Sous prétexte de revalorisation, on réduit l’enseignement qualifiant à sa plus simple expression : valider des aptitudes opérationnelles au nom de l’accès à l’emploi. La certification par unités (CPU) est le fer de lance de cette politique et elle s’étendra à de nouvelles options dès la rentrée 2018. Pourquoi résister ?
Si l’enseignement qualifiant a bien comme finalité de décerner des certificats de qualification qui peuvent déboucher sur un métier, l’enseignement qualifiant est aussi responsable de la formation humaniste des jeunes qui le fréquentent. Cela signifie qu’il doit pouvoir combiner deux approches. La première est centrée sur le métier et purement opérationnelle : elle exige que l’ensemble des enseignements débouche sur une vraie qualification valorisable tant sur le marché du travail que dans le domaine des formations tout au long de la vie. La deuxième approche est centrée sur les apprentissages humanistes, plus généraux : apprendre à penser, apprendre à avoir une représentation personnelle et argumentée de la société, devenir un citoyen actif et critique. De plus, l’enseignement qualifiant a aussi le devoir de faire en sorte que la combinaison de ces deux approches rende possible l’accès, pour les élèves du qualifiant, à l’obtention d’un vrai CESS, soit en fin de sixième, soit après une septième. L’enseignement qualifiant n’est pas moins soumis aux quatre missions du décret mission que l’enseignement de transition.
L’enseignement qualifiant une nouvelle fois réformé
Là où la qualification devrait se concevoir comme l’intégration de gestes, d’expériences et de savoirs techniques dans une culture professionnelle spécifique, avec la CPU, elle se limite à la validation d’ensembles successifs d’aptitudes opérationnelles partielles. De plus, la modularisation des apprentissages des aspects techniques du métier le déconnecte de la formation humaniste, par nature plus intégrée, tant au niveau de ce qui peut être fait dans les cours techniques et professionnels qu’au niveau des liens possibles avec la formation générale.
Depuis presque dix ans, l’enseignement technique a été profondément modifié. Toutes les sections dites qualifiantes (techniques et professionnelles) ont un nom de métier (et pas d’orientation ou de secteur professionnel) qui leur sert de référence centrale. Elles ont été profondément transformées par l’allongement des stages et l’obligation de certifier, en cinquième et en sixième, des compétences dans des épreuves intégrées. Ces épreuves évaluent les compétences décrites dans le profil de formation qui décline les profils de qualification du métier définis par le service francophone des métiers et des qualifications (SFMQ), les mêmes pour toutes les écoles et tous les réseaux.
Chaque épreuve de qualification (quatre ou six selon les réseaux) doit être une situation du métier, qui intègre les apports des différents cours. Finie, donc, l’évaluation cours par cours. Ces épreuves sont assez longues, complètes, complexes, très exigeantes, tant pour les élèves que pour les professeurs.
Depuis 2011, pour trois options et puis pour cinq, l’expérience CPU s’est greffée à ces modifications, qui allaient vers plus d’intégration des cours des différentes options et vers plus de travail d’équipe des différents intervenants dans chaque option.
La rentrée 2018 verra l’extension de la CPU à seize autres options et le déploiement des options sur trois ans incluant de facto la quatrième année.
Des difficultés pourtant bien connues
Si les objectifs de la CPU (lutter contre l’échec et le décrochage, revaloriser le qualifiant, valoriser les acquis) sont louables, les moyens sont résolument du côté d’une conception pragmatique de la formation professionnelle. Son principal défaut est dans son remède : elle évalue, sans cesse, des fragments de gestes et d’attitudes du métier. Évaluer, remédier, réévaluer prend du temps et de l’énergie, et beaucoup de documents à remplir.
Cette quasi-omniprésence de l’évaluation fait obstacle aux apprentissages. En effet, entre les évaluations formatives, les mises en œuvre de remédiations et la certification des unités d’acquis d’apprentissages, il reste peu de temps pour les apprentissages intégrateurs, la formation commune et, de manière générale, pour les apprentissages qui ne sont pas identifiés comme directement utiles pour la certification de l’unité en cours. Sans parler de la difficulté de maintenir des objectifs crédibles en matière d’obtention du CESS.
De plus, la CPU individualise les parcours des élèves. Cela pose des problèmes d’organisation pour les écoles. Quand et comment organiser concrètement des remédiations ? Quand et comment organiser la reprise des modules que certains élèves n’ont pas réussi à valider ? Quand et comment rendre possible la mobilisation de l’équipe éducative pour du suivi individuel, des apprentissages en groupes classes, des évaluations communes et des présentations à chaque élève de ses résultats et de ses difficultés ?
La question de l’entretien de certains gestes techniques est également problématique, puisqu’une fois leur validation obtenue, on n’y revient pas dans le cadre de l’unité suivante. À cette difficulté, le récent projet de guide de mise en œuvre CPU dans les établissements émanant du comité de pilotage (P8), recommande d’entretenir ces compétences à travers l’ensemble de la formation et précise que la validation par UAA ne doit pas conduire à une atomisation des savoirs, aptitudes et compétences. Au contraire : il faut rappeler que l’objectif de la formation est le métier et celui-ci est rarement fractionné en savoirs, aptitudes et compétences morcelés. Les enseignants sont face à une injonction contradictoire : il s’agit de se plier aux exigences de la CPU en validant des morceaux de qualification, et d’aller à l’encontre des effets de la CPU en garantissant une approche intégrée de la qualification.
Enfin, le fait de travailler par modules pose des difficultés en stage, puisque les élèves se trouvent confrontés à des attentes patronales qui ne correspondent pas à l’organisation des apprentissages de la CPU, certaines compétences n’ayant plus été exercées depuis un certain temps, d’autres n’ayant pas été abordées dans les unités déjà validées.
Or, pour toutes ces difficultés, le comité de pilotage de la CPU renvoie systématiquement à l’organisation interne des écoles. En gros, démerdez-vous !
Et ce n’est pas fini… L’extension de la CPU à la quatrième suppose que le parcours entre la quatrième et la sixième soit un continuum pédagogique. Or, les élèves sont orientés vers le qualifiant au fil de leurs échecs dans la filière de transition jusqu’en fin de quatrième transition, voire après une cinquième.
Dans le qualifiant, la plupart élèves qui arrivent en troisième et en quatrième ne sont pas motivés par une orientation précise. Durant ces deux années, les changements d’orientation sont fréquents et les équipes pédagogiques s’emploient à aider les jeunes à trouver leur projet, tout en tentant de leur redonner confiance en eux au travers de réussites dans des apprentissages dont la motivation première n’est pas l’obtention de la qualification.
À l’avenir, les élèves qui choisiront une filière qualifiante en CPU en fin de quatrième ou après une cinquième année de l’enseignement de transition devront doubler une quatrième année. Ce qui n’est guère motivant et risque de poser des problèmes dans l’organisation des quatrièmes vu l’hétérogénéité des parcours et des compétences de base des élèves.
Quelle conception du métier et de la qualification ?
Il y a deux façons de concevoir une qualification. La première est centrée sur des besoins exprimés par différents employeurs en fonction des postes de travail à occuper. Cette conception est celle qui préside à la mise en œuvre de la CPU, elle conçoit le parcours d’apprentissage comme une succession d’unités d’apprentissages autonomes qui peuvent être certifiées indépendamment les unes des autres. En lien avec différents postes de travail, la qualification se construit comme l’addition d’aptitudes opérationnelles qui, si elles peuvent correspondre à des attentes patronales à un moment donné, risquent fort de devenir obsolètes dans un contexte de travail changeant.
La deuxième est centrée sur la personne, elle est incompatible avec la mise en œuvre de la CPU. Dans cette conception, la qualification d’une personne, c’est son aptitude à utiliser un ensemble intégré de gestes, d’expériences et de savoirs techniques dans des contextes variés. Cela implique d’apprendre à poser un regard réflexif sur l’ensemble des aptitudes opérationnelles du métier, autrement dit, d’en intégrer la culture professionnelle. La qualification est conçue comme un tout, dans un parcours d’apprentissage spiralaire, ce que la CPU ne permet pas. De plus, cette conception de la qualification la rend moins dépendante d’un lien direct avec l’un ou l’autre poste de travail, ce qui permet à celui qui l’a acquise d’occuper une plus grande variété de postes de travail, en y prenant plus de responsabilités et en pouvant s’adapter aux évolutions du métier.
L’opposition n’est pas anodine : les qualifications donnent accès à des barèmes, des responsabilités et des conditions de travail, ce que ne font pas les certifications partielles d’unités d’apprentissages.
La contradiction avec les objectifs du tronc commun
Il y a un paradoxe entre d’une part les objectifs de la CPU (tabler sur des certifications partielles pour motiver les élèves) et, d’autre part, la volonté du Pacte d’aboutir à une revalorisation de l’enseignement qualifiant en mettant fin aux orientations par relégations successives d’élèves sans motivation pour la qualification. En effet, avec des élèves qui s’orientent volontairement vers le qualifiant après avoir attesté de leur maitrise de compétences de base solides en réussissant le certificat du tronc commun, on retrouverait dans le qualifiant les conditions nécessaires pour renouer avec une vision plus intégrée de la qualification (revalorisation). Cette vision correspondrait mieux à ce qui semble être une demande patronale insistante : la formation de jeunes qui soient capables de s’adapter à des contextes de travail en évolution constante. La CPU, par contre, comme le soulignait déjà le service d’inspection en 2011, risque fort de générer de l’ennui auprès d’élèves motivés qui se verraient réduits à une approche morcelée et répétitive de la qualification [1].
Cette voie est particulièrement couteuse en charge de travail supplémentaire pour les enseignants et les chefs d’établissement concernés. On prend ici le risque de déployer la CPU dans cinq secteurs, ce qui représente une charge de travail importante des équipes pédagogiques pour revoir la totalité des parcours des élèves et des modalités de leur évaluation. Et si dans quelques années, l’expérimentation s’avère non concluante ou que la CPU n’est plus considérée comme pertinente dans le cadre d’un enseignement qualifiant revalorisé, il faudra demander à ces mêmes équipes éducatives de revenir à une approche plus intégrée de la qualification !
[1] En raison de la répétition des mêmes soins durant une unité, la lassitude et la démotivation de certaines élèves ont aussi été évoquées, Service général de l’Inspection, année scolaire 2011-2012, Observation de la mise en œuvre de la CPU, Rapport de synthèse, P12.