Autorité judiciaire

Le thème de l’autorité est bien sûr fort présent dans l’exercice du pouvoir judiciaire. Il s’agit tout de même d’un des trois piliers du pouvoir démocratique, tel que défini par Montesquieu.

Comme toujours lorsque je m’exprime oralement ou par écrit sur les sujets aussi multiples que variés qui me sont proposés, je le fais au départ de ma pratique de magistrat de la jeunesse de parquet. L’aspect pluridisciplinaire de mon métier m’amène à prendre position concernant des tas de questions et sujets de société. Le “service public” Justice s’exerce effectivement en lien avec l’ensemble des problématiques sociales et politiques, et ce faisant, il touche à l’ensemble des aspects de la vie.
Le Procureur du Roi a pour première mission d’appliquer la loi. Cela signifie sur le terrain de: la dire, la clarifier et l’expliquer, veiller à son respect en exigeant celui-ci et en agissant pour que les conditions de ce respect soient réunies. A ces fins, l’autorité judiciaire ou policière s’exerce tout naturellement et sa légitimité est assez rarement remise en cause. Notre organisation sociale et politique a mis en place un système institutionnel solide qui m’évite de devoir me justifier beaucoup dans l’exercice de mon autorité, voire de la contrainte.

Offrir des repères en cadeau

L’essence de mon rôle de Procureur du Roi à la Jeunesse est de (re)mettre du cadre, du respect, des limites qui représentent en fait la loi au sens large. C’est un merveilleux cadeau fait aux enfants plus ou moins jeunes et à leurs familles. La multiplication des repères, tous mis sur un certain pied d’égalité, a brouillé les cartes de l’éducation et les familles sont bien souvent déboussolées. Ma mission est avant tout éducative, que ce soit concernant les jeunes dont l’intégrité physique ou psychique est mise en péril ou des jeunes qui ont commis l’une au l’autre transgression à la loi au sens strict.
Je gère avant tout des cas individuels (un dossier unique par enfant) et mes partenaires naturels sont donc tous ceux qui participent à la prise en charge éducative de l’enfant. A commencer par les parents, la famille, les proches, les enseignants, les éducateurs et autres intervenants psycho-médico-sociaux, les responsables des mouvements de jeunesse et des activités de loisirs, sportives et autres. Il s’agit bien souvent pour nous de remettre chacun à sa place et dans son rôle en rappelant la responsabilité et prérogatives de chaque adulte et… de chaque enfant en proportion de son âge.
Redéfinir ces “règles du jeu” des responsabilités et … de l’exercice de l’autorité, est essentiel. Si cela s’avère nécessaire,l’autorité du Parquet ira jusqu’à la contrainte pour exercer ce “recadrage.

Fonder la vie en commun

Il s’agit aussi parfois de pallier aux carences rencontrées en soutenant voire en substituant les responsabilités naturelles parentales ou autres, qu’il faut restaurer aussi rapidement que possible, lorsque c’est possible.Pour remettre chacun sur le chemin de ses compétences et responsabilités, mieux vaut faire autorité que d’user d’autorité au sens premier. L’exercice de mon pouvoir relatif n’est efficace que s’il est ressenti par les destinataires, adultes et enfants, que comme un acte “bienveillant”, même s’il peut être très ferme ou sanctionnant dans le cadre de ma mission de pouvoir public. Chacun doit avoir la possibilité de prendre positivement sa place au sein du système social, c’est la base de toute justice sociale. Mais cela se mérite aussi et le prix à payer par chacun est le respect, pilier fondamental de la loi, qui permet la vie ensemble. Il est essentiel que celui qui fait l’objet d’une intervention judiciaire ou policière ressente un respect initial profond et le souhait qu’il (re)trouve sa totale place dans la société. C’est pour cela que des intervenants spécialisés pour les jeunes et les familles, au sein des polices notamment, est essentiel.Le respect mutuel est incontournable. Ceux qui s’en prennent à la personne (valeur essentielle !) ou aux biens des autres comprennent très vite qu’il y a un prix à payer : la réparation, la restauration et/ ou la sanction. La réponse judiciaire vécue comme une mise de limite nécessaire à la “vie commune” est d’autant mieux acceptée qu’elle fait partie d’un projet plus global d’intégration ou d’éducation, véhiculé par les intervenants policiers ou judiciaires.
Plus que faire valoir un pouvoir conféré par la société, il s’agit de faire autorité en amenant chacun à faire sien les fondements de la vie en commun. En 1968, il était interdit d’interdire ! Nous en sommes bien revenus et la crise d’autorité qui s’en est suivie nous a fait comprendre que dire NON avec clarté peut aussi est un merveilleux cadeau .
Ce que je constate chaque jour, c’est que nos enfants et nos jeunes ont besoin de ces limites et de ces repères précis comme de l’air qui’ls respirent, même s’il est tout aussi vital pour eux de les bousculer joyeusement pour les éprouver … et pour éprouver aussi la solidité… des adultes et de leur “autorité”.