Après le décret inscriptions … Prendre du recul

« Chez nous il n’y a pas de file ! Entrez, vous êtes les bienvenus !» ont dit la plupart des directeurs et des préfets aux parents affolés par le battage médiatique. Oui, il y aura de la place pour tous les enfants en âge d’entrer en première secondaire.

N’ironisons pas trop vite, cette émotion, ce stress, même s’ils sont alimentés par les médias, sont très révélateurs de l’intensité de la demande adressée à l’école.

L’enseignement est un sujet sensible. En premier lieu parce qu’il nous touche dans nos souvenirs d’enfance, ou de jeunesse. L’école, c’est d’abord mes écoles, mes « chagrins d’école » , ou parfois aussi, il faut le dire, mes bonheurs d’école, mes combats d’école, mes défis, mes échecs, mes copains, les profs que j’ai haïs, ceux que j’ai adorés. Il ne faut jamais gratter longtemps pour voir surgir l’élève ou l’étudiant dans le costume du ministre, de l’ingénieur, du journaliste ou du parent .

L’enseignement nous atteint dans nos enfants. Dans le paysage précoloré par nos propres souvenirs, vient se greffer ce que nous observons des expériences de nos « petits ». Nous les voyons se débrouiller avec des sentiments mêlés. Nous nous angoissons pour leur avenir, nous essayons de les soutenir. Parfois aussi, nous nous décourageons devant l’immensité des efforts à fournir.

L’école agite nos interrogations sur le passé : qu’est-ce qui vaut la peine d’être transmis ? Sur l’avenir : l’avenir de nos jeunes, mais aussi celui du monde dans lequel ils vont vivre. Quelles sont les compétences indispensables à leur équipement pour le futur ? Vont-ils pouvoir les acquérir dans n’importe quel contexte ? Allons-nous leur offrir le « must » ou ce qui leur convient personnellement ? Faut-il les faire vivre avec des jeunes qui leur ressemblent ou les ouvrir à d’autres modes de vie ? On devrait pouvoir tout réussir semble-t-il, mais tout de même, concrètement la balance des pratiques d’une école à l’autre oscille suivant les réponses qui sont apportées à ces questions.

Par ailleurs, il y a dans l’air du temps, un pessimisme, un catastrophisme, voire une déprime profonde qui plombe le climat dans lequel se développent ces réflexions : cette insécurité nous fait faire des tris. Ne nous leurrons pas : il y a relativement peu de rationalité dans notre choix d’école. Il est extraordinairement chargé d’affectivité.

Cette terrible charge émotionnelle est adressée « toute vive » à l’école … Ou plutôt à ceux qui la font : les enseignants, les personnels…. Qui sont eux-mêmes des anciens élèves, des parents soucieux et des citoyens. Sans oublier les jeunes dépositaires d’une attente terriblement chargée.

Maintenant que la pression de la marmite a un peu diminué, si nous prenions un peu le temps de décrisper ? Curieusement, dès que l’émotion est retombée, les débats sont enterrés ! Alors que c’est seulement maintenant qu’ils deviennent possibles.

Philippe Meirieu a écrit « l’enseignement est obligatoire, mais l’apprentissage, lui ne se décrète pas » De même, on peut décréter sur les modalités d’inscription, mais la réalité de l’intégration sociale résiste et l’acceptation profonde, effective, de ses contraintes n’est aucunement accessible au coup de force légal.

Entre les incantations démocratiques et l’acte concret d’inscrire son enfant dans une école précise, (soit un milieu de vie particulier et plus ou moins connu) de nombreuses questions très dérangeantes se posaient… Vite oubliées malheureusement : l’on espère toujours que la ministre fera machine arrière.

Même si c’est le cas, les questions seront toujours là qui n’auront pas trouvé de réponses. Sauf si les communautés scolaires – les enseignants, les directions, mais aussi les parents et leurs enfants – relèvent le défi et se mettent à travailler leur tissu social pour supporter les mé-tissages. Il est difficile de faire coexister paisiblement des élèves marqués différemment par leur éducation, leur culture, leur histoire personnelle, leur « tribu ». Il ne suffit pas de décréter ! C’est un travail quotidien qui demande intelligence, fermeté, compétence et …audace.

J’ai toute une série de revendications pour la ministre qui devraient rendre possible ce qu’elle décrète : du temps payé, pour que certains enseignants puissent se former véritablement au travail de médiation et au tissage des liens sociaux, un allègement de la charge pédagogique de ces « tisserands » sans diminution de traitement pour qu’ils puissent investir le lien sans s’épuiser, une mise en réseau de ces compétences, un cadre légal, un soutien intellectuel mais aussi personnel. Pas seulement dans les zones en discrimination positive : si l’on veut vraiment la mixité sociale, il faut donner aux écoles « bonnes » ou « moyennes » les moyens d’intégrer les plus fragiles sans se fragiliser elles-mêmes, sans renoncer à leurs performances ( sous peine de voir partir les « bons élèves »).

Mais j’en appelle aussi aux collègues, aux jeunes et à leurs parents : la démocratie réelle est un inconfort permanent. Ne rêvons pas, ne récriminons pas dans le vide : la plainte est parfois une posture ! La « cool attitude » qui semble de mise nous ferait oublier qu’aucune croissance véritable n’est aisée et indolore : elle exige un déchirement des cocons protecteurs, un détachement des liens tutélaires. Une audace aussi pour, de déséquilibre en déséquilibre, avancer. Un courage d’advenir. Mais quelle belle aventure !

Note: Vous pouvez aussi consulter l’étude de CGé sur ce sujet.