Ça fuit !

On n’enfonce pas des clous avec son front, même avec une bonne formation.

Ce n’est pas de l’actualité, et pourtant c’est urgent. Le métier fuit, dans les deux sens du terme. Et seuls dans notre classe, à l’abri des regards des autres profs, recroquevillés sur notre chère petite matière, avec nos petits trucs pour nous en sortir et la fin de la semaine comme point de mire, nous ne nous en tirerons pas ! Nous resterons les marionnettes des illusionnistes de l’école démocratique, écartelés entre la poudre aux yeux des discours politiques qui détournent l’attention, les créations artistiques des pédagogues qui nous inventent des tours de plus en plus fumeux, les huées des parents qui se lassent des lapins blancs et le grondement inquiétant des élèves qui envahissent la scène.

Une coulée continue

Et ça urge ! Entre le refinancement bidon de la Saint Machin et les méthodes miracles des Docteur Pédago, sous les contrôles des mécaniques administratives et les encouragements bienveillants des sponsors de l’établissement, nos gesticulations ne parviennent même plus à nous convaincre nous même.

Parce que nous savons, parce que nous voyons tous les jours, dans chaque geste de notre métier, que le produit dont on fait la pub, « l’école démocratique », sort toute déchirée du processus de production.

Parce que nous désespérons de voir les dégâts de nos constats d’échec, les élèves qui décrochent, se persuadent qu’ils sont incapables et suivent inexorablement la coulée continue de la sélection sociale.

Parce qu’à chaque fois, chaque jour, cette frustration qui enfle en nous construit aussi la conviction d’un métier sans contenu, d’un métier qui n’en est pas un, d’une incompétence professionnelle… Qui parmi nous n’a pas vu, dans son école, au moins une fois, un jeune prof gonflé d’enthousiasme, formé jusqu’aux dents, armé de ses outils pédagogiques et de son idéal démocratique, fuir au bout de deux ans, la tête basse, parce qu’il avait fini par se persuader que ce métier n’était pas pour lui. Et ceux qui restent gémissent, se rongent ou s’en foutent, se lamentent ou se sacrifient. Et le métier fuit !

Choisir les bons outils

Halte aux lamentations, travaillons ensemble ! Professeurs de toutes les écoles, unissons-nous ! Si nous voulons recomposer les tâches de notre métier, reconstruire la cohérence technique de notre pratique professionnelle – un idéal professionnel, des outils et des moyens adaptés, à la hauteur de cet idéal, et des conditions de travail valorisantes – nous devons commencer par nous rappeler que nous sommes des professionnels et que, en tant que tels, nous portons d’abord la responsabilité de notre profession (son contenu et son avenir).

Dire ensemble (revendiquer) qu’à chaque injonction faite à l’École ou dans l’établissement scolaire correspondent les investissements techniques et humains indispensables, et qu’en la matière, il ne suffit pas d’invoquer les lacunes budgétaires de l’État !

Mais aussi, construire ensemble (solidariser) les stratégies qui nous rendent capables de faire face aux problèmes.

Créer des équipes pédagogiques, c’est se donner les moyens de résister aux injonctions contradictoires, reprendre possession de notre qualification commune, à la fois pour exercer notre métier d’enseignant et pour le reconstruire. Travailler en équipe, c’est, au-delà des matières qui nous séparent, élaborer ensemble l’expertise sur les savoirs, les méthodes pour apprendre, les objectifs communs, nous ré-approprier l’expertise sur les nouveautés pédagogiques, découvrir des contenus communs, apprendre à partager les tâches et le fruit de notre travail, bref, redevenir capable de revendiquer légitimement l’adéquation entre les objectifs avancés et les moyens mis en œuvre.

Tant que nous accepterons de travailler en solo avec les outils qu’on nous donne, nous ne pourrons que désespérer de notre métier.