À haute voix

La question de la place du savoir parler à l’école primaire tracasse plus d’un enseignant. Comment faut-il l’enseigner ? Doit-on consacrer des activités spécifiques à cette compétence ? Enseignante depuis un peu plus d’un an, je reviens sur une séquence d’activités menée lors d’un stage.

C’est au mois de mars, dans une petite école primaire de la commune de Saint-Josse, que j’entame l’avant-dernier stage de ma formation d’institutrice. L’école est en discrimination positive, la classe comporte 17 élèves. Ces élèves sont plutôt taiseux et peu parlent le français à la maison. Je décide alors de les faire travailler la manière d’oraliser un texte pour le communiquer à d’autres.

Écrire un texte pour se présenter

Je demande aux enfants de rédiger une courte production dans laquelle ils se présenteront à moi et à leurs camarades. Ils présenteront ce texte oralement afin de répondre à la question ; « À quoi dois-je faire attention lorsque je m’exprime en public ? ». Je leur demande de rédiger un court texte de présentation qui reprend des faits importants de leur vie : leur identité, leurs passions, leurs désirs, leurs attentes, etc. Ce texte n’est qu’un prétexte pour récolter les critères qui serviront de ligne de conduite lors d’une lecture à voix haute. J’ai choisi de les faire oraliser un texte qu’ils auraient rédigé eux-mêmes, afin de ne pas amplifier les difficultés. En effet, puisque le texte est leur production, ils n’auront aucun problème de compréhension ou de relecture.

Présenter oralement son texte

Une fois tous les textes écrits, les enfants sont invités à passer, les uns après les autres, devant la classe afin de faire part de leur écrit aux camarades. Cependant, une consigne d’écoute est donnée aux enfants afin qu’ils fassent attention à l’orateur. En effet, je les encourage à prendre note de ce qu’ils pensent être positif, mais surtout de ce qui peut être amélioré. Les enfants prennent note – au fur et à mesure des exposés – de ce qui gêne lors de l’audition de ceux-ci. Par exemple, si un enfant ne parle pas assez fort, s’il parle trop vite, ponctue ses idées de bruits parasites ou d’un rire nerveux. Les enfants se rendent bien vite compte que leur exposé peut être amélioré afin d’être plus agréable à l’écoute.

L’objectif de cette activité est de faire dégager, par les enfants, les capacités communicationnelles, textuelles et linguistiques, les différents registres de langue, le langage verbal et non verbal, tels que l’entendent DOLZ et SCHNEUWLY[1]J. DOLZ, M. NOVERRAZ et B. SCHNEUWLY, S’exprimer en français, Séquences didactiques pour l’oral et pour l’écrit, De Boeck, 2002. dans leur didactique de l’oral. Bien que les capacités textuelles et linguistiques soient relevées par les élèves, ceux-ci sont conscients de ce que ces compétences relèvent du travail de rédaction.

Une fois tous les enfants passés devant la classe, je leur demande de citer les parasites qu’ils pensent avoir décelés dans les petits exposés de leurs condisciples. Rapidement, des points comme la vitesse d’énonciation, le débit de parole, l’attention portée à l’auditoire, l’utilisation des connecteurs linguistiques et d’autres aspects pertinents surgissent et sont discutés par toute la classe. La classe débat des critères relevés et des problèmes rencontrés, juge le pour et le contre et tente de mettre les mots justes sur des difficultés qui peuvent être corrigées par chacun. J’ai ensuite proposé de regrouper les critères en « familles » de critères. Les enfants s’approprient les critères en terme de « je » et les formulent positivement. Ils obtiennent une grille qu’ils réutiliseront pour l’activité suivante (voir encadré sur cette page).

Il est intéressant de remarquer la pertinence des critères et la qualité des regroupements effectués par les enfants. Nous sommes arrivés à transposer les capacités communicationnelles, textuelles et linguistiques en termes accessibles et compréhensibles pour tous.

Raconter l’histoire d’un autre

Pour réinvestir la grille, je propose aux enfants de travailler un tout autre type d’oral (via un autre type d’écrit). Nous allons cette fois-ci nous attarder sur la narration à d’autres. Je présente aux enfants le recueil d’histoires de Bernard FRIOT, Histoires pressées[2]B. FRIOT, Histoires pressées, Éclats de Rire, Éditions Milan Poche Junior, 1998. et je leur demande de lire les histoires qu’ils ont envie de découvrir puis d’en choisir une afin d’en faire finalement la narration au reste de la classe.

Après avoir pris connaissance des histoires, les enfants sélectionnent celle qu’ils préfèrent – individuellement – et sont invités à retravailler le texte écrit par FRIOT pour l’adapter en conte pouvant être oralisé (ajout ou suppression de dialogues, de personnages, d’éléments, etc.). Par exemple, les enfants ont modifié l’histoire afin de la rendre plus fluide à la narration, des détails ont été retirés, la focalisation s’est vue accentuée (narration en terme de « je »), le vocabulaire adapté à leur vécu, leur histoire personnelle et leur âge…

Ce qui est fort remarquable, c’est que rapidement, les enfants s’isolent et reprennent leur grille afin de s’entrainer à la lecture à voix haute. Après quelques séances d’essais par petits groupes, j’ai organisé un après-midi « Contes » au cours duquel les enfants se racontent leur histoire en tenant compte des critères établis ensemble. À l’issue de cet après-midi, les enfants reçoivent une grille d’autoévaluation reprenant les compétences relevées plus haut. Ils sont invités à la remplir en fonction de la façon dont ils jugent leur performance. L’activité se termine par une évaluation et une autoévaluation de la narration. Les commentaires sont d’ordre de l’encouragement et du rappel des critères énoncés par les enfants.

À l’issue des séances, les enfants les plus introvertis ont pris confiance et ont vaincu leurs peurs. La dynamique de classe s’est vue renforcée et la place de l’oral est devenue incontournable. Une réelle prise de conscience de l’importance de bien communiquer s’est installée auprès des enfants, et il n’était pas rare de voir des enfants se reprendre parce qu’ils parlaient trop vite ou pas assez fort. Il est à noter que les enfants ne se sont pas sentis jugés par leurs pairs et qu’ils percevaient cette séquence comme un moyen de s’améliorer et de coopérer. Aucun jugement de valeur – de personne à personne – n’était émis, jugement posé était toujours lié à la compétence de communication.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 J. DOLZ, M. NOVERRAZ et B. SCHNEUWLY, S’exprimer en français, Séquences didactiques pour l’oral et pour l’écrit, De Boeck, 2002.
2 B. FRIOT, Histoires pressées, Éclats de Rire, Éditions Milan Poche Junior, 1998.