Dans notre école d’enseignement spécialisé, il n’y a pas de préfet de discipline, ni d’éducateur.
Chacun est livré à lui-même face à un élève à sanctionner et réagit différemment suivant sa personnalité, ses difficultés propres face aux différents élèves.
Les réactions, bonnes ou mauvaises, sont le résultat du « feeling ». Il y a un manque de cohérence dans les actions et réactions.[1]Extrait des récits d’incidents critiques écrits et envoyés avant la formation.
Dans cette école où je me rends ce jour-là, une partie de l’équipe a choisi de consacrer les deux jours qui précèdent la rentrée à mettre sur le tapis les problèmes d’indiscipline et de violence auxquels elle doit faire face.
Qui suis-je donc pour aider une équipe en questionnement que je ne connais qu’à travers une ou deux conversations téléphoniques avec la directrice et quelques récits d’incidents critiques envoyés par deux ou trois personnes ? Je n’ai aucune expérience dans l’enseignement spécialisé et je n’ai jamais dû faire face personnellement à des situations de ce type. Dans un premier temps, impressionnée par la teneur des récits, je ne me sens pas du tout à la hauteur. Je panique. Que vais-je faire ? Que vais-je dire ? Qui suis-je pour leur apporter des solutions en rapport avec leurs difficultés et donc leurs attentes ? En me situant de la sorte, je me place dans une position de « salvatrice » face à des « victimes » d’un système scolaire inégalitaire et d’une société sans repère.
Pour accompagner une équipe qui se questionne par rapport à sa pratique, il est indispensable que je sorte de ce schéma. C’est l’équipe elle-même qui a les capacités de trouver les solutions adaptées à ses problèmes. Comme accompagnante, je suis un catalyseur. Ma responsabilité consiste à mettre en place un dispositif pour que quelque chose de neuf puisse se passer.
Ma première mission est d’installer un espace sécurisant où la parole puisse circuler dans le respect des personnes.
À mon arrivée dans une école, avant toute chose, je commence par me soucier du local de travail, y disposer les tables et les chaises pour que chacun ait une place confortable et que tout le monde se voit. Je cherche aussi ma place, entre le groupe et le tableau.
Ensuite, je veille à être dans le local au moment où les participants s’y rendent et à être disponible pour les accueillir (cela peut paraître paradoxal puisque c’est moi qui viens chez eux !). J’ai le souci de démarrer à l’heure. C’est une question de respect des personnes et une façon de montrer que pour moi, le travail que nous allons faire ensemble est important.
C’est le moment de faire connaissance, de faire le groupe, de créer du lien : « Qui êtes-vous ? Quelle est votre fonction ? Avec quoi venez-vous aujourd’hui, que vous avez envie de partager avec le groupe en démarrant cette journée ? »
Ensuite, je retrace l’historique du projet tel que je l’ai compris à travers les contacts pris auparavant ; je présente les objectifs de notre rencontre et j’en vérifie la pertinence et la compréhension auprès des participants.
Avant de démarrer le travail, je précise quelques règles du groupe valables pour tous et dont je me porte garante :
• chacun a le droit de s’exprimer sans être jugé (respect des personnes) ;
• l’horaire prévu (négocié si nécessaire) est respecté par tous (ponctualité) ;
• chacun s’engage à participer à l’ensemble du travail et à prévenir le formateur et le groupe s’il devait être absent ou quitter le groupe (assiduité) ;
• ce qui est dit dans le groupe relativement à des personnes appartient au groupe et n’est pas rapporté ou discuté à l’extérieur (confidentialité).
Je précise également les règles de prises de parole dont je suis garante. Le fait que ce soit quelqu’un d’extérieur au groupe qui gère la parole diminue nettement les prises de pouvoir.
Pour permettre le maintien de ces règles, un espace de parole libre est laissé au groupe en fin de journée.
Ensuite, il s’agit de mettre progressivement l’équipe en confiance par rapport à ce qui la préoccupe et de l’amener à identifier les vrais problèmes.
Souvent une production collective en sous-groupes autour de « notre école, comme nous la voyons » donne une occasion de s’exprimer sans trop s’impliquer personnellement et donne la toile de fond du travail. Cela me permet de m’appuyer sur les images et mots des participants pour les aider à parler d’eux-mêmes et de leurs difficultés.
Pour aller plus loin dans le travail, je me base souvent sur des récits d’incidents critiques écrits par les participants. L’analyse de ces récits mène l’équipe vers des débuts d’une prise de conscience : les incidents sont des indicateurs de malaises qu’il est important de nommer et de reconnaître collectivement.
Ainsi, de récit en récit, on avance ensemble dans l’identification de ce qui fait problème, du pourquoi et d’options possibles pour y remédier.
Dans le cadre de cette école, l’équipe a pris conscience de ce qui explique les prises de décisions sauvages suivant le bon vouloir de l’adulte présent : pas tellement de ne pas avoir de préfet, mais l’absence de références communes : règles de vie claires et garanties par tous les adultes, accord sur les transgressions « graves », procédures précises en cas de manquements, hiérarchie de sanctions…
Nommer les problèmes et les comprendre ne suffit pas pour faire évoluer les situations. Il faut aussi pouvoir accompagner le changement. Pour ce faire, je m’appuie sur les prises de conscience du groupe afin d’identifier avec lui ce sur quoi il peut agir. Ensuite je démarre ce travail en étant très attentive à préciser, à chaque étape, le contrat qui nous lie.
Tout au long de l’accompagnement, je veille également à ce que la méthode du travail soit elle-même « formatrice » et fournisse des repères permettant d’optimaliser un travail d’équipe avec ou sans accompagnant extérieur : compte-rendu des décisions prises et des questions soulevées, calendrier, partage des responsabilités, prise de décisions suivant des procédures décidées de commun accord,…. À chaque étape, je m’assure également de l’adhésion et du soutien de la direction avec les orientations prises, faute de quoi, l’énergie dépensée risque de servir à renforcer la croyance « On a tout essayé mais rien n’y fait ! »
Dans l’école évoquée dans cet article, j’ai passé quatre journées de travail, étalées sur deux ans au cours desquels, l’équipe a, entre autres, reformulé son règlement de vie commune en identifiant clairement les règles dont la transgression nécessite un STOP immédiat, élaboré des procédures précises dans ces cas-là, constitué un conseil de discipline, précisé le rôle de la direction en matière de discipline…
Bien sûr, une fois que je quitte l’école, je ne sais pas ce qu’il adviendra du travail entamé. La « réussite » d’un projet ne se mesure pas à la volonté de l’équipe de se tenir aux décisions prises mais à la conscience de celle-ci que la mise en place de solutions efficaces aux problèmes rencontrés au quotidien va libérer de l’énergie pour accomplir la première mission de toute équipe d’enseignants, à savoir « enseigner ».
Notes de bas de page
↑1 | Extrait des récits d’incidents critiques écrits et envoyés avant la formation. |
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