Le cycle de réformes mises en place depuis une dizaine d’années dans le but de construire un Espace Européen d’Enseignement Supérieur (EEES) harmonisé arrive bientôt à son terme. Dans quel sens va ce processus ? Quelles en sont les conséquences tant pour les systèmes d’enseignement que pour leurs acteurs ?
Une des principales réformes est la réorganisation des cycles d’études (Bachelor : 3 ans et Master : 2 ans) qui se calque sur le système anglo-saxon avec une volonté affichée de parvenir, à terme, à le concurrencer. L’offre éducative au niveau européen se doit donc d’être compétitive dans un marché de l’enseignement mondialisé. De plus, dans le contexte actuel de la « société de la connaissance » où la « production » et la « diffusion » des savoirs représentent des enjeux monumentaux, les universités joueront un rôle crucial en terme de dynamisation de nos économies en perte de vitesse.
Cette tendance peut être considérée comme une forme de suivisme aveugle d’un système économique qui montre à certains égards ses limites et où les activités de recherche et d’enseignement, par la force des choses, deviennent plus utilitaristes et moins critiques sur la marche de nos sociétés.
Dans ce contexte, la question du financement de l’enseignement supérieur devient incontournable. Qui a et aura intérêt à financer des activités de recherche et d’enseignement et avec quelles intentions ? Risque-t-on d’assister à une lutte acharnée entre les enseignes universitaires dans le but d’attirer en leur sein les meilleurs éléments (étudiants, enseignants-chercheurs et investisseurs) ?
L’actualité tend à confirmer cette crainte. En effet, les palmarès des meilleures écoles fleurissent, aussi nombreux qu’il existe de critères pour classer les établissements, ce qui conditionnera peut-être la hauteur du financement des états aux établissements. L’Allemagne a lancé récemment un programme d’excellence qui classe les facultés et les finance sur cette base [1]C. Charle, « Vers une cotation des facultés ? », Le Monde , les mieux placés bénéficiant de fonds supplémentaires. On constate donc une hiérarchisation des établissements : dans le haut de la pyramide, on retrouvera les « meilleures écoles » qui sont également les plus chères et celles qui rapportent le plus.
On assiste également à une transformation de la culture universitaire, ne serait-ce qu’au niveau du langage utilisé pour décrire les changements en cours, qui est de plus en plus empreint d’une connotation économique et managériale. Ce qui devrait en faire réagir plus d’un !
Il sera difficile ici d’être exhaustif. Nous limiterons donc le propos aux changements principaux et à certaines de leurs conséquences.
L’uniformisation de l’organisation des études en cycles (Bachelier + Master) a eu pour effet de rallonger à cinq années certaines études qui avant s’effectuaient en quatre. Cette uniformisation donnerait plus d’opportunités aux étudiants, qui peuvent maintenant suivre une année d’étude à l’étranger équivalant à une année dans leur établissement d’origine.
Dans la même logique, on note également une volonté accrue de favoriser la mobilité des étudiants grâce aux crédits transférables (European Credits Transfer System) qui permettent d’évaluer la charge de travail liée aux cours et de la capitaliser sur une année académique. Ces crédits induisent donc le fait qu’une année d’étude doit représenter la même charge de travail où qu’elle soit poursuivie, mais il n’est pas rare que certains enseignants dévaluent une note attribuée à un examen, voire même exigent de l’étudiant qu’il repasse l’examen dans l’établissement d’origine. Ces crédits ne garantissent donc pas, pour le moment, l’équivalence des enseignements.
Il est indéniable que le fait de poursuivre une année d’étude à l’étranger est un plus pour le jeune dans une perspective d’insertion professionnelle. Cependant, cet atout risque d’accroitre la concurrence entre étudiants et entre jeunes diplômés.
Une mobilité favorisée apparait comme un bon moyen de faire se rencontrer projets de vie et opportunités de formation. Cependant, un étudiant qui aspire à faire des études poussées et réputées devra accepter d’être flexible, et assumer un cout d’inscription à la hauteur de la réputation de l’établissement.
Concernant le premier cycle de trois ans, il faut préciser que tous les baccalauréats n’ont pas les mêmes finalités : certains sont professionnalisant, d’autres conduisent uniquement à la poursuite d’un Master. Une année d’enseignement dans le supérieur a un cout global (évalué habituellement à 8 000 euros par an) souvent lourd à porter pour les moins nantis et la perspective d’avoir un diplôme professionnalisant après trois ans conviendra sans doute mieux à un jeune qui ne peut pas compter sur des finances suffisantes.
Une étude récente 2 de l’ESIB (European Student Information Bureau) montre que les filles s’inscrivent significativement moins que les garçons dans un Master, comparativement au cycle Bachelor. Il faut aussi noter qu’avec la démocratisation de l’enseignement supérieur et ses effets de massification, plus de jeunes cumulent études et travail rémunérateur : un long parcours semble donc plus difficilement envisageable.
Une autre étude 3 au sujet du vécu des étudiants de trois régions d’Europe (Bade-Wurtemberg, Catalogne, Rhône-Alpes) met en évidence qu’une proportion non négligeable d’étudiants consacrent entre 12 heures et 24 heures par semaine à un travail complémentaire (respectivement 11 %, 37 % et 12 %). La diversité des sources de financement des études y est également reprise. Ainsi, on constate que, pour 60 % d’entre eux, ce sont les parents qui financent totalement les études, que 10 % des étudiants assument intégralement leur parcours en travaillant et qu’un tiers a recours à plusieurs modes de financement.
Mais dans l’optique où la mobilité des cerveaux gagerait d’une issue favorable à la formation (l’employabilité), la situation économique des étudiants pourrait représenter un obstacle supplémentaire à leur mobilité, comme l’indique une étude [2]Bologna With Students Eyes, 2007. commandée par le conseil des ministres de l’Enseignement. Les étudiants ont d’ailleurs bien intégré l’idée qu’étudier à l’étranger apporte une plus-value considérable à leur diplôme. Ils sont ainsi 54 %, en moyenne, à considérer que c’est d’une grande utilité, mais ils sont seulement 8,6 % à l’avoir fait et 12,6 % à l’envisager [3]C. Hadji, T. BargelL, J. Masjuan, Étudier dans une université qui change. Le regard des étudiants de trois régions d’Europe, PUG, 2005.
Les inégalités du système scolaire sont plus criantes dans l’enseignement supérieur universitaire qu’ailleurs. Comment, dans ce cas, satisfaire aux exigences démocratiques et au principe d’égalité des chances ? Les différentes déclarations des ministres de l’Enseignement, au sujet de la dimension sociale, ne sont que chapelet de bonnes intentions tandis que les mesures prises vont à l’encontre des principes mêmes que nos sociétés sont censées défendre. L’accès aux études pour tous restera sans doute une intention vers laquelle il est de bon ton de vouloir tendre. Notre pays a signé le Pacte de New York qui visait, en 1983, à réduire le cout des études (cf. l’article 13 du Pacte international de l’ONU relatif aux droits économiques, sociaux et culturels), mais les réformes mises en place ne vont pas dans cette direction.
Par ailleurs, il n’y a pas, à proprement parler, de débat public sur le sujet, même si certains militent pour le respect de ces engagements au sein de la plateforme ResPACT depuis 2007. La Fédération des Étudiants Francophones avance également comme revendication la nécessité d’un refinancement de l’enseignement supérieur, mais pas au détriment des autres compétences de la Communauté française. Tandis que notre gouvernement se débat entre problèmes sociaux et institutionnels, il est fort probable que cette question ne déchaine pas les passions.
La prochaine rencontre des ministres de l’Enseignement se déroulera en 2009 à Louvain-La-Neuve. Il est plus que temps de se mobiliser pour revendiquer un système d’enseignement plus équitable et plus abordable, et ce, à tous les niveaux.
Salima Brahimi, membre de CGé