Ce que nous dit le travail à domicile…

Lors d’une recherche[1]S. Descampe,
F. Robin,
S. Van Lint,
V. Carette &
B. Rey, Gestion
pédagogique et
didactique de
l’hétérogénéité au
premier degré du
secondaire, rapport
de recherche
CF 073/06,
oct. 2008.
, treize classes du premier
degré du secondaire ont été observées durant
un an. Des entretiens ont été menés avec les
enseignants de mathématiques et de français,
les élèves ont répondu à des questionnaires. Que
nous disent ces observations, les enseignants
et les élèves ? Que nous dit le travail à domicile
demandé aux élèves ? Que nous dit-il de ce qui se
passe en classe ?

On peut catégoriser de manière assez rudimentaire
le travail généralement demandé
à domicile par l’école, d’une part en
travail de préparation au prochain sujet
qui sera travaillé dans la classe et, d’autre
part, en travail d’entrainement ou d’appropriation de
nouveaux contenus d’apprentissage.

CE QUE NOUS DISENT « LES PRÉPAS » RITUALISÉES

Cinq enseignants observés organisent pratiquement
l’entièreté de leurs cours à partir des préparations des
élèves. Dans certaines classes, des préparations sont
demandées aux élèves presque quotidiennement. Un
échange entre un élève et le professeur en fin de cours
illustre cette pratique. Un élève demande « Il y a une
prépa, madame ? » L’enseignante répond « Comme d’habitude,
hein, les gars. »

Que nous dit cette pratique d’organisation de l’apprentissage
autour des préparations réalisées à domicile
? Que nous dit-elle de l’organisation du temps de la
classe ? Que nous dit-elle des élèves ? Que nous dit-elle
de la relation avec les parents de ces élèves ?

Chaque séquence de cours est consacrée, pour sa
plus grande part, à la correction collective des préparations.
Les heures de classe sont organisées autour d’un
rituel : vérification de la réalisation de la préparation,
sans vérification du contenu ; correction collective de la
préparation, indication d’une nouvelle préparation pour
le cours suivant dans le journal de classe. Les élèves les
plus forts ont en général « fait leur prépa ». Les élèves
en difficulté ne l’ont pas toujours réalisée ou bien ne
l’ont pas réalisée entièrement. Parfois même, il s’agit
de classes entières d’élèves plus forts ou d’élèves plus
faibles, lorsque, comme on le rencontre parfois (souvent),
les classes ont été homogénéisées dès le premier
degré du secondaire via le choix d’un cours à option,
ou par la répartition en fonction des résultats au CEB.
Lors de la correction, les élèves en difficulté – ceux qui
n’ont pas fait leur prépa ou ceux dont les réponses sont
erronées – copient les « bonnes » réponses dites le plus
souvent par un élève interrogé, parfois par l’enseignant.
On peut y voir un risque d’accroitre les inégalités entre
les élèves forts et faibles.

Parallèlement à cela, de nombreuses références à
l’évaluation ponctuent les séquences de cours, et dans
les faits, un grand nombre de contrôles ou d’interrogations
sont organisés. Lorsque les parents sont évoqués
dans la classe, cela arrive toujours dans des situations
difficiles. Ces contextes négatifs sont des préparations
non faites, des retenues, des échecs dans le bulletin.
Par exemple, « Je voudrais bien voir les parents dont les
enfants sont en situation d’échec au bulletin, ça, je vous
l’avais déjà dit. » ou, dans une autre classe, « Et toi ? 1/10,
c’est à faire signer ça ».

CE QUE NOUS DISENT « LES PROLONGATIONS » POSSIBLES

Huit enseignants observés demandent moins systématiquement
du travail à domicile, celui-ci est plus
varié. Il est demandé aux élèves soit de terminer une
tâche commencée en classe, soit de revoir le cours et de
préparer quelques exercices, soit encore de relire afin
de pouvoir poser des questions sur des éléments qui ne
seraient pas compris. Trois épisodes illustrent ces différentes
pratiques : deux de ceux-ci en fin de cours et un
épisode se passe en début de cours. En fin de cours, l’enseignant
s’adresse à la classe : « Au journal de classe, vous
notez “les translations”. Ceux qui n’ont pas eu le temps
de faire les feuilles supplémentaires, vous pouvez les faire
chez vous et je les corrigerai sans problème. » ; dans une
autre classe, un élève demande « On peut continuer chez
nous ? », l’enseignant répond « Tu peux continuer chez
toi et je corrigerai. ». Il n’est pas question ici d’une correction
collective durant le temps de la classe. En début
de cours, un enseignant donne la parole aux élèves afin
qu’ils puissent exprimer d’éventuelles questions ou incompréhensions
sur de la matière vue antérieurement :
« Est-ce que tout le monde a pris la peine de relire ? Il n’y
a pas de souci ? C’est pour cela que je vous pose la question,
c’est parce que si vous avez commencé à étudier, les
questions vont venir petit à petit. »

Que nous dit cette pratique d’un travail à domicile
complémentaire des apprentissages réalisés en classe ?
Que nous dit-elle de l’organisation du temps de la
classe ? Que nous dit-elle des élèves ? Que nous dit-elle
de la relation avec les parents de ces élèves ?

Les séquences de cours sont organisées indépendamment
du travail à domicile et sont consacrées aux
apprentissages. Une partie des exercices en lien avec
ces apprentissages est réalisée en classe. Les élèves
qui le souhaitent ont la possibilité de réaliser quelques
exercices supplémentaires qui seront corrigés individuellement
par l’enseignant, hors du temps de la classe.

On note un grand nombre de références aux contenus
de savoir, et aux apprentissages, et peu à l’évaluation de
ceux-ci. Dans ces classes, aucune référence aux parents
des élèves n’a été observée.

CE QUE NOUS DIT LE SOUHAIT DE PARTENARIAT AVEC LES PARENTS

Si peu d’enseignants font mention des parents lors
des observations, l’ensemble de ceux-ci, dans les entretiens,
disent souhaiter davantage de relations avec les
parents, notamment la présence de ceux-ci lors des
réunions organisées dans l’école. Pierre Périer analyse
cette demande récurrente des enseignants. Que le partenariat
parents-école soit devenu une évidence pour
les enseignants, en tant que nécessité pour la réussite
des élèves, fait dire à l’auteur que l’on aurait en quelque
sorte fabriqué « la figure de parents non-partenaires ».

Externaliser la cause des difficultés scolaires en invoquant
des facteurs sur lesquels l’école n’est pas en capacité
d’intervenir, pourrait être interprété comme une
« stratégie de survie » de la part des enseignants, leur
permettant d’imputer à d’autres la cause de leur impuissance
pédagogique. Toutefois, les élèves ne semblent
pas ressentir ce manque, du moins en ce qui concerne
l’aide qui peut leur être apportée. La toute grande majorité
des élèves disent avoir la possibilité de se faire aider
chez eux.

POUR CERTAINS ÉLÈVES, LE TRAVAIL À DOMICILE RELÈVE D’UN APPRENTISSAGE D’AUTODIDACTE

D’autre part, il est possible que ce qui se passe hors
la classe ait plus de lien qu’il n’y parait parfois avec ce
qui se passe dans la classe. Félix et Joshua[2]S. Joshua &
C. Félix C. (2002),
Le travail des
élèves à la maison
: une analyse
didactique en
termes de milieu
pour l’étude,
Revue Française
de Pédagogie,
n° 141, 2008.
ont étudié
le travail personnel à domicile des collégiens en France
dans deux disciplines, les mathématiques et l’histoire.
Ils ont notamment mis en évidence l’opacité autour du
sens des activités exigées en dehors de la classe, des apprentissages
à effectuer et des savoirs à mobiliser pour
certains élèves – les élèves en difficulté — lorsqu’ils sont
seuls, chez eux.

Leur analyse s’intéresse à la part de responsabilité
qui incombe à l’élève pour reconstruire (voire, parfois
pour construire) ce que les auteurs appellent un « milieu
auxiliaire » à la maison, à partir du « milieu coconstruit
» en classe entre l’enseignant, le savoir et les
élèves. Ils montrent notamment que les positionnements
des élèves « forts » et « faibles » dans la classe
sont importants pour comprendre ce qui se passe hors
la classe.

Les auteurs prennent pour acquis que l’appropriation
des savoirs en milieu scolaire n’est pas le fait
d’autodidactes, mais se réalise avec le soutien d’une
« aide à l’étude », dispensée par les enseignants en
classe. Celle-ci doit tenir compte de la différence entre
le temps didactique et le temps de l’apprentissage individuel.

Si le premier, autrement dit le temps de la
classe, est par nature discontinu, constitué de balises
posées en fonction du programme d’étude, le temps de
l’apprentissage individuel est, lui, par nature, continu.
« On peut songer à rapprocher l’un de l’autre en multipliant
les objets didactiques, mais sans jamais arriver à
superposer les deux. C’est l’élève qui
doit, sous sa propre responsabilité,
trouver les voies pour passer d’une
balise à une autre ». Pour que l’élève
puisse trouver son chemin, il faudrait
que l’aide à l’étude fournisse un
espace où l’élève puisse développer
son investissement personnel, où il
puisse combler les trous entre ces

« Pour les élèves
faibles, le travail
à domicile
se rapproche
d’un travail
d’autodidacte. »

balises. Ces trous sont plus ou moins
importants selon que les élèves sont
plus ou moins en difficulté en classe, selon donc leurs
positions de forts ou de faibles en classe. Pour certains
élèves, les plus faibles, le travail à domicile se rapproche
d’un travail d’autodidacte, donc impossible à mener.

Les marges de manoeuvre des uns et des autres
peuvent être différentes également en fonction des disciplines.
Les auteurs étudient le cas des mathématiques
et de l’histoire. En mathématiques, un élève faible n’a
pu réussir son contrôle, alors qu’il s’agissait d’un travail
d’appropriation proche de ce qui est fait dans la classe
« J’ai appris les formules, j’ai lu, j’ai réappris, j’ai réécrit
mes formules… j’ai repris les démarches… j’ai fait des systèmes
d’inéquations… j’ai repris… en général ce qu’on avait
fait… » En histoire, par contre, il pourrait s’agir davantage
de la difficulté créée par la demande de poursuite
d’un travail amorcé en classe : « C’est le paragraphe que
j’ai pas compris parce que le paragraphe en question, on
l’avait pas fait en cours… il fallait le faire nous-même. »

LES CONDITIONS DU TRAVAIL À DOMICILE
SE CONSTRUISENT DANS LA CLASSE

Il semble ainsi que chaque enseignant, dans sa
classe, en fonction de la discipline qu’il enseigne, en
relation avec les positions des élèves, forts ou faibles, ait
un impact important sur le travail qui pourra – ou non
– être fourni par les élèves hors la classe. L’espace adéquat
pour l’étude peut (doit) donc se construire dans
la classe, faute de quoi, les difficultés pour les élèves
faibles peuvent s’avérer assez vite insurmontables.

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 S. Descampe,
F. Robin,
S. Van Lint,
V. Carette &
B. Rey, Gestion
pédagogique et
didactique de
l’hétérogénéité au
premier degré du
secondaire, rapport
de recherche
CF 073/06,
oct. 2008.
2 S. Joshua &
C. Félix C. (2002),
Le travail des
élèves à la maison
: une analyse
didactique en
termes de milieu
pour l’étude,
Revue Française
de Pédagogie,
n° 141, 2008.