Peut-on offrir un cadre permettant à chaque élève d’apprendre à son rythme ? J’ai essayé de m’en approcher en donnant plus d’autonomie à l’élève dans l’organisation de son travail et dans la planification de ses évaluations.
Dans les écoles dites traditionnelles, le contenu et la date des évaluations sont souvent établis de façon univoque par le prof. Ce dernier cherche, la plupart du temps, à s’adapter à la date de remise du bulletin périodique plutôt qu’aux rythmes d’apprentissage des élèves. Travaillant dans une école de ce type, j’ai essayé de faire en sorte que les élèves aient davantage prise sur leur emploi du temps, sur la planification de leur travail et sur la manière d’aborder une séquence par eux-mêmes. Est-ce que cela les rend plus actifs dans leurs apprentissages ? Qu’apprennent-ils grâce à ce dispositif ? Petit retour sur cette expérience, réalisée dans le cadre de cours techniques, en 5e et 6e secondaire, option Technicien(ne) en environnement.
Je pars du principe que la majorité des élèves travaillent la veille des jours auxquels sont planifiées les échéances. Faisant face à la difficulté que connaissent certains d’entre eux à les respecter, j’ai décidé de changer le cadre. Je me suis donc lancé dans la préparation de plusieurs séquences de cours soumises aux élèves en même temps, en fixant une date à laquelle ils doivent avoir présenté toutes les évaluations portant sur ces différentes séquences. Je leur remets également les objectifs d’apprentissage de façon à ce qu’ils sachent ce sur quoi ils seront évalués. Ensuite, ils travaillent les séquences par eux-mêmes. Les élèves ont la possibilité de me poser des questions et de s’entraider. À chaque moment d’évaluation, dont j’établis la fréquence à deux fois par semaine, ils peuvent présenter, ou représenter, une épreuve au choix. J’ai testé cette méthode auprès de trois classes, une de rhéto et une de cinquième secondaire avec laquelle j’ai réitéré l’expérience avec les élèves passés en sixième.
« Que je choisisse de travailler ou non aujourd’hui, pour telle matière, peut être sans conséquence. Le choix m’est laissé de présenter ou non une évaluation dans cette matière. Et même si je fais le choix d’en présenter une, je peux encore décider si elle compte pour le bulletin ou non. Alors, pourquoi est-ce que je travaillerais maintenant ? » Voici ce que peut se dire un élève parmi ceux avec lesquels j’ai décidé de travailler sur le cadre temporel de l’évaluation.
Bien que les élèves des trois groupes m’aient toujours fait part du fait qu’ils appréciaient cette façon de faire, je me demande si je leur rends réellement service. Mon expérience me montre que l’apprentissage des élèves, en termes de connaissance et de compétence, ne fut, en général, pas meilleur et, même, parfois moins bon, sauf avec un groupe dans lequel ils ont appris à travailler ensemble, une dynamique d’entraide s’étant installée. Par contre, dans l’explication que les élèves avancent face à leur échec, j’entends davantage qu’auparavant, il me semble, le manque d’organisation. Avant, l’explication tenait bien souvent uniquement dans le manque de travail. N’ont-ils pas, dès lors, gagné un échelon dans la prise de conscience des outils à mobiliser pour apprendre, en considérant que l’organisation en fasse partie ?
Avec ce dispositif mis en place, j’ai l’impression que l’élève peut expérimenter une forme de liberté qu’il n’a peut-être pas connue auparavant : celle de décider s’il travaille durant l’heure de cours prévue à cet effet, la manière de travailler la matière, s’il se soumet ou non à une évaluation à un moment choisi. Il se retrouve donc, non seulement face au choix de travailler ou non, mais s’il décide de travailler, il peut aussi déterminer le moment auquel il se sent prêt à être évalué. Je me dis qu’il peut, par là, choisir également le niveau de maitrise de la matière qu’il juge suffisant avant de se soumettre à l’évaluation. Cependant, il peut arriver que l’élève ne présente aucune épreuve ou qu’il ne s’investisse pas assez, pensant qu’il a tout le temps et beaucoup d’occasions de présenter les épreuves et finalement, il se retrouve pris de cours par le temps. Dans les deux cas, je trouve néanmoins que cela peut être instructif de vivre de façon plus autonome, et donc plus responsable, cette expérience du temps. J’ajouterais aussi que l’expérience de l’effort vécue par l’élève qui représente plusieurs fois la même épreuve me semble plus instructive encore que la possibilité de réaliser une évaluation formative avant la certificative.
Analysant ma démarche avec du recul, je pense qu’il importe d’affiner mon dispositif. Mes deux hypothèses de départ étaient qu’il pouvait motiver davantage les élèves à travailler, tenant l’argument de l’augmentation de leur autonomie, et leur apprendre à organiser et planifier leur travail. Je ne pense pas que ces pistes aient atteint leur objectif. Nous avons cependant pu discuter, les élèves et moi, du mode de planification des apprentissages. Ils ne le remettent pas en cause, mais nous n’avons pas trouvé mieux que de reporter une échéance lorsque les objectifs fixés initialement n’étaient pas atteints. Mais, dorénavant, je mettrai clairement en avant, lors de mes séquences d’apprentissage, la liste des outils que les élèves peuvent utiliser afin de devenir davantage acteurs de leur emploi du temps face à leurs échéances. Ainsi, le journal de classe (version papier ou en ligne), avec l’espace qu’il accorde pour noter le travail journalier et parfois la planification hebdomadaire, est un outil suffisant, mais peu personnalisable. Des tableaux permettant à l’élève de planifier son emploi du temps quotidien, hebdomadaire et mensuel peuvent s’avérer aussi des outils pratiques. Mais, ensuite, comment apprendre à planifier ? J’ai proposé d’abord de réfléchir en termes d’objectifs. La formulation d’objectifs d’apprentissage n’est pas évidente, mais je trouve que l’exercice fait sens. Ensuite, de décliner ces objectifs en tâches à réaliser ou en étapes intermédiaires. Là aussi, au premier abord, les élèves semblent un peu démunis.
Malgré mon cheminement, je continue de me poser cette question des échéances. Pour vivre en société, le respect des échéances est nécessaire. L’école est un des lieux où apprendre cela. Mais j’aurais tendance à dire que, pour ce faire, il importe davantage d’apprendre, à l’école, à atteindre des objectifs, à développer une stratégie, une méthode. Le respect des échéances ne vient-il pas ensuite, une fois qu’on s’est doté d’une méthode personnelle qui a fait ses preuves ? Car, sans méthode, l’atteinte des objectifs et le respect des échéances seront parfois au rendez-vous, mais peut-être pas de façon systématique.
Finalement, cet essai en faveur d’une autonomisation plus grande dans l’apprentissage me montre que chercher à adapter le rythme des apprentissages à chaque élève n’est pas chose aisée, mais peut-être pas totalement impossible. Je me demande si l’on ne s’en approcherait pas davantage en invitant l’élève à travailler plus en profondeur cette question des objectifs d’apprentissage personnels et à établir un plan de travail personnalisé lui permettant d’atteindre réellement ses objectifs ? Le rôle du prof deviendrait alors un rôle d’accompagnateur, de guide. J’ai bien envie d’aller dans cette direction. Reste à trouver le cadre qui le permette. Voilà une longue… Euh, non, je vais plutôt dire une belle aventure qui m’attend !