Ce qu’ils pensent de nous

Depuis bientôt deux ans, une quarantaine d’associations bruxelloises et quelque cinq-cents parents qui les fréquentent se mobilisent pour comprendre ce qui se joue à l’école pour leurs enfants. Cet article est le leur. Une de leurs actions. Les difficultés, ils connaissent…

Ils, ce sont les enseignants. Pas tous évidemment. Il y en a avec qui nous nous sentons respectés, pas jugés, soutenus. Merci à eux.

Nous, c’est les parents de milieux populaires, que nous soyons belges ou d’origine étrangère. Nous sommes ces parents qui ne parlent pas toujours bien le français, qui n’avons pas toujours été à l’école ou, en tous cas, pas assez longtemps pour pouvoir bien connaitre l’école et guider nos enfants sur leur chemin scolaire.

« Ils pointent tout ce qu’on ne sait pas faire. &#nbsp;»

Pardon pour ceux qui ne se reconnaitront pas dans ce que nous allons dire : nous ne voulons pas vous blesser. Nous voulons juste nous faire entendre pour que ça change.

En gros, ils nous voient en négatif. Ils pointent tout ce qu’on ne sait pas faire ou, en tous cas, pas aussi bien qu’ils auraient voulu qu’on fasse.

Des mots qui blessent

Ces phrases ont été dites par des enseignants, nous n’inventons rien. Nous les reprenons et nous nous posons et vous posons des questions à partir de là :

« Les parents n’aident pas les enfants à faire leurs devoirs. »

« Les parents sont incapables d’aider leurs enfants. »

« Les parents ne font pas lire leur enfant régulièrement. »

Pour toute une série d’entre nous, c’est vrai. Mais est-ce que c’est normal que l’école nous demande de faire ça? Elle sait bien qu’on ne peut pas aider et que les enfants des familles où les parents ont été beaucoup à l’école vont avoir de l’aide. Donc, pourquoi l’école nous demande-t-elle des choses qui vont mettre nos enfants en difficultés? À force de répéter que nous n’y arrivons pas, cela provoque la honte tant chez nous que chez nos enfants.

Si tout ce qui doit être fait pour l’école était fait à l’école, ce serait tellement mieux pour nous et pour nos enfants. Si on pouvait tenir compte de notre réalité et réfléchir ensemble à d’autres solutions…

Des pensées qui blessent

«Les enfants n’apprennent rien à la maison. Ça n’ira jamais.»

C’est terrible de penser ça et de dire ça. Cela veut dire qu’il faut qu’on apprenne à la maison pour réussir à l’école et que certains enseignants ont déjà dans leur tête que ça n’ira pas, que nos enfants ne vont pas y arriver.

«Les parents ne signent pas les journaux de classe et ne lisent pas les papiers qu’on leur envoie. Les parents ne comprennent rien du fonctionnement de l’école et ce n’est pas faute de leur expliquer…»

C’est vrai que c’est notre responsabilité, mais quand on ne sait pas lire ou juste un peu, ce n’est pas facile de suivre et de comprendre ce qu’on nous veut, ce qu’on doit faire. Il faudrait y réfléchir avec l’école, en début d’année : voir si ça va aller pour tout le monde et sinon, qu’est-ce qu’on peut faire pour arriver à ce que nous, les parents, puissions suivre et répondre?

Être soutenus et non jugés, sentir que l’école s’ouvre à nous nous aidera à nous investir.

Des yakas qui blessent

«Les parents ne vont pas consulter de spécialiste qui pourrait diagnostiquer un trouble spécifique de l’apprentissage de leur enfant. Les parents ne prennent pas RV avec la logopède, alors que nous le leur avons demandé plusieurs fois. Les parents refusent d’envoyer leurs enfants dans le spécialisé.»

Les écoles ne se rendent pas compte que c’est compliqué de faire ces démarches… Pourquoi est-ce qu’il n’y a pas une personne qui peut nous aider à faire ces démarches? Est-ce que ça ne fait pas partie de la mission des PMS? Et puis, quand ça nous tombe dessus, souvent, il est déjà très tard et on ne comprend pas bien pourquoi il faut y aller. Qu’est-ce que l’école a essayé de faire et qui n’a pas marché? On ne nous explique pas, on nous dit qu’il faut le faire. C’est très violent. On voudrait comprendre et être associés avant d’en arriver là.

Et pour le spécialisé, c’est vrai qu’on fait tout pour l’éviter parce qu’on a vu les chiffres d’entrée et de sortie de l’enseignement spécialisé de type 3 et de type 8, les enfants qui y entrent ne retournent presque jamais dans l’enseignement normal. On ne voit donc la plupart du temps pas ce passage comme une solution aux difficultés de nos enfants, mais plutôt comme une mise de côté. Et nos enfants sont totalement entre eux dans ces écoles… Qu’est-ce que ça veut dire?

Si nous ne sommes pas toujours d’accord, c’est parce que la réalité nous montre que nos enfants ne s’en sortiront pas comme ça. Nous ressentons que l’école refuse de réfléchir sur comment elle aide nos enfants à apprendre.

Des raccourcis qui blessent

«Les parents ne viennent pas aux réunions de parents.»

«Les parents ne viennent pas nous trouver quand il y a un problème. Ils ne viennent que quand le directeur les appelle et ils n’écoutent pas nos conseils.»

Bien souvent les horaires ne tiennent pas compte de la réalité des familles nombreuses : entre 16 et 18 h, c’est le pire moment pour nous.

Mais c’est vrai que beaucoup d’entre nous ne vont pas avec plaisir à l’école parce qu’ils ne s’y sentent pas chez eux : pas les bienvenus. Et se faire régulièrement engueuler ne donne pas très envie d’y aller.

«Les parents laissent tout faire. Les enfants sont trop souvent face aux écrans.»

«Les enfants vivent des situations familiales difficiles.»

«Les enfants n’ont pas une bonne hygiène de vie par rapport à l’alimentation, au sommeil. Le niveau socioéconomique des parents est trop faible.»

C’est vrai que parfois, nous avons du mal. C’est parfois difficile d’être parents, de devoir éduquer, de mettre des limites, de dire non, mais pas trop. Il n’y a pas que nous qui avons ces difficultés, on pourrait s’en parler entre adultes-parents et se soutenir, non?

Des stigmatisations qui blessent

«Les enfants sont en retard avant même l’entrée à l’école : ils ne maitrisent pas la langue.»

«Les enfants n’arrivent pas avec le niveau suffisant à l’école maternelle, du coup, on accumule un retard dès le départ.»

«Les élèves ne parlent pas le français à la maison. La langue maternelle est différente de la langue d’apprentissage (de l’école).»

Nous avons du mal avec ça… comment est-ce que nos enfants peuvent être considérés comme en retard avant d’entrer à l’école? Cela veut dire que l’école considère qu’il y a des choses qu’ils doivent savoir avant d’entrer à l’école? La seule condition officielle, c’est d’être propre, non? Le reste, est-ce que l’école ne peut pas décider de leur apprendre? Nous pouvons réfléchir avec l’école à comment faire, que mettre en place, pour que cela mette nos enfants à égalité avec les autres. Et cette histoire de langue maternelle qu’on nous dit toujours, qu’est-ce qu’on peut y faire?

Cela ne pose pas problème quand la langue maternelle est l’anglais ou le japonais…

Des préjugés qui blessent

«Ils ne s’impliquent pas dans la scolarité de leurs enfants, pour eux, la scolarité, ce n’est pas important.»

Ça, c’est ce qui nous fait le plus mal et qui est le plus injuste. Parfois on ne s’implique pas parce qu’on n’en a pas le temps ou pas les compétences, mais on trouve tous que l’école, c’est vraiment important. Nous pensons que ce n’est qu’en travaillant à l’école que nos enfants vont pouvoir réussir leur vie. Au début, on fait confiance à l’école et aux professeurs : on pense qu’ils doivent savoir ce qui est bon pour nos enfants. Mais après, souvent, la confiance s’en va parce que ça ne se passe pas très bien et qu’on a l’impression qu’il y a du mépris pour nous. Comment faire pour que les professeurs nous comprennent?

Donc, en gros, l’école dit que si nos enfants n’apprennent pas bien, c’est de notre faute.

C’est dur et ce n’est pas juste. Beaucoup d’études ont prouvé que ce n’est pas «de notre faute».

Nos propositions

Nous avons réfléchi au sein de la coalition à ce qu’il faudrait pour que ça aille mieux pour nous et nos enfants avec l’école et voici nos propositions et nos demandes :

Qu’il y ait un lieu et des moments, dans les écoles, pour se rencontrer, se parler, se re-connaitre, pour comprendre les différences de codes entre l’école et les familles. Un lieu et des moments pour dire quand ça ne va pas et aussi quand ça va bien, pour chercher des solutions ensemble, pour que l’école comprenne les parents et que les parents comprennent l’école;

Que les professeurs et les autres acteurs de l’école (dont les CPMS) aient la formation nécessaire pour ne pas nous cataloguer et nous juger sur les apparences, pour ne pas nous taper la honte, ni taper la honte à nos enfants. Des exemples qui tapent la honte : lancer des piques, faire des sous-entendus, dire à un enfant qu’il est bête…

Cela veut dire aussi tenir compte de/reconnaitre ce que nous sommes, ce que nous mettons en place de notre côté et aussi respecter la confidentialité!

Que les écoles fassent réellement le travail de construire un conseil de participation qui fasse une place aux questions, aux besoins, aux problèmes de tous les enfants, y compris les enfants dont les parents n’ont pas fait d’études ou ne maitrisent pas la langue. Et pour ça, ce conseil doit faire une place à des parents comme nous : les écoles doivent permettre aux parents d’être accompagnés par des associations (et à des interprètes si nécessaire) en qui ils ont confiance. Et au quotidien, nous demandons à avoir un interlocuteur avec qui pouvoir discuter (par téléphone ou en direct) de ce qui se passe et que nous ne comprenons pas.

Nous voulons rappeler que la gratuité est une condition indispensable au respect et à la non-humiliation.

Il faut arriver à réconcilier la culture de l’école et les cultures dans lesquelles vivent nos enfants. Comment faire? donner des cours sur les codes et les différences culturelles aux enfants et aux enseignants? Se rencontrer, en parler ensemble, à l’école ou dans le quartier (associations de quartier)…

Quand les parents ne comprennent pas le vocabulaire ou la langue, il faut qu’ils puissent avoir de l’aide : il y a des services d’interprétariat. Pourquoi ne pas les utiliser?

Quand des choix d’aller ou pas dans le spécialisé ou en professionnel se discutent, nous voulons être entendus dans nos espoirs pour nos enfants, avoir notre mot à dire quant à leur avenir, être informés à temps et avoir de l’aide gratuite pour prendre la décision…

Ce que nous voulons, c’est que l’école comprenne et change!