Ce qui se conceptualise bien s’énonce clairement…

Comment apprendre aux élèves à dégager les caractéristiques principales d’un objet, d’une personne et les amener à communiquer d’une manière pertinente ? Comment construire, de manière ludique, des représentations avec de jeunes adolescents qui sont en situation d’échec ?

– « C’est un truc où il y a de l’eau. La mer ! Un sous-marin ! Et ça coule ! Un truc, tu vois, c’est droit et puis ça descend. » L’élève mime une ligne horizontale qui devient soudain verticale. « Cascade ! »
Ça fuse dans tous les sens.
J’interdis l’utilisation du mot « truc » et je donne à chaque équipe l’occasion d’éliminer un mot jugé trop difficile.
– « Qu’est-ce qu’on vient à peine de voir là ? Math ! Non, non qu’après Madame elle a fermé la porte. Elle a fermé la porte ! Chat ! »
– « À Noël y a ça. Sapin. Guirlandes ? Non. Des boules de Noël ! Des étoiles ! Non. Une buche ! Une dinde ! Non, ils connaissent pas ! Je regarde le mot… Tu peux l’expliquer autrement, par exemple le roi en porte une… Un chapeau de Noël ! Passe, passe ! »
– « Quand on frappe. Ceinture ! Non ! Quand on tape ! » Il mime. « Tambour ! »

Un dernier tour ?

Je veux passer à une autre activité, mais les élèves réclament un dernier tour ! J’accepte mais je ne veux plus de mimes ni des mots comme « enroule, truc ou machin ».
La tension monte, les mots fusent. D’habitude, je reprends la parole pour reformuler. J’essaie de les obliger à utiliser une catégorie (animal, objet, personne…) Mais ils continuent à contextualiser : « Vous voyez, hier, quand on était au parc… » Le temps tourne, les pions avancent sur le plan. Les élèves sont pris par le jeu et donc, peu à l’écoute de mes remarques. Grâce à ce jeu, ils s’expriment soit, mais s’améliorent-ils ? Non…
Au-delà de la pauvreté lexicale, il y a, pour beaucoup d’élèves, une difficulté à prendre distance, à dégager les caractéristiques essentielles d’un concept, à généraliser et à communiquer d’une façon pertinente. Sans leurs gestes, c’est incompréhensible.

Une nouvelle piste ?

« Concept », un jeu belge, composé d’un plateau de jeu, d’une centaine d’icônes (catégories), de pions de couleurs différentes, de cartes avec des mots (ou des expressions) à faire deviner avec trois niveaux de difficulté…
Chaque groupe reçoit une mini planche reprenant les icônes et le mot qu’elle représente. Le groupe qui doit faire deviner le mot (ou l’expression) pose des jetons en face des icônes qui doivent permettre de trouver. Un pion plus grand que les autres est posé en premier et désigne la catégorie du mot recherché (personnage, objet, véhicule, animal…) Je prends la main avec des exemples faciles :
– « Tissu, nez. » « Mouchoir ! »
– « Objet, tissu, tête, jeune » « Casquette ! »
– « Aliment, liquide, blanc » « Eau ! » « Non, j’aurais choisi transparent. » « Lait ! »
Après trois autres exemples, je passe la main. Deux élèves du premier groupe piochent une carte sur laquelle trois mots figurent, ils choisissent et c’est parti :
– « Métal, froid, blanc. » « Bonhomme de neige ? » « Non, en métal ! » Les meneurs rajoutent cube, objet, électrique. « Robot ! » Après avoir vu la carte, je rectifie en mettant le pion principal sur objet. « Frigo ! »
– « Objet, vole. » « Oiseau ! » « Non, objet !!! » Ils complètent avec nuit, fer, en forme de cône, grand. Je récapitule, reformule, car certaines icônes peuvent avoir 2 significations et les élèves s’arrêtent à la première. « Fusée ! » « Et pourquoi la nuit ? » « Car les lancements se font souvent la nuit. »
– « Personne, masculin, blanc, rouge, imaginaire. » « Superman ! Spiderman ! » Je regarde la carte, je repositionne le pion principal sur personnage imaginaire et rajoute l’icône fête. « Père Noël ! »
Lorsque l’on veut faire deviner d’autres éléments, on peut rajouter des sous-catégories. Par exemple : métier, homme, rire. Et dans une autre couleur pour la sous-catégorie : nez, rouge. Clown.

Concept

Lorsque je demande à chaque élève de me dire quel jeu il a préféré, une toute grosse majorité désigne le premier. « C’est plus facile, c’est avec nos mots, on rigole plus, c’est moins dur, avec le sablier ça met plus le stress, ça fait plus réagir. » Pour le deuxième : « On doit trop se casser la tête, on doit utiliser les dessins pour décrire, on ne sait pas quoi mettre, on ne pouvait pas expliquer de la même façon. »
Je leur demande alors pourquoi moi, en tant que prof, je préfère le deuxième « car il est trop mental, il nous fait plus réfléchir, pour nous apprendre à plus dire truc. »
Je n’ai utilisé le jeu « Concept » que deux fois dans chacune de mes classes, mais ce que j’observe me plait vraiment. Se passer du langage pour expliquer, dégager les caractéristiques, pouvoir compléter, revenir en arrière, modifier en fonction des réactions de ceux qui cherchent. Devoir prendre de la hauteur, ne plus s’appuyer sur le contexte directement lié au vécu proche du groupe…
Toutes ces opérations mentales me semblent vraiment très intéressantes et je serais curieuse de voir si des transferts s’opèreraient, si je rejouais avec eux le premier jeu. Voilà en tout cas une piste innovante, ludique et coopérative que je ne manquerai pas d’explorer très régulièrement dès la rentrée prochaine.