Bourdieu et la remédiation

« Au niveau du système, la remédiation ne lutte en rien contre les inégalités scolaires ». Une étude très fouillée de ChanGements pour l’égalité (CGé) est catégorique et tempère le discours officiel. Se basant sur le riche matériau réuni par la Fondation Roi Baudouin, CGé s’engage dans une analyse nettement plus politique. C’est ce qu’on est endroit d’attendre d’un mouvement socio-pédagogique qui s’inscrit dans la dynamique de l’éducation permanente.

Alors, bannir la remédiation ? Pas question. Il faut, au contraire, reconnaître l’investissement considérable de beaucoup d’enseignants, une qualité de relation prof/élèves parfois transformée, une confiance en soi parfois retrouvée… « Au niveau des élèves, des groupes-classes et des écoles, la remédiation, si elle est bien pensée, concertée, proposée dans un esprit d’une autre médiation entre le savoir et l’élève, peut certainement être un levier pour raccrocher aux démarches d’apprentissage ». Hélas, c’est loin d’être la règle générale : que de fois on persiste à « faire plus de la même chose ».

Vu la polarisation du politique et des réseaux, on finira par faire croire que c’est la panacée ! On risque dès lors de confondre lutte contre les échecs et refus des inégalités. Aussi, c’est le système que Changements pour l’égalité propose de revoir : en mettant enfin en œuvre les principes du décret « Missions de l’école ». A savoir instaurer un « continuum » pédagogique jusqu’à la fin de la 2e année du secondaire. Principe voté en 1997 et resté lettre morte ! Ca commence donc par l’entrée à l’école maternelle. A ce niveau, CGé fait des propositions très pertinentes pour un accrochage réussi des enfants et des familles des milieux populaires, les plus éloignées de la culture des écoles.

Quand arrive la rupture – et pas la continuité – du passage au 1er degré du secondaire, CGé préconise comme solution la création d’ensembles autonomes, séparés des écoles secondaires. Avec une organisation du travail, des contenus et des équipes « ad hoc ». Ce ne sera pas une mince affaire puisqu’ils vont, à juste titre, jusqu’à proposer de modifier le CEB (certificat de fin de primaire)… et de déplacer le décret « Inscriptions » (« il faudrait réguler dès l’entrée au fondamental » !).

Enfin, le mouvement socio-pédagogique insiste sur l’impérieuse nécessité de créer des outils pédagogiques nouveaux, rigoureux et « soucieux d’expliciter tous les objectifs et de prendre en considération toutes les formes d’apprentissage ».

Encore une citation de l’étude qui résume bien le propos : « Même si, avec un discours bienveillant, la remédiation permet de garder une forme de cohésion sociale autour du projet de l’Ecole en maintenant l’espoir chez les jeunes et leurs familles, nous dénonçons sa fonction d’individualisation. Elle contribue à une responsabilisation/culpabilisation de l’élève dans son rapport à l’apprentissage. En effet, les objectifs implicites de la remédiation (et de l’Ecole obligatoire) contribuent à occulter les mécanismes de reproduction des inégalités et ainsi empêchent les jeunes issus des classes sociales dominées d’identifier les mécanismes sociaux qui jouent contre eux. Comme le discours entourant la remédiation est un discours particulièrement bienveillant qui veut donner sa chance à chacun, permettre à tous de réussir, le mécanisme est d’autant plus vicieux. Et il est d’autant plus performant dans sa reproduction des inégalités que les enseignants qui le pratiquent sont convaincus de faire pour le mieux et de réellement aider les jeunes qu’ils prennent en charge. Ce qu’ils font certainement pour toute une série d’entre eux, mais sans questionner le système qui produit cet échec ».

Impossible de ne pas penser à Pierre Bourdieu qui nous quittait il y a tout juste 10 ans. Lui qui, comme l’indiquait si finement Annie Ernaux, « mettait au jour les mécanismes cachés de la reproduction sociale, en objectivant les croyances et processus de domination sociale intériorisés par les individus à leur insu. Sa sociologie critique défatilise l’existence ».