Auxiliaires essentiels

Les cours de récréation sont des lieux importants dans la vie d’une école. Autant la vie scolaire (à l’intérieur de la classe) est codifiée, régentée, autant la vie dans la cour est un espace de libertés mais aussi de violences.

La cour est un espace où l’adulte ne peut pas tout voir, tout contrôler. C’est un territoire à investir où les enfants expérimentent les attitudes sociales dans une panoplie de relations de séductions, dominations, soumissions, rejets, attirances. Se crée ainsi un réseau, un tissu de rapports de forces qui définit la hiérarchie des privilèges et aboutit à un équilibre sécurisant. Il est significatif de constater la rupture de cet équilibre par l’apport d’une nouveauté, jeu, personne, aménagement,… Et la rapide reconstruction de rapports de permissions, dominations, privilèges qui permettent de «digérer» cette nouveauté!

La cour peut, on s’en doute, être aussi le lieu de l’expression naturelle de la cruauté légendaire de nos «petites têtes blondes». Le rôle de l’adulte surveillant est d’être présent, visible et accessible pour permettre à tout enfant d’appeler à l’aide quand les choses tournent mal.

Si deux enfants se battent, il est du devoir du surveillant de vérifier auprès d’eux si c’est un jeu et si les règles sont comprises de la même façon par les deux «partenaires». Toujours intervenir et vérifier.

La cour peut, si on n’y met pas l’énergie suffisante, se révéler un endroit de destructions et de conflits tels que toute l’école en paye les conséquences. L’énergie qu’il faut alors mettre au retour en classe pour soigner, réparer, reconstruire et apaiser est énorme.

Conseils

C’est pour cette raison que notre Conseil des profs hebdomadaire comporte un point «surveillances» à l’ordre du jour. Et Michèle, notre surveillante-éducatrice, est présente à ce Conseil. Elle y est présente parce que des enseignants, en tournante, la remplacent dans sa fonction de surveillante pendant le Conseil. Nous pensons d’une part que son rôle dans l’école est très important car elle assure la sécurité de la cour qui peut devenir un lieu de re-création, ce dont tout le monde tire bénéfice, mais aussi qu’il est nécessaire pour des adultes de se concerter et d’expliciter les attitudes à développer pour intervenir dans la cour.

Nous avons eu l’occasion d’aborder les questions suivantes:

  • quand l’adulte doit-il intervenir?
  • faut-il tout préciser (ce qui est permis et pas)?
  • quand commence l’urgence, quels sont les indices qui permettent de décider l’intervention d’urgence?
  • c’est quoi le bon sens?
  • comment réagir face aux grands qui s’isolent dans un coin de la cour pour se bécotter?
  • comment réagir face à un enfant qui «pète les plombs», faut-il en parler au titulaire?
  • que répondre à un enfant qui hurle «Tu n’es qu’une surveillante et tu n’as rien à me dire!»?
  • les enfants doivent-ils faire la loi, sanctionner?
  • que faire quand des enfants sortent de l’école en cachette?
  • et qu’ils vont acheter des bonbons à l’épicerie du quartier, mandatés par d’autres qui amènent l’argent dans l’école?
  • que dire à un papa qui accuse l’école de laisser son enfant trempé dans le froid, alors que la surveillante lui a déjà remis quatre fois son manteau en un quart d’heure?
  • que dire aux parents qui viennent chercher leur enfant à la garderie systématiquement en retard?

Charly

Charly, cinq ans, était un enfant qui «allait mal». De nombreuses plaintes d’enfants qui subissaient sa violence étaient relayées au Conseil d’école, autre lieu de parole où des demandes des enfants sont explicitées («Michel de la classe de Sylvie, demande à Alexandre de chez Sonia d’arrêter de l’appeler gros lard») et qui, grâce à la diffusion du rapport le lendemain du Conseil d’école, permet de donner du poids à ces interventions (surtout celles des plus petits, des dominés, des exploités, des rackettés) et transformer la loi du silence en loi de la parole

Après avoir discuté des plaintes contre Charly en concertation avec la titulaire, nous en parlons au Conseil de profs. Il est alors décidé de montrer symboliquement à Charly que la responsable de la cour c’est Michèle. Ainsi, en début de récré, Isabelle, la titulaire de Charly, l’amène dans la cour et dépose la main de Charly dans celle de Michèle. À la fin de la récré, le passage de main se fait dans l’autre sens. Après avoir lâché la main de Michèle, Charly peut se mettre à jouer comme d’habitude, mais ce rituel, installé par et avec les personnes concernées, a permis à toute la cour de constater que Charly était «pris en main» et ainsi retrouver la sérénité minimale et nécessaire aux jeux libres. Charly, apaisé, rassuré par le fait que les adultes allaient intervenir face à la fureur qui l’incendiait de l’intérieur, a pu reprendre part aux jeux, on n’entendit plus parler de lui… pendant une semaine!

C’est la discussion et les échanges (parfois vifs et contradictoires) qui permettent d’apporter des réponses variées à ces questions apparemment anodines mais qui nous permettent de préciser notre rôle d’adultes éducateurs. Ce lieu de parole qu’est le Conseil des profs permet aussi de donner une place réelle au travail de Michèle. Elle fait partie intégrante de notre équipe, elle est à nos côtés dans cette tâche éducative et les interrogations qu’elle apporte sont des interpellations sur notre faculté de permettre la vie réelle sans autoriser la loi du plus fort!