L’école organise de plus en plus d’activités extérieures ou de « dépaysement » : excursions d’un jour, séjours en classes blanche, verte ou bleue, sorties ponctuelles à thème… C’est à la mode et c’est bien vu !
Aussi, l’école tente-t-elle d’affirmer une originalité en la matière… « Nous, l’école X ou Y, nous sommes dynamiques et nos enseignants osent dépasser les murs de leurs classes. Nous sommes des conquérants du monde, les Christophe Colomb d’aujourd’hui ! ». L’air de dire que les autres écoles qui ne sortent pas ou qui ne le disent pas sont moins enrichissantes et offrent moins de gages de réussite à leurs élèves.
Une bonne école sort de ses murs, c’est bien connu, voyons ! Allons donc, ce serait si simple : d’un côté le noir, de l’autre… Tiens, je ne sais plus quelle couleur mentionner tant celles-ci sont utilisées pour caractériser ce type d’activités scolaires.
Quelle conquête vise-t-on à travers ces journées cinéma, ces visites musée ou autres promenades détente ? En quoi ces sorties seront-elles une chance d’émancipation pour nos élèves ? N’est-on pas dans un système piégé par une « pression » pédagogique bien en vue qui pousse d’ailleurs certains établissements à jouer la carte de la libre concurrence quand ce n’est pas celle de la surenchère publicitaire ? « Dans notre école, classe de forêt pour les petits, classe de neige pour les moyens, classe de patrimoine pour les grands ou classe de langue 1 an sur 2. »
Sortir de l’école est certes une démarche louable en soi. Mais au préalable, il faut, me semble-t-il, déterminer dans quel projet pédagogique s’inscrit la démarche, savoir en même temps, si cette ouverture ne provoque pas un certain « clientélisme social ».
De même, comme toute démarche, ces sorties devront être évaluées selon les différents points de vue : celui des enfants, celui du maitre. Si les sorties ne font pas parties d’un plan concerté d’un point de vue pédagogique et d’un point de vue social, elles risquent de ne jamais dépasser le stade du seul bon « souvenir-photo-frisco » des banales excursions à Walibi !
Sortir, oui mais
Du point de vue pédagogique, à l’heure où les enseignants se plaignent de « perdre des heures », ils pourraient établir clairement pour chaque acteur (maitre, élève, parent) le profil des compétences travaillées par ces activités, tisser des relations interdisciplinaires (de la religion catholique à la géographie en passant par la mathématique) et planifier les objectifs minima à atteindre.
Dans ce domaine, n’y-a-t-il pas intérêt à susciter l’intérêt à redécouvrir d’abord le milieu proche(celui qui ne demande pas de déplacement long et couteux, celui que nous pouvons redécouvrir plusieurs fois pour confronter les analyses) et de proposer une approche critique de ce qui fait la vie « immédiate » des jeunes enfants ? Ce qui me semble important, c’est l’élaboration de ce plan concerté en équipe. Les concertations existent. Profitons-en ! Et si des surenchères se font jour, il faut les dénoncer. Ni plus ni moins.
Deux dangers me semblent importants à identifier. Le premier est celui de faire apparaitre l’école comme un produit de consommation. Les parents feraient leurs emplettes-écoles selon les sorties organisées : un peu de ceci dans l’école X, un peu de cela dans l’école Z. Le deuxième est celui, faute de construction pédagogique cohérente et bien élaborée, de favoriser l’éparpillement. Les élèves touchent un peu à tout sans aller au fond des choses et surtout sans plus d’exigences clairement identifiées.
À ce niveau, si je poussais le raisonnement au paroxysme, je dirais que certains enseignants favorisent ce genre de sorties pour éviter consciemment ou non d’entrer dans le cœur des matières (qui existent toujours !). Ce serait comme une fuite de capacités, celles de vouloir entrer, d’une certaine manière, dans les programmes ou autres socles de compétences. Avec son corollaire, l’incapacité pour les élèves de faire face, à terme, à des exigences bien balisées. Reviens-nous Freinet, ta pédagogie fout le camp !
Du point de vue social, toute sortie a un cout et… Vous allez m’arrêter d’emblée en me disant qu’un souper boudin existe pour pallier et que donc, tout le monde aura sa chance. Il faudra un jour se rendre compte que la justice sociale n’est pas réellement rendue dans nos écoles ; ainsi le fameux souper qui va faire diminuer pour tous le montant de l’activité, n’est pas « juste » car les écarts entre les nantis et ceux qui le sont beaucoup moins restent identiques. L’inégalité est donc conservée.
Je plaide, vous l’aurez compris, pour des activités extérieures qui même si elles sont généreuses et interdisciplinaires, trouvent du sens dans un processus d’apprentissage bien identifié ne cédant pas le temps précieux des premières découvertes de tous les enfants sur l’autel de la consommation, ou sur celui de la mode. Sortir de l’école oui mais, solidaires et pour apprendre.