Dans certaines familles, les codes de l’école sont appris et intégrés dès le plus jeune âge. Dans d’autres, pas. Il revient alors à l’enseignant la responsabilité d’inculquer à son élève l’intérêt d’apprendre, l’intérêt de comprendre.
C’est toujours un événement très attendu et apprécié par le grand public. Par le monde enseignant aussi. La vingtième édition du salon de l’Education ouvrira ses portes ce mercredi 16 jusqu’au dimanche 20 octobre au Charleroi Expo. L’occasion pour diverses associations, notamment pour le mouvement d’éducation permamente “ChanGements pour l’égalité” (CGé), de proposer des conférences sur cette vaste thématique qu’est l’éducation.
Au programme, trois conférences de CGé parmi lesquelles celle de Sandrine Grosjean. L’objet de sa présentation : le “saut” parfois difficile à faire pour certains enfants qui entrent à l’école entre culture familiale et culture scolaire. “Pour certains , expose-t-elle, ce saut est tellement grand que ces mondes paraissent inconciliables”. Par conséquent, une question se pose : “Comment l’enseignant peut-il prendre en compte ce conflit de loyauté pour permettre à ses élèves d’entrer dans les apprentissage s ?” Réponse avec l’intéressée.
Un “saut” difficile entre sphère familiale et sphère scolaire pour certains enfants. Pourquoi ?
Il y a des familles qui, culturellement, ont les codes de l’école, ont compris comment cela fonctionnait, pour qui l’école s’est bien passée et qui sont dans des fonctions sociales proches du monde scolaire. Par conséquent, ils éduquent déjà leurs enfants avec toutes les valeurs et les présupposés qui seront présents à l’école. Et puis, il y a toutes les familles pour qui ce n’est pas le cas. Alors d’abord, on pense évidemment aux familles issues de pays lointains qui ne connaissent pas l’école comme chez nous. Mais il y a aussi le cas de ces personnes qui sont allées à l’école chez nous, mais qui l’ont mal vécu parce qu’elles n’ont pas compris ce que l’on attendait d’elles. Par conséquent, elles ne sont pas capables de transmettre à leurs enfants ce qu’elles-mêmes n’ont jadis pas compris.
Que n’ont-elles pas compris précisément ?
Elles n’ont pas compris ce que l’école attendait d’elles, à quoi cette dernière pouvait les amener. Je veux dire, l’école a pour objectif d’inculquer une manière d’entrer dans le savoir, de comprendre les choses qui est objectivée, logique et critique. Ce savoir, il est construit sur le modèle scientifique : on fait des expériences, on étaye, on vérifie. A la maison, il y a des familles qui sont construites sur un tel modèle et qui fonctionnent comme cela. Et puis, il y en a d’autres dans lesquelles on ne va pas nommer les choses mais les faire. Les enfants vont faire les choses, ils vont apprendre en faisant mais sans nécessairement les nommer. Par conséquent, ce qu’ils ont appris, ils ne sont pas capables de mettre des mots dessus. Or à l’école, c’est ce que l’on va leur demander. Mais parce qu’ils n’en sont capables, on va estimer qu’ils ne savent rien. Il y a énormément d’enseignants qui ne se rendent pas compte que les familles ne pensent pas comme eux.
Que voulez-vous dire ?
Prenons l’exemple du rapport au travail. Les enseignants voudraient que les enfants apprennent par plaisir, par curiosité, par envie de savoir. Mais il y a beaucoup de milieux dans lesquels on travaille parce qu’on est obligés, parce que cela rapporte. Et entrer dans un rapport au travail pour le plaisir, c’est quelque chose que certains enfants ne connaissent pas à la maison, ne comprennent pas. Mais beaucoup d’enseignants qui sont dans ce rapport-là n’imaginent pas que les enfants ne puissent pas connaître cela. D’ailleurs, on ne parle même pas de ces différences, on ne les nomme même pas ! Il y a donc un implicite qui vient brouiller la communication. Conséquence, l’enseignant se fâche “parce que les gamins sont paresseux ou qu’ils ne travaillent que pour des points” alors que finalement, ils n’ont jamais appris à travailler pour d’autres raisons. Et en même temps, l’enseignant ne s’est pas donné la peine de leur apprendre.
Il y a donc un travail qui doit se faire du côté des enseignants selon vous ? Via leur formation par exemple ?
Je pense qu’il faut clairement sensibiliser les enseignants à ces questions-là. Ce sont d’ailleurs des dimensions qui sont de plus en plus travaillées dans la formation initiale. Maintenant, cela varie d’une haute école à l’autre. Je pense d’ailleurs que cela devrait être travaillé en formation continuée aussi. Ceci dit, ce n’est pas tant le fait de le travailler qui importe mais d’en être conscient. Je veux dire, un enseignant qui en est conscient est respectueux de ses élèves quelles que soient leurs formes de rapport au travail. Et c’est ça qui va compter, c’est que les enseignants respectent les gamins quels qu’ils soient.
Cela relève d’abord de la responsabilité des enseignants donc ? Quid de celle des parents ?
Très clairement. Les professionnels, ce sont les enseignants. Ceux dont c’est le métier de faire en sorte que les choses évoluent, ce sont les enseignants. Les parents, ils ne sont pas payés pour ça. Les parents, ils sont comme ils sont, ils font ce qu’ils peuvent avec ce qu’ils ont, et ils n’ont pas de diplôme de parents ni quoi que ce soit. Pour moi, le pas doit donc se faire du côté de l’école.
A condition qu’il y ait un minimum de réceptivité de la part des parents tout de même ?
C’est clair que si les parents sont en opposition radicale avec l’école, cela ne marchera pas. Mais cela, on en trouve un sur 10 000 ! La toute grande majorité des parents ont envie que leurs enfants aillent et réussissent à l’école. Et même si les parents n’ont aucun contact avec l’école, même s’ils sont en conflit sur certains points, ils ont clairement envie que leurs enfants y mettent du leur parce qu’ils savent que la réussite passe par là. Mais j’insiste, l’école doit accueillir les enfants tels qu’ils sont et mettre en place tout ce qu’il faut, dès la maternelle, parce que c’est à ce moment-là qu’on fait des enfants des élèves. Et l’enseignement maternel va permettre de comprendre ce qu’il faut comprendre à l’école. L’enseignant se doit de respecter les modes de fonctionnement de la famille pour que l’enfant ne se sente pas en conflit de loyauté, divisé entre la sphère familiale et la sphère scolaire. Il doit faire comprendre à l’enfant que ce qu’il fait à l’école ce n’est pas comme à la maison, mais que c’est bien aussi.