L’échec à l’université est souvent attribué au nombre d’étudiants qui peuplent les auditoires dans un contexte de libre accès. Si le nombre est certes une contrainte, je voudrais relater ici une initiative qui permet en partie au moins de démentir cette idée courante.
Lorsque m’ont été confiés des cours de mathématiques et de statistique en premier bac et en grands groupes (entre 200 et 500 étudiants), qui plus est pour des étudiants en gestion, de nombreuses questions se sont posées sur la façon dont j’allais organiser ces cours. En tant qu’assistante, j’avais fait plusieurs constats (plutôt négatifs) et je souhaitais mettre en place une organisation qui pourrait remédier aux difficultés que j’avais identifiées.
Premièrement, j’étais depuis longtemps frappée par la perte de temps que représentaient, pour beaucoup d’étudiants, les cours théoriques traditionnels. La prise de notes effrénée me semblait empêcher certains de simplement chercher à comprendre ce qui s’expliquait durant le cours et le manque de mise en activité finissait par ennuyer les autres qui décrochaient rapidement.
Deuxièmement, j’étais désespérée, en tant que responsable des séances d’exercices, de ne pouvoir utiliser les notions vues au cours théorique que les étudiants ne maitrisaient pas (conséquence immédiate du premier point, pourrais-je dire). J’en étais réduite à faire des rappels théoriques et le cercle vicieux s’enclenchait : puisque je faisais des rappels de ce qui était utile, le cours magistral devenait inutile (en tout cas, dans la tête des étudiants) donc ils y étaient de moins en moins attentifs (voire présents) donc avaient de plus en plus besoin de rappels…
Troisièmement, j’étais consciente que beaucoup d’étudiants évaluaient mal leur compréhension et leur capacité à résoudre des exercices seuls : en suivant les explications de l’enseignant pendant les séances d’exercices, ils avaient l’impression d’avoir tout compris et ne prenaient pas conscience qu’il ne suffisait pas de comprendre les raisonnements tout faits pour être capables d’en construire un nouveau soi-même.
J’étais également assez sensible à la difficulté, lorsque les étudiants étaient répartis en petits groupes, de donner à tous les mêmes informations et donc les mêmes chances de réussite.
Enfin, personnellement, je me savais incapable de donner deux heures de cours sans autre interaction que des questions posées à la volée.
J’ai donc cherché à mettre en place un dispositif qui puisse résoudre ces problèmes, qui, d’après moi, nuisaient non seulement à la réussite, mais surtout à l’apprentissage.
La première étape a été de fusionner la théorie et les exercices, le tout étant donné à l’ensemble des étudiants en même temps. Cela peut sembler minimaliste comme changement, mais cela m’a donné énormément de liberté dans la construction du cours.
Ensuite, j’ai construit un support de cours dans lequel les étudiants prennent des notes, mais qui leur permet de gagner du temps puisque beaucoup d’éléments sont déjà dans les feuilles. Il s’agit donc d’un support « à trous ». Je me repose également beaucoup sur le campus virtuel sur lequel je dépose, au fur et à mesure, des informations qui prendraient trop de temps à être notées, mais qui ne peuvent pas se trouver, à priori, dans les notes, car cela couperait le temps de la réflexion.
Je peux donc, à partir de là, utiliser le temps gagné en prise de notes pour les faire réfléchir. Ainsi, plus aucun exercice ou exemple n’est résolu à priori. En auditoire, les étudiants sont invités chaque fois à essayer de résoudre l’exercice par eux-mêmes, seuls ou en groupes. Évidemment, pour que cela soit porteur, il faut que je puisse interagir avec eux durant ces phases de travail. Je demande donc aux étudiants de laisser une rangée vide toutes les deux ou trois rangées et j’utilise les assistants ou élèves-moniteurs[1]Étudiants des années supérieures engagés par l’université pour aider à l’encadrement. pour circuler avec moi et répondre aux questions.
Du point de vue de l’étudiant, cela le place dès le départ dans la position qu’il aura à l’examen. Face à un problème à résoudre avec toutes les difficultés que cela comporte : lire et comprendre l’énoncé sans que l’enseignant n’en ait décortiqué les éléments importants, explorer les éléments du cours qui pourraient être utiles, comprendre ces éléments plus en profondeur puisqu’on cherche à les mettre en pratique, tenter une stratégie qui ait une chance d’aider à la résolution, se rendre compte que ça ne fonctionne pas, mais que, peut-être, ça donne des indices supplémentaires.
Pour beaucoup d’étudiants, ça s’arrête là et c’est très bien, car la résolution correcte du problème n’est pas l’objectif (même si c’est la cerise sur le gâteau). Dans cette vision plutôt constructiviste, l’apprentissage se situe principalement sur des éléments que les étudiants ont rarement l’occasion de mettre en œuvre alors que ce sont des démarches fondamentales pour tout apprentissage. Ils ont ainsi l’occasion de se tromper et surtout de comprendre qu’ils apprennent de leurs erreurs, que les concepts sont mieux maitrisés quand on a compris pourquoi on s’était trompé, car apprendre, c’est plus résoudre un puzzle qu’empiler des briques.
Les répercussions sur mon discours et sur la construction du cours sont évidemment importantes, car je repars de ce que j’ai constaté dans les feuilles des étudiants : les erreurs, les mauvaises interprétations, certaines incompréhensions, mais aussi les bonnes idées, des stratégies différentes… Cela me permet également de disséminer des « pièges » : des questions pour lesquelles je sais que beaucoup vont faire une erreur à laquelle je veux qu’ils soient confrontés et sur laquelle on rebondit pour construire un apprentissage plus solide.
Mon objectif premier n’était pas le taux de réussite, mais il vient comme une conséquence du reste. Ainsi, le taux de réussite dans mes cours tourne entre 45 et 50 % suivant les années alors qu’il se situe plutôt dans les 30 % au niveau de la réussite globale. Je pense que plusieurs éléments du dispositif contribuent à la réussite. Tout d’abord le fait d’être plus actif au cours leur permet de gagner du temps d’étude ; avoir la possibilité d’entamer seul (ou en groupes) les exercices les aide à prendre conscience de leurs capacités à le faire en situation d’évaluation.
Je constate ainsi que, du fait d’être amenés à lire seuls les énoncés pendant le cours, ils ont nettement moins de problèmes, lors de l’examen, avec la lecture ou la compréhension des questions ; beaucoup moins d’étudiants font « l’impasse » sur la théorie à l’examen, car les questions sont, à l’image du cours, un mélange de théorie et d’exercices, leurs réponses ne sont évidemment pas toujours correctes, mais au moins ils essaient ; le taux de fréquentation du cours est également important par rapport à la moyenne alors que tous les cours sont enregistrés en podcast et disponibles pour tous les étudiants.
Une de mes motivations premières était de prendre du plaisir à donner cours et cela passait par la possibilité de réellement accompagner les étudiants dans leur apprentissage (du moins ceux qui le souhaitent). Je pense pouvoir dire que cet objectif est atteint. Visiblement, c’est aussi le cas de pas mal d’étudiants, car les évaluations pédagogiques récoltées chaque année montrent que beaucoup d’entre eux apprécient ce système, c’est d’ailleurs toujours un plaisir de lire les commentaires qu’ils laissent dans ces évaluations.
Néanmoins, pour être honnête, tout n’est pas rose. Certains étudiants ne jouent pas le jeu, ils n’ont pas envie d’être mis en activité et ne s’engagent pas dans les activités proposées. Cette rupture avec le système traditionnel est moins confortable pour ceux-là. Ce n’est pas évident à gérer au quotidien pour le professeur qui, en circulant dans l’auditoire, prend nettement plus conscience de ces attitudes que lors d’un cours magistral. Il faut pouvoir se dire qu’on fait le maximum pour les aider, mais qu’on ne peut pas faire de miracle.
Notes de bas de page
↑1 | Étudiants des années supérieures engagés par l’université pour aider à l’encadrement. |
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