Cadrer son travail, le dynamiser

Formation continuée: dynamite ou opium du peuple?

J’ai toujours adoré apprendre. Et pouvoir utiliser ce que je connaissais, ou ce que j’avais essayé d’apprendre.

Le courant qui passe

Quand j’ai recommencé à enseigner, après quelques années d’arrêt, j’avais très peur de me retrouver face à des groupes d’élèves. Ce qui m’importait le plus, c’était que le courant passe, qu’ils me respectent, que j’arrive à dialoguer avec eux pacifiquement. Je ne me sentais pas capable de les dominer de manière autoritaire. L’aspect contenu m’effrayait beaucoup moins. J’ai été très démagogue: en travaillant dans des intérims, j’essayais surtout de les occuper pacifiquement, de combler les trous sans faire de vagues.

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Et je me suis inscrite à une formation sur la relation pédagogique. Révélation: je suis une professionnelle de la relation. Mise en confiance: l’écoute active que je pratique est reconnue. J’apprends à prendre du recul par rapport à mes pratiques, à mettre des mots sur ce que je fais intuitivement, à oser en parler avec d’autres. Je prends confiance en moi. J’ai du plaisir à me retrouver en classe. Mais je suis épuisée de cette formation qui m’enlève de l’école pendant que les élèves y réalisent (mal) les travaux que j’ai préparés à leur intention et que je rame à corriger à la maison, et qui les embêtent royalement quand on y retravaille en classe.

Par la suite, je participe à une formation par an, toujours dans les mêmes conditions: pendant des jours de classe et je prévois de l’occupation pour les élèves pendant mes absences. Mais je n’y vis plus rien de transcendant. Ce sont des petites ouvertures. Et je n’y rencontre que des enseignants du réseau libre, de l’enseignement secondaire. Comble: parfois, au détour d’une lecture, je retrouve les contenus enseignés en formation. Je piétine. Et je me fatigue de ces formations pendant l’année scolaire.

Une dynamique militante

Arrivent les grèves de 90. Je piétine encore devant le manque de contenu des revendications, alors que les difficultés pédagogiques sont criantes au quotidien. Je lis en salle des profs la présentation des Rencontres Pédagogiques d’Été[1]RPE: une semaine de formation au mois d’aout, avec choix entre une vingtaine d’ateliers, organisée chaque année depuis trente et un ans par la CGE.. Je donne depuis trois ans un cours d’expression orale que je ne “sens” pas du tout. Je m’inscris à un atelier théâtre de trois jours. Et je rencontre des enseignants et des non-enseignants curieux, en recherche, tous réseaux et niveaux confondus. Je perçois une dynamique militante. La formation continuée serait-elle une forme de militantisme? Par rapport à l’état de déprime dans lequel je travaille au quotidien, l’ambiance que je vis aux RPE m’enthousiasme.

J’y retourne. J’ai entendu parler de la Pédagogie Institutionnelle. Et c’est un deuxième grand moment de découverte de mon métier. Je suis non seulement une professionnelle de la relation, mais en plus, je peux sortir de la relation duale dans laquelle je me piège souvent. J’apprends à mettre des limites, à donner un cadre à mon travail, à apprendre la parole structurée… J’essaie de mettre en pratique en classe, c’est plein de promesses mais je trouve que je bafouille. Alors je persiste et je continue le deuxième et le troisième niveaux de la formation. Ces périodes de mes vacances deviennent des moments intenses de liberté, de création, de rencontres. Je me sens de mieux en mieux dans mon métier. De plus en plus critique et exigeante aussi. Je pourrais continuer, parler de la formation “clown” qui est venue m’aider à être davantage moi-même devant mes groupes d’élèves, à dénouer des moments de tension par le rire. Et de la formation en épistémologie qui m’a fait réfléchir sur le sens des contenus que je choisis d’enseigner, sur l’histoire des compétences et de l’interdisciplinarité. Je me dis que j’ai vraiment de la chance de pouvoir faire un métier qui me laisse autant de temps pour faire ce que j’aime, pour continuer à apprendre.

Quel projet de société?

En même temps, je suis triste car je ne vois pas de volonté de la part des directions et de nos dirigeants à généraliser cette dynamique que je vis grâce à la formation continuée. Pour moi, un enseignant doit être un intellectuel qui choisit la direction qu’il donne à son travail en fonction d’objectifs sociétaux. Je ne vois ni n’entends le projet de mes supérieurs. Je vis au quotidien dans une institution sclérosée. La majorité des formations proposées par les réseaux sont des formations utilitaristes, des trucs et des ficelles. (J’ai encore suivi trois formations aux nouvelles technologies). Comment peut-on imaginer résoudre les problèmes d’une organisation sclérosée par des trucs et des ficelles? Y a-t-il une volonté de changer réellement le cours des choses ou la formation continuée qu’on nous dit être indispensable à la qualité de notre travail est-elle juste un petit moyen de faire rentrer dans les rangs les profs contestataires sans rien changer fondamentalement? Pourquoi n’y a-t-il pas de gestion des formations suivies par les profs d’un établissement? Pourquoi leurs nouvelles compétences ne sont-elles pas valorisées dans leur établissement?

Je me suis également engagée comme militante au sein de l’équipe politique de la CGE. C’est une autre forme de formation permanente. Et le plaisir intellectuel que je retire de mon militantisme me permet de combler les frustrations des conditions de mon travail. Ne peut-on rêver d’une école où la concertation et la réflexion sur le métier feraient partie de l’emploi du temps? Pourquoi est-il toujours tabou de parler des mauvais fonctionnements d’une institution? L’élite intellectuelle d’un pays est-elle obligée pour se protéger de se figer dans l’immobilisme?

La formation continuée serait-elle ma stratégie de survie?

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 RPE: une semaine de formation au mois d’aout, avec choix entre une vingtaine d’ateliers, organisée chaque année depuis trente et un ans par la CGE.