CANDIS2000 : histoire d’une réforme pédagogique

Lundi 18 septembre 2000 : 300 nouveaux étudiants inscrits en première candidature ingénieur civil à l’UCL se pressent dans l’auditoire pour écouter le mot d’accueil du doyen. Et c’est la surprise !

Vous étiez venus pour suivre des cours, faire des labos, participer (?) à des séances d’exercices ? Eh bien non ! Ce n’est pas cela que nous vous proposons cette année : vous allez vous mettre au travail, dès la fin de cette séance d’accueil, en petits groupes encadrés par des tuteurs, et vous travaillerez sur des problèmes, des projets, tout au long de l’année. Le premier groupe sera votre « famille » tout au long des dix prochaines semaines, mais vous changerez de groupe ensuite, ainsi qu’à chaque nouveau trimestre. Mais attention, si l’essentiel de vos activités encadrées se passera en groupes, c’est bien individuellement que vous devrez faire la preuve de vos apprentissages, le jour de l’examen !
Candis2000 démarrait ainsi : une profonde réforme pédagogique, préparée depuis deux ans, voyait enfin le jour. L’APP (apprentissage par problèmes et projets) devenait le quotidien des étudiants ingénieurs de l’UCL, et si le modèle a bien dû s’adapter aux différentes réformes de l’enseignement supérieur, ses principes sont bien toujours d’application, seize ans plus tard.

Pourquoi ce changement…

C’est lors d’une évaluation périodique de son programme d’enseignement de premier cycle que la faculté des sciences appliquées de l’UCL s’interrogea sur l’efficacité de celui-ci. Le constat ne fut pas très positif : faible motivation des étudiants face aux cours de base (le purgatoire avant les vrais cours d’ingénieur…) ; absentéisme et taux d’échec élevés malgré les efforts de suivi des étudiants en difficulté ; faible taux de rétention des apprentissages dans les cours de base, lié sans doute à une absence d’apprentissage en profondeur ; programme toujours plus chargé alors que les bases sont si mal acquises…
Le monde de l’entreprise, consulté lui aussi, mettait en évidence des besoins non rencontrés, comme la capacité à travailler en équipe, à gérer un projet dans la durée, à communiquer efficacement vers des publics différents…
À l’évidence, une réforme profonde du programme et des dispositifs d’enseignement s’imposait. Il fallait recréer les conditions de motivations des étudiants et des enseignants, veiller à ce que les bases essentielles soient acquises et maitrisées durablement, aborder rapidement le travail en équipe et la gestion de projet et, pour répondre à l’explosion des connaissances, transformer l’étudiant en un apprenant actif, prêt à acquérir lui-même les nouvelles connaissances et compétences nécessaires à son développement professionnel.
Fortifié par cette évidence partagée, un petit groupe d’enseignants se mit à chercher des exemples d’autres dispositifs pédagogiques que le traditionnel « cours ex cathedra — séances d’exercices — labos d’application » qui faisait (et fait encore) le quotidien de bien des formations universitaires. Leur intérêt se focalisa rapidement sur l’apprentissage par problèmes (Problem based learning, puisque le modèle était surtout anglo-saxon) et son modèle théorique : le socioconstructivisme contextualisé.
Après plusieurs visites d’institutions étrangères et quelques semaines de formation, l’équipe d’enseignants mit au point le nouveau dispositif pédagogique, qui devait évidemment tenir compte des moyens disponibles ainsi que des contraintes de l’institution et c’est ainsi qu’est né CANDIS2000.

Des principes…

Les principes de CANDIS2000 méritent d’être soulignés. La transmission pure et simple de la connaissance est abandonnée au profit d’un apprentissage actif : l’étudiant est mis dans des situations où il doit construire ou s’approprier des savoirs nouveaux à partir de ses connaissances pour pouvoir résoudre des problèmes ou défis qui lui sont posés. Cet apprentissage se réalise en partie en petits groupes, car l’interaction avec les pairs et les tuteurs permet d’assurer une compréhension en profondeur et développe également les capacités de communication et de travail en équipe. Bien sûr, il ne faut pas négliger une composante significative de travail individuel qui s’ajoute à ce travail en groupe.
Les problèmes et projets sont des situations contextualisées qui présentent un vrai défi à résoudre, apportant une motivation qui faisait souvent défaut par le passé.
Dans ce modèle, les problèmes renvoient à des situations faisant appel aux connaissances d’une seule discipline, visant des objectifs d’apprentissage très ciblés, et sont de courte durée : une dizaine d’heures de travail étudiant. Par exemple, expliquer les planches de l’aventure de Tintin, dans « On a marché sur la lune », lorsque le capitaine Haddock, sorti de la fusée, est attiré par la comète qui passe à proximité… Il s’agit d’un problème de physique autour de la notion de loi de gravitation.
Les projets, qui se succèdent à raison d’un par trimestre ou semestre, sont quant à eux interdisciplinaires, par nature beaucoup plus ouverts et sont aussi l’occasion d’apprendre à gérer un travail à long terme, en répartissant parfois les tâches tout en assurant l’apprentissage de tous les membres de l’équipe. Par exemple, concevoir un robot autonome capable de se mouvoir verticalement entre les parois en verre de l’Aula Magna afin d’en assurer le nettoyage. Il s’agit d’un projet faisant intervenir des aspects de physique (mécanique), mathématique (trajectoires), informatique (programmation du robot autonome, ainsi que des démarches de cahier des charges, planification des tâches, présentations…

… à la mise en œuvre

La mise en œuvre de ces principes génère ses propres exigences. Le travail en petits groupes étant au cœur de ce dispositif, il faut se demander si nos étudiants en sont « naturellement » capables. Une évidence s’est imposée à l’équipe d’enseignants : nous devions « entrainer » nos étudiants à cette activité. C’est ainsi que nous avons décidé de consacrer toute la première semaine d’activité à la résolution d’un premier problème, pour lequel un encadrement méthodologique renforcé permet aux étudiants d’apprendre le fonctionnement du travail en groupe, en alternance avec du travail individuel, afin d’assurer des apprentissages de qualité.
Ensuite, ce travail en petits groupes nécessitait également un lieu. Nous avons obtenu de la faculté de pouvoir réserver une quinzaine de locaux, chacun attribué à quatre groupes de six étudiants, locaux auxquels ils avaient accès 24 h sur 24, 7 jours sur 7, et dans lesquels avaient aussi bien lieu leur travail encadré que non-encadré.
Cet apprentissage actif nécessite aussi du temps ! Il était important que l’horaire des étudiants dégage suffisamment de temps pour ce travail autonome et il fut donc prévu de ne pas avoir plus de vingt heures encadrées par semaine, le reste étant consacré aux activités autonomes du groupe ainsi qu’à l’apprentissage individuel.
Ce dispositif signifiait-il la mort [ou la disparition complète] des cours magistraux ? Non ! Il nous a semblé qu’il était encore nécessaire d’aider les étudiants à structurer leurs apprentissages, à faire les bons liens entre différentes notions et c’est ainsi que sont nés les cours de restructuration. Outre leur utilité pour les étudiants, ils contribuent aussi au plaisir qu’ont certains enseignants à se confronter à un grand nombre de jeunes en quête de « savoir », et certes plus motivés qu’auparavant suite à leur première découverte de la matière.
Rien de ce qui précède n’aurait été possible sans le soutien indéfectible du doyen de l’époque et la bienveillance de la direction de l’université, heureuse de voir une faculté bouleverser un peu les traditions universitaires.

Un autre rôle pour les profs

Il n’y a pas que les étudiants qui ont vu leur univers se modifier en septembre 2000. Les enseignants aussi ont vu leur fonction changer. Plutôt que de se cantonner dans un rôle de transmission du savoir, ils se sont plongés dans l’écriture de problèmes, la conception de projets, devenant essentiellement des scénaristes, des metteurs en scène ou, plus précisément, des « concepteurs d’occasions d’apprendre ».
La fonction de tuteur pour l’encadrement des groupes d’étudiant a également fait l’objet d’une grande attention : après s’être formés eux-mêmes dans des établissements étrangers, les porteurs de la réforme ont mis au point une formation des tuteurs, axée sur un acronyme « CQFD » décrivant les quatre fonctions clé que ceux-ci doivent assumer : conduire, questionner, faciliter, diagnostiquer. On le voit, une énergie considérable a été consacrée à la mise en œuvre du nouveau dispositif.

Quid en 2020 ? : se remettre en projet !

Quinze ans après, le modèle tient-il toujours la route ? Essentiellement même si des modifications significatives ont dû être apportées au projet initial lors du passage à « Bologne » et à l’allongement du premier cycle à trois ans. La réforme ne visait initialement que le premier cycle commun. Toutefois, les bénéfices ont rapidement été perçus dans le cadre des années de deuxième cycle et les projets de groupe se sont multipliés dans les années ultérieures de formation.
Le succès des études d’ingénieur civil à l’UCL témoigne aussi de l’attractivité de cette pédagogie pour les étudiants et les retours que l’École Polytechnique de Louvain reçoit des employeurs sont extrêmement positifs. Faut-il pour autant se reposer sur ces lauriers ? Je ne le pense pas !
En effet, la génération des promoteurs de la réforme s’approche progressivement de la retraite ou l’a déjà atteinte et les jeunes professeurs qui ont intégré l’EPL ces dernières années, même s’ils ont, pour certains, vécu cet APP comme étudiants, ne considèrent pas cette réforme comme « la leur ». Or, il me semble qu’un autre élément a joué un rôle positif majeur dans cette belle histoire : fédérer une équipe d’enseignants, et entrainer une faculté, autour d’un projet pédagogique partagé par le plus grand nombre. Avoir pu parler de pédagogie, s’être entendu sur un modèle commun, a nourri l’engagement des enseignants pendant ces nombreuses années. Il est sans doute temps que les plus jeunes prennent le relai et se mettent en projet pour définir un nouveau projet pour le futur, qui prendra sans doute en compte les évolutions technologiques majeures que le monde a connues ces quinze dernières années : en route pour BAC2020 ! Chers jeunes collègues, saurez-vous relever le défi ?