Sebastian, d’origine flamande, est professeur de néerlandais dans une école à pédagogie active où la mixité sociale n’est pas un slogan. Comment y travailler sans le moteur des points au bulletin alors que les niveaux sont très différents ?
Je suis enseignant dans une nouvelle école où tous les élèves sont nouveaux, et non marqués par la culture de l’établissement. Par ailleurs, il y a réellement une mixité sociale, résultant sans doute du statut d’école à pédagogie active située à la limite de quartiers bobos et populaires. Les profils des élèves sont très variés. Il y a des avantages et des inconvénients. Le rapport à la langue néerlandaise, par exemple, est très différent selon les élèves. Cela se voit aussi dans le contact avec les parents, lors des réunions : si certains sont quasiment bilingues et me parlent en néerlandais, d’autres ont du mal à s’adresser à moi en français…
Avant, j’étais professeur de géographie et de sciences sociales, en Flandre. Dans cette école-ci, tous les professeurs de néerlandais sont des Flamands natifs, originaires de différentes provinces : c’est un choix. Les élèves doivent ainsi apprendre à écouter, reconnaitre, identifier différentes manières de dire et différents accents.
Le fait que je sois un professeur néerlandophone a présenté certains avantages. Ce n’est pas simple, quand on apprend d’être face à un professeur qui ne se trompe jamais ! Il n’y a pas ce risque avec moi : je commets encore des erreurs en français… Du coup, mes élèves se sont retrouvés à devoir me corriger et m’expliquer certaines règles. Les rôles étaient inversés, c’est pas mal ça. Par ailleurs, les élèves m’ont expliqué comment on leur avait appris, dans leurs anciennes écoles francophones, certains traits du néerlandais, à partir de la logique de la langue française. Mes références de néerlandophone sont tout autres…
Je dois admettre qu’en début d’année, c’est la première fois que j’ai ressenti un sentiment global d’opposition aussi fort à ce que je proposais. Ce n’était pas lié ni à ma position ni à l’école, mais à la matière que j’enseigne. À leurs yeux, le néerlandais est visiblement la langue de l’establishment. Donc, on n’aime pas. Ceci dit, quand j’étais jeune, apprendre le français ne m’a pas d’enthousiasmé non plus…
Alors, comment relever le défi, d’autant plus qu’apprendre une langue dans un contexte scolaire a toujours un côté artificiel ? Quand tu apprends à résoudre des équations mathématiques, tu peux immédiatement mettre ton savoir en application. Avec une langue nouvelle, au sein d’un groupe qui communiquerait bien mieux dans celle que tout le monde partage déjà, il faut attendre plus longtemps pour que cela devienne gratifiant et utile.
De plus, les élèves, en pleine adolescence, sont confrontés à leur manque de confiance en eux et à l’image qu’ils donnent aux autres. Une langue s’apprend en parlant, pas devant une feuille de papier. Et si avec moi, beaucoup d’élèves osent prendre le risque de faire des erreurs, ce n’est plus du tout le cas devant leurs pairs.
Enfin, ce n’est pas toujours aisé de mettre au travail des élèves qui ont été habitués à travailler pour des points, dans une école qui a décidé de les supprimer. Du coup, le travail relationnel devient très important.
Dans notre organisation d’école, nous distinguons les modules du matin et les ateliers de l’après-midi. Chaque module et chaque atelier durent trois semaines. Par semaine, il y a dix-neuf heures pour les modules et huit heures pour les ateliers.
Dans les modules, les jeunes sont plus ou moins vingt-cinq, regroupés par âge, comme dans une classe traditionnelle. Un module s’organise autour d’une question transdisciplinaire. Chaque discipline travaillera cette question selon son mode d’approche spécifique, mais en veillant à croiser ce qui s’apprend dans les différents cours. Par exemple, pour la question pourrait-on vivre sans énergie nucléaire ?, une enquête avec des questions sera réalisée en néerlandais et au cours de mathématique, elle sera analysée en termes statistiques.
Pour assurer ces liens, les professeurs sont tenus de préparer ensemble la cohérence du travail. Par ailleurs, lors des temps de travail avec les élèves, les professeurs ne se cantonnent pas exclusivement à leur spécialité. Un professeur d’histoire pourra développer une question sociologique si la recherche l’y amène.
Pour le cours de néerlandais, il faut du temps pour trouver des supports pour les compréhensions à l’audition et à la lecture, accessible aux élèves et en rapport avec la question traitée. Heureusement, il y a des sites collaboratifs comme klassemens où des documents vidéos et audios sont déposés par d’autres enseignants.
À la fin du module, les élèves devront produire, par exemple, une production écrite et orale qui regroupe ce qu’ils auront appris sur le sujet, en tenant compte des apprentissages grammaticaux qui auront été travaillés.
Dans les ateliers, les élèves sont une quinzaine, avec une grande variété d’âges. Le fil rouge des ateliers est spécifiquement disciplinaire : histoire, sciences, etc.
Pour les ateliers de néerlandais, nous avons essayé plusieurs formules. Nous avons d’abord regroupé les élèves en fonction du niveau. Cela posait problème quand les écarts d’âge étaient trop importants : un enfant de douze ans ne s’intéresse pas aux mêmes choses et ne travaille pas de la même façon qu’un de seize ans. Pour parer à cet inconvénient, nous avons décidé, dans un second temps, d’organiser des ateliers par degré.
En atelier, avec de plus petits groupes, le rapport au néerlandais des élèves devenait plus souple. Pour les aider, nous concevions beaucoup d’activités aussi dynamiques que possible, notamment des jeux. Pour les plus avancés, cela pouvait aboutir à des ateliers d’écriture de poésie, même en mélangeant les langues, ou au visionnement d’un film en néerlandais suivi de débats.
Ainsi, au fil de l’année, tous les élèves d’un même module ont fini par avoir fait l’atelier de néerlandais. L’ambiance de travail dans les modules est devenue plus dynamique, les élèves avaient gagné en assurance !
Enfin, entre les modules et les ateliers, il y a les groupes de référence. Ce sont de petits groupes très hétérogènes en terme d’âge qui sont suivis par un professeur référent. Outre ces moments de suivi, ces deux heures de cours peuvent aussi être employées pour un travail en coopération. Un élève de treize ans sortant d’une école en immersion pouvait aider un grand de quinze en difficulté en néerlandais. Nous veillons toujours à ce que le professeur ne soit pas la seule source de savoir ni le seul interlocuteur.
Nous organisons aussi des voyages, notamment en Flandre ! Ceci dit, le but n’est pas spécifiquement linguistique. Plusieurs formules ont déjà été expérimentées. L’un s’est organisé à vélo, et c’est une manière de rencontrer les élèves, y compris pour parler néerlandais avec eux. Au fil du peloton, ils manifestent une aisance qu’ils n’auraient jamais eue en classe !
Un autre voyage a été organisé à Anvers, l’occasion de travailler sur le thème : le pétrole est-il le moteur du monde ? Une visite du port d’Anvers était prévue, et les élèves ont sauté sur l’occasion pour proposer d’en faire un vrai voyage scolaire. Les professeurs ont demandé aux élèves de prendre l’organisation en main, y compris les questions d’intendance (réservation de logement…).
Si le point de départ de ces voyages n’était pas purement linguistique, nous avons veillé à organiser des activités pour que les élèves soient amenés à interroger les passants, et à se débrouiller en néerlandais. Ce sont des occasions de donner plus d’autonomie aux élèves, de les amener à prendre confiance en eux.
L’année prochaine, nous pensons baliser l’espace de l’école avec des étiquettes en anglais et en néerlandais, un peu comme les panneaux dans les rues de Bruxelles, pour favoriser la mémorisation de mots usuels. Nous voudrions aussi organiser des voyages linguistiques, lors desquels nos élèves logeraient dans des familles d’accueil.
Une correspondance avec de jeunes Flamands nous tente moins. Personnellement, j’ai vécu l’exercice quand j’étais élève, et cela m’a semblé artificiel et ennuyant… Par contre, nous envisageons d’organiser des excursions dans des villes flamandes, plusieurs fois dans l’année, et dans la même ville, pour que les élèves n’y soient pas comme des touristes d’un jour, mais puissent, peu à peu, s’y familiariser.
Et qu’ils se rendent compte qu’apprendre une langue, ce n’est pas ingurgiter un code, c’est découvrir des gens, des lieux, une et même plusieurs cultures…