence que se livrent les écoles. Les auteurs d’une recherche interuniversitaire (2005) [1] ont préconisé, afin de gérer les flux scolaires, un « traitement collectif des préférences ». Tout en maintenant la liberté de choix, les familles choisissent plusieurs écoles par ordre de préférence. Parallèlement, le nombre de places de chaque implantation est limité. Quand le nombre de places disponibles est dépassé, ces places sont attribuées en fonction de critères définis et connus de tous par une instance administrative.
CGé a clairement soutenu le principe de passer d’une gestion individuelle d’un établissement scolaire à une gestion collective afin de responsabiliser les réseaux et les établissements. La suite, on la connait : les principaux acteurs tant les PO que les syndicats y ont plaqué leurs craintes ancestrales, perte d’autonomie pour les uns, rationalisation pour les autres. L’idée d’une régulation territorialisée a été étouffée dans l’œuf.

La régulation des refus d’inscriptions

Que de bruit pour rien concernant ce décret Inscriptions (février 2007) qui visait entre autres à imposer une date commune d’inscription à toutes les écoles.
CGé pressentait le danger d’une foire d’empoigne qui exacerberait les tensions et les enjeux autour de l’école. Toute mesure unilatérale dans un système complexe comme le nôtre est inefficace voir pire, contreproductive à long terme ; la preuve en direct d’un show médiatique bien orchestré. Les classes sociales favorisées ont montré combien le système était de leur côté et combien elles n’étaient pas prêtes à lâcher un pouce.
Un nouveau ministre et un décret plus tard rebaptisé « Mixité » (juillet 2008), la seule avancée est l’obligation de réserver 15 % à l’entrée du secondaire à des enfants issus des milieux dits défavorisés. Mais CGé n’y croit pas. Ce n’est pas le tout de pousser la porte d’un établissement réputé, il faudra encore pouvoir y rester. Ce n’est qu’un début ! Comment accompagner l’adaptation en évitant toute stigmatisation ? Comment faire pour que des élèves issus de milieux dits défavorisés restent dans des bahuts huppés où certains parents font tout pour faire de l’ « entre soi » ?

Le financement différencié

Reste une dernière piste, celle des dispositifs de discrimination positive abandonnés maintenant au profit du financement différencié (2008). Ils s’écartent du principe d’égalité de traitement (« un élève égale un élève ») et s’inscrivent dans une perspective d’égalité des résultats. Ils visent, selon l’expression consacrée, à donner plus à ceux qui ont moins. Ces mécanismes sont des dispositifs de correction qui entérinent les inégalités sociales de départ. De manière pragmatique, face à la paralysie ambiante, CGé soutient ces dispositifs qui visent à mieux encadrer en moyens humains et matériels les écoles en milieux défavorisés. Néanmoins, nous attirons l’attention sur plusieurs éléments :
- Il ne peut s’agir que d’un pis-aller qui devrait être limité dans le temps et non pérennisé.
- Il n’est pas garanti que les moyens supplémentaires soient utilisés efficacement, ni que les caractéristiques du public n’amènent les enseignants à revoir à la baisse leurs exigences ou tout simplement à fuir ce type d’établissements. Il nous semble dès lors essentiel de sortir d’une logique purement quantitative, qui prône comme une évidence que l’augmentation du nombre d’enseignants sera source d’efficacité accrue et de plus d’équité à terme. Le métier d’enseignant doit être revu et, là, le chantier est gigantesque : contenu et allongement des formations initiales et continues, accompagnement des jeunes enseignants, diversification de la fonction.
- L’échelon d’intervention du financement différencié reste l’établissement scolaire. C’est un leurre de penser que l’École à elle seule peut faire face à des inégalités qui la dépassent. C’est en termes d’actions intégrées à l’échelle d’un espace local qu’il faut penser ce dispositif.

Au-delà de la sphère éducative

Enfin, d’une manière plus globale, CGé pense que la lutte contre les inégalités sociales et scolaires doit se penser au niveau d’un ensemble de politiques concertées au-delà de la sphère éducative. Nous n’aimons pas nous voir refiler les plats finlandais à toutes les sauces, mais il semble que, pour faire face aux multiples inégalités (culturelles, sociales, du logement, de la mobilité…), il y ait eu là une mobilisation massive autour d’un projet progressiste et émancipateur.
Face à des opinions publiques qui se droitisent de plus en plus, CGé, en tant que mouvement d’éducation permanente, doit poursuivre deux rôles complémentaires. Continuer au travers de ses actions et activités à dénoncer les mécanismes de la (re)production des inégalités sociales à l’école et jouer un rôle d’interface, offrir la possibilité aux acteurs éducatifs en Communauté française de croiser leurs regards et leurs pratiques.

notes:

[1B. Delvaux et al., Les bassins scolaires : de l’idée au projet, Propositions relatives aux domaines d’intervention, aux instances et aux territoires, CERISIS, GIRSEF, INAS, IGEAT, SPE, 2005.