« On s’implique pour qu’ils s’impliquent. »[1]Citation de
Philippe Meirieu.
Cette petite phrase me renvoie à ce groupe
d’élèves de 6e et 7e professionnelles, avec
lequel j’ai travaillé dans le cadre d’un projet
« prendre la parole en stage ».
En équipe de formateurs, nous précisons
la question et le contexte dans lequel la
demande prend place. Nous proposons de
mettre en place différents lieux et temps de
prise de parole pour que les élèves puissent
expérimenter ces temps, les vivre, y prendre une/des
« place(s) », faire des liens avec ce qu’elles vivent en
stage et analyser ce qui rend difficile et ce qui facilite la
prise de parole.
Au départ, nous sentons de fortes résistances, des
méfiances, par rapport à ce que nous proposons. « Le
quoi d’neuf est-il une thérapie ? » « Réfléchir, ça nous
prend la tête. » « On est fatiguées, on n’a pas envie. »…
Par ailleurs, nous sommes surpris et touchés plus
d’une fois par les réalités que les élèves rencontrent
en stage, leurs indignations, leurs façons de parler des
patients. Impressionnés aussi par ce à quoi elles sont
confrontées (par exemple la mort d’un patient, les
injonctions à poser des actes qui leur sont en principe
interdits, la maltraitance de personnes âgées).
Elles nous interpellent à plusieurs reprises sur l’utilité
de notre intervention : « De toute façon, en stage,
nous n’avons pas la parole, on nous demande juste d’exécuter.
»
Nous nous accrochons et tenons bon, cherchant de
nouvelles approches, de nouvelles portes d’entrée… En
particulier, nous leur proposons de mettre en scène des
situations inspirées de leurs stages et partons de là pour
construire l’analyse des temps de parole.
Arrivés au congé de carnaval, deux tiers du chemin
en nombre de séances, nous sommes un peu à bout de
souffle, beaucoup de temps et d’énergie ont été nécessaires
pour « tenir » jusque-là. L’équipe s’interroge. Le
« conseil » en particulier ne prend pas sens. L’attention
des élèves est de courte durée. Qu’apprennent-elles ?
Rejouent-elles là leur impuissance à faire changer
quelque chose, à dire et à être entendues ?
Quel moteur, quel ancrage pour ces élèves
dans ce projet qui leur est imposé ? Que
manque-t-il pour qu’elles puissent prendre
quelque chose de l’expérience en cours, pour
qu’elles apprennent ?
Pour redémarrer en mars, nous décidons
de tenter quelque chose de neuf. Nous voulons
leur renvoyer nos étonnements, nos découvertes,
ce que leurs paroles et leurs récits
ont laissé comme traces chez nous. Notre perplexité
aussi, l’écart que nous voyons entre
nos propositions et ce qu’elles désirent.
Nous « jouons » devant elles une réunion de préparation
fictive dans laquelle nous intégrons ces éléments
de découverte et de perplexité. Nous en préparons le
contenu en allant relire les rapports des séances passées.
Ce moment provoque un déclic… Quelque chose
se passe. Le silence dans la classe est impressionnant
autant qu’inhabituel. Dans le temps d’analyse de la
séquence jouée, elles nous renvoient leur impression
d’avoir été entendues. « Vous avez bien ciblé. », dit l’une
d’elle.
Dans un second temps de « jeu », nous énonçons différentes
pistes et propositions pour la suite. Nous provoquons
aussi des réactions, en disant que des affiches
produites nous ne savons que faire : « Les mettre à la
poubelle, ce serait dommage… Les afficher
dans l’entrée, où toute l’école pourrait les
voir ? » Ensuite, nous invitons les élèves
qui le souhaitent à venir sur « la scène »,
progressivement, pour compléter nos
propositions, en débattre, tandis que
nous-mêmes nous retirons de la scène un
à un. Nous arrêtons le jeu. Suit un court
moment d’échange sur les propositions. Et nous renvoyons
les élèves vers l’affiche du conseil pour donner
suite aux propositions émises.
Au conseil, deux propositions sont soumises par des
élèves au groupe : faire un film à partir d’une situation
fictive de stage en maison de repos et réaliser une exposition,
dans les classes, avec les affiches produites. Pour
les deux projets, le « public » ciblé est les élèves de 4e
et 5e de la même section, avec le désir de transmettre
quelque chose de leur propre expérience à celles qui
suivront… Pour argumenter ce choix, une élève dit :
« Moi en 4e, je ne savais pas ce que c’était ce métier, il faut
les former »…
Le conseil a désormais un objet. Il y a des choses à
décider, à organiser. Il reste trois séances, dont celle
qui se fera avec les élèves de 4e et 5e et des enseignantes
pour présenter le film et l’expo…
Notes de bas de page
↑1 | Citation de Philippe Meirieu. |
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