À l’Institut des langues vivantes, nous enseignons le français langue étrangère à des étudiants universitaires venus des quatre coins du monde. En fonction de leur langue d’origine et de leur culture d’apprentissage, la grammaire du français est facile ou complexe, demandée ou évitée.
Les recherches en psychologie cognitive ainsi que les avancées du développement personnel nous aident à qualifier ces profils. Janine Courtillon[1]Élaborer un cours de FLE, Hachette (Français langue étrangère), 2003. rapporte la distinction entre les perfectionnistes qui attachent beaucoup d’importance aux détails et ne se lancent pas aisément dans la parole, et les globalistes qui n’hésitent pas à s’exprimer et ne se soucient pas de communiquer en faisant des fautes. Par ailleurs, Howard Gardner a attiré l’attention sur le fait que notre intelligence n’est pas seulement logique et verbale, mais qu’elle est aussi musicale, kinesthésique, intrapersonnelle (entre autres). De plus, le modèle de communication professionnelle Com Colors détermine six types de personnalité, avec leur filtre de perception et leur comportement en équipe : réfléchi, spontané, aimable, actif, évaluateur ou logique. Enfin, les neurosciences ont révélé l’influence des émotions sur l’apprentissage. Voilà autant de contraintes qui deviennent des incitations à enseigner la grammaire autrement ! Mais quelle grammaire ?
Commencer par un tableau distinctif entre l’article défini, indéfini et partitif est contreproductif. L’apprenant d’une langue étrangère doit d’abord être capable d’intérioriser le fonctionnement grammatical par l’écoute, la lecture, de le pratiquer par la parole et l’écriture avant d’être capable d’en étiqueter les concepts. Tout natif francophone a été capable de distinguer l’emploi de du et le dans Je mange du chocolat et J’aime le chocolat bien avant d’apprendre les dénominations d’article partitif ou défini. D’autre part, ces concepts grammaticaux n’ont pas nécessairement d’équivalent dans la langue d’origine de l’apprenant et ne l’aident pas du tout.
Alors, comment enseigner la règle ? Pour Janine Courtillon, « l’opération qui semble la plus efficace, c’est la découverte de la règle dans le contexte et grâce au contexte. Ce qui sera retenu ne sera pas nécessairement la formulation de la règle ; l’information restera stockée dans la mémoire, la règle pourra être explicitée puisqu’elle a été comprise, mais l’explication ne sera pas nécessaire pour tous[2]Élaborer un cours de FLE, Hachette (Français langue étrangère), 2003. ». En fait, ce qui est plus important, c’est le recours à la mémoire procédurale (savoir utiliser la forme correcte) plutôt que la mémoire déclarative (savoir énoncer la règle).
Il s’agit dès lors de multiplier les occasions où l’apprenant devra produire des phrases en fonction d’une matrice syntaxique proposée. Par exemple, Dans ma pizza, je mets du…/de la…/des… Pour renforcer la mémorisation de ces nouvelles structures, la parole en mouvement, associée à un travail collaboratif ou encore associée à une émotion, pratiquée dans le théâtre, est une alliée de choc. Elles présentent l’avantage de répondre aux contraintes de profils d’apprenants exposés précédemment.
Sylvaine Hinglais et Myrtha Liberman[3]Pièces et dialogues pour jouer la langue française, Retz, 1999, Adrien Payet[4]Activités théâtrales en classe de langue, 2010, CLE International. et Patrick de Bouter[5]Théâtre pour la classe, A2 — B1. Textes à lire, à dire, à jouer, Presses universitaires de Grenoble. ont proposé des pièces destinées à être lues, dites ou jouées en classe de français langue étrangère. Dans le cours général à objectif B2, dans lequel une unité est consacrée au polar, j’ai intégré la saynète Subjonctif écrite pour deux personnages, par Sylvaine Hinglais et Myrtha Liberman. Je l’utilise pour faire apprendre ce mode de la conjugaison aux apprenants. Nous commençons, en fonction du nombre de participants, par un échange par table ou en grand groupe sur les moyens qui peuvent être utilisés pour faire avouer un suspect.
Ensuite, les apprenants sont répartis en duos de langue différente et chaque duo se voit attribuer un extrait de la saynète. S’il y a plus de dix apprenants, plusieurs duos peuvent recevoir le même extrait. Chaque duo doit le lire et le comprendre. Il fait appel à ses connaissances, utilise un dictionnaire en ligne ou consulte le professeur.
Après, les apprenants sont invités à coder le texte pour en préparer la lecture à voix haute : respecter les pauses, les syllabes finales accentuées et ne pas prononcer les lettres finales muettes. Toujours en duo, les apprenants répètent leur interprétation. On joue alors toute la saynète : le professeur joue le personnage que l’on veut faire avouer et les duos se succèdent. Les duos s’enchainent pour jouer la saynète jusqu’au moment où tous sont passés : on apprécie la diversité de jeu des différents comédiens, en fonction de leur tempérament. C’est un joli moment de classe, qui travaille le sens au service de l’oralité, de façon solidaire et collective, et joue sur l’émotion de la colère. Voici le début de la saynète.
A Je n’en peux plus.
B Il faut que ça finisse.
A Nous avons eu assez de patience.
B Je crois qu’il est temps…
A Oui, il est grand temps que nous sévissions. Défendons qu’il se taise !
B Oui, sinon il aura notre peau, la vache. (Silence)
Tu sais pourquoi il s’obstine, non ? […]
Après cette activité qui a dynamisé le groupe, chaque duo doit repérer dans le texte les énoncés qui expriment la nécessité, le but, le fait qu’il faut faire faire quelque chose… Il doit examiner aussi la forme verbale qui suit, la copier dans un tableau et identifier son infinitif. Dans la mise en commun, nous observons les ressemblances et dégageons des règles sémantiques pour ces formes verbales. Le classement le plus efficace est binaire : virtuel ou réalisé. Lorsque l’apprenant devra produire un énoncé, il pourra décider, très vite, si c’est l’un ou l’autre. Une fois ces règles sémantiques établies vient l’observation des formes verbales du subjonctif. De quelles formes connues se rapprochent-elles ? Qu’est-ce qui est différent ? Peut-on identifier la base ? Les terminaisons ? Les formes irrégulières ?
Pour mémoriser efficacement les formes des dix verbes irréguliers au subjonctif, des exercices oraux répétitifs sont recommandés. On peut s’inspirer des exercices structuraux comme on peut recourir à la mémoire corporelle. Je m’inspire ici d’un atelier présenté par Régine Spehler, à la Rencontre FLE de 2019, à Madrid. Les apprenants marchent dans l’espace. Au signal, chacun mime ce que dit l’enseignant : il faut que tu/vous, j’aimerais que…, je voudrais que…, etc.
Un verbe d’action (dire son mot préféré, marcher en arrière, tourner, s’arrêter, faire la statue, voler, aller au magasin…)
Un verbe qui reflète une émotion ou un sentiment (rire, crier, avoir peur, être en colère…)
La mémorisation de la forme écrite fonctionne bien en compétition, selon deux modalités : des équipes concourent au tableau. La première qui a écrit correctement la forme demandée gagne le point. Cet exercice, proposé régulièrement, en début ou en fin de cours, stimule grandement l’étude des adultes pour la séance suivante ! Par ailleurs, le recours à une plateforme en ligne permet à chacun d’écrire en même temps dans la conversation (chat) la forme correspondant à l’infinitif et à la personne donnée par l’enseignant.
À la séance suivante, les apprenants sont prêts à produire des énoncés dans lesquels apparaitront des subjonctifs. Le site des Zexperts propose une activité gratuite qui a fait ses preuves : une négociation de crise dans laquelle les participants doivent argumenter au sujet de l’élimination d’une personne dans une situation donnée. Elle est déclinée en deux situations : le bureau[6]https://bit.ly/3nvBCFu et la colocation. Après avoir analysé le cas de chaque personne, les apprenants s’expriment tour à tour. Ils gagnent des points en utilisant l’une ou l’autre formulation (je doute que, il faudrait que, j’exige que…) proposée sur une petite carte déposée au centre de la table. Dans Total subjonctif, les apprenants doivent écrire le plus rapidement possible une phrase qui respecte les contraintes puisées dans la pioche des actes de parole, celle des situations et constatations, et enfin, celle des critères de vote. Parfois, je propose à la place de ce jeu de visionner la scène de la « Torture humaniste[7]https://bit.ly/3pHx1lN » extraite du film culte L’aventure, c’est l’aventure de Claude Lelouch. Chaque groupe se centre sur un personnage pendant le visionnage de l’extrait. Il doit ensuite produire au moins cinq phrases contenant un subjonctif en lien avec cette scène d’extorsion d’aveu.
Puissent ces activités contextualisées ancrer durablement la compréhension du sens du subjonctif et l’intégration de ses formes !
Notes de bas de page
↑1, ↑2 | Élaborer un cours de FLE, Hachette (Français langue étrangère), 2003. |
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↑3 | Pièces et dialogues pour jouer la langue française, Retz, 1999 |
↑4 | Activités théâtrales en classe de langue, 2010, CLE International. |
↑5 | Théâtre pour la classe, A2 — B1. Textes à lire, à dire, à jouer, Presses universitaires de Grenoble. |
↑6 | https://bit.ly/3nvBCFu |
↑7 | https://bit.ly/3pHx1lN |