C’est pas des maths ça ! (Épisode 2)

Dans ce deuxième épisode, il y a une histoire de pointure. Pour trouver chaussure au pied d’une population, rien de tel que cette autre valeur dite centrale qu’est la médiane. Il se fait que pour caractériser un groupe, comparer deux populations (ou deux échantillons), situer un individu à l’intérieur de la masse, il n’y a pas que la moyenne…

L’énoncé de la première activité relatée dans le numéro précédent de Traces était : « Vous devez désigner un délégué pour représenter votre classe lors des conseils de classe. Décrivez votre méthode et vos observations. » D’un point de vue mathématique, cela nous a permis de mettre en avant le mode (la valeur à la mode en quelque sorte). D’un point de vue citoyen, ce n’est rien d’autre que la démocratie qui était au cœur du débat.
L’énoncé de la deuxième activité est le suivant : « Quelle est la pointure de l’élève de la classe qui a autant de camarades dont la pointure de chaussures est plus petite que la sienne, que de camarades dont la pointure de chaussures est plus grande que la sienne ? Décrivez votre méthode et vos observations. » C’est pas des maths ? C’est pas citoyen ?
Rappelons que les activités ont été menées dans des classes de 2e année de l’enseignement général à Saint-Roch Ferrières, dans des classes de 3e et de 4e année professionnelles à Saint-Louis Amercoeur[1]Nous profitons de l’occasion pour remercier Messieurs Janssens et Tollet de nous avoir accueillis dans leurs classes..

Dans le général

Tout à tour, les élèves donnent leur pointure, elle est notée au tableau. Il s’agit bien de données brutes non classées. Beaucoup d’élèves calculent la moyenne, ou choisissent le milieu entre les deux valeurs extrêmes (il n’y a pas de terme français pour désigner cette valeur, les anglophones parlent de midrange). D’autres pratiquent par essais-erreurs en laissant les données dans le désordre et sans tenir compte des effectifs (une pointure est commune à plusieurs élèves).
Comme peu d’élèves ont fait référence à l’ordre au départ, il faut relancer le travail en faisant notamment expliciter ce que veut dire « plus petites » et « plus grandes ». Une fois les valeurs ordonnées, certains partent des extrémités en avançant pointure par pointure vers le milieu pour trouver une valeur. D’autres restent dans une forme de confusion : « C’est la pointure ou la personne qu’on doit trouver ? » Dans certains cas, cela marche : « Il faut diviser le nombre de pointures par 2, on prend le nombre à cette place-là et s’il y a deux nombres différents, on prend la moitié… » Dans d’autres, il y a un problème : « Il y a deux valeurs au milieu : on est bloqués. »
Certains élèves sont passés d’une représentation horizontale des pointures au tableau à une représentation verticale sur leur feuille et ont choisi de noter à côté le nombre de fois qu’apparaissait chaque valeur, mais aussi les valeurs qui n’apparaissaient pas.

Dans le professionnel

Le français n’est pas la langue maternelle de tous, la formulation de la consigne pose problème. Nous avons alors cherché une situation plus simple. Dans une famille de cinq enfants, quel est celui qui a autant de frères et sœurs plus jeunes et autant de frères et sœurs plus âgés que lui ? Les élèves comprennent sans trop de difficultés qu’on parle de celui du milieu. Cependant, nous leur faisons préciser : comment savoir qu’il est au milieu, qu’est-ce qui permet d’en être sûr ? On aborde alors la nécessité de les classer du plus jeune au plus vieux (ou inversement, les deux solutions sont énoncées et acceptées) pour ensuite déterminer celui du milieu.
Nous passons alors à l’activité en elle-même. Pour cela, on note les pointures de tous les élèves de la classe au tableau en ajoutant en couleur celle du professeur. La question est donc de déterminer la pointure de l’élève qui a autant de camarades avec une pointure plus petite que lui et autant de camarades avec une pointure plus grande. Dans les classes à effectif total impair, nous avons fait traiter le groupe sans prof d’abord puis avec le prof ensuite. Dans celles à effectif total pair, nous avons fait le contraire.
Les élèves commencent par classer les pointures dans l’ordre (certains le font tout de suite, d’autres tâtonnent un peu avant d’y arriver) croissant ou décroissant (après réflexion, on se rend compte que les deux peuvent mener au résultat). Se pose alors la question : si on a plusieurs pointures identiques, doit-on les noter toutes ou une seule suffit ? Les avis sont partagés, d’aucuns veulent toutes les écrire, d’autres pas. On en discute pour en arriver à la conclusion qu’on doit prendre en compte toutes les pointures, sans quoi on fausse les résultats.
Pour trouver la valeur cherchée quand le nombre de pointures est impair, plusieurs stratégies apparaissent : « On compte les pointures, on voit que c’est 11 et que ça ne se divise pas par deux. On enlève une pointure et on fait 10 : 2 = 5. On trouve la pointure qui a autant de valeurs à gauche qu’à droite. »
L’idée d’avoir le même nombre de pointures à gauche et à droite de la valeur cherchée est donc bien présente. Certains groupes partent des extrémités et avancent de proche en proche jusqu’à avoir éliminé le maximum de « paires » de nombres. D’autres ne remarquent pas la symétrie et effectuent le comptage de gauche à droite : on compte cinq pointures, on en saute une (celle du milieu) et on vérifie qu’il y en a bien cinq de l’autre côté aussi.
Lorsque le nombre de pointures est pair, il n’existe pas de valeur du milieu observable parmi les données : on se retrouve avec deux valeurs au milieu, que faire ? Plusieurs propositions : on prend celle qui apparait le plus de fois (celle des deux qui a le plus grand effectif), on prend la plus petite ou la plus grande (les élèves ne tombent pas d’accord). Certains élèves proposent alors de prendre le milieu de ces deux valeurs en les additionnant et en divisant la somme par deux. Ils utilisent donc ici une moyenne alors que celle-ci n’a pas encore été abordée ! Quelques groupes tâtonnent un peu et essaient de choisir (au hasard) une valeur pouvant correspondre. Ils comptent alors le nombre de pointures à gauche et à droite et se rendent compte que cela ne fonctionne pas.
Dans chaque classe, au moins un élève a évoqué la différence entre les deux cas proposés : soit on a affaire à un nombre pair soit à un nombre impair de pointures.

La médiane

D’un point de vue mathématique, cette deuxième activité vise à introduire la notion de médiane et à lui donner du sens. Ce qui, vous l’aurez constaté à la lecture des récits de classe, n’est pas gagné d’avance. En statistique, on considère souvent une variable (la pointure dans le cas présent) sur une population (la classe ici). À chaque individu de la population correspond une valeur de la variable. Le traitement statistique se fait sur les valeurs prises par la variable dans la population. La médiane est une valeur. Mais pour la matérialiser et la faire visualiser, nous avons voulu l’associer à un élève.
Dans le cas d’effectif total impair, cet élève « du milieu » existe. Il ne fait qu’un avec sa pointure. Quand l’effectif total est pair et que les deux élèves qui sont au milieu ont même pointure, cette dernière est médiane, mais il n’y a plus vraiment « d’élève médian ». Quand l’effectif total est pair et que les deux élèves qui sont au milieu ont des pointures différentes, on fait la moyenne arithmétique de ces deux valeurs pour déterminer la médiane. Et dans ce cas, il n’y a plus d’élèves, ni même de pointure de la série qui corresponde à la médiane.
Cela aurait été plus probant avec les tailles ? Peut-être… Mais il nous a semblé que la question des pointures est moins susceptible que celle des tailles de réveiller un problème psychologique vécu par l’un ou l’autre élève (si, si, même avec des jeunes de 18 ans, pour le petit mec qui se trouve en premier devant toutes les filles ou la grande asperge qui est derrière tous les garçons, cela reste encore parfois difficile à vivre). Par ailleurs, avec les tailles, probablement toutes différentes, nous n’aurions pas eu ce phénomène de valeur qui ont un effectif supérieur à un et que certains élèves ne prennent en compte qu’une fois.

Pour quoi faire ?

Considérer la pointure de nos contemporains n’a peut-être rien de bien porteur politiquement ou socialement, mais la médiane si…
Pour certains, la moyenne signifie valeur centrale au sens large (il n’y a pas de terme français pour ce sens général de la moyenne, les anglophones parlent d’average). Parmi les valeurs centrales, il y a donc la moyenne au sens restreint (mean en anglais, la somme de toutes les valeurs divisée par le nombre de valeurs), le mode, le milieu de l’étendue (midrange en anglais, valeur que certains élèves ont découverte comme vous l’avez lu plus haut dans cet article) et la médiane.
La médiane a bien des qualités, comme la robustesse la rendant insensible aux valeurs extrêmes (contrairement à la moyenne, comme on pourra le voir dans un prochain épisode). Un petit exemple pour vous aider à comprendre : on a les résultats (sur un total de 20) de deux groupes de 5 élèves : 0, 10, 10, 12, 13 et 8, 9, 9, 9, 20. Dans le premier groupe, la moyenne est 9 et la médiane est de 10. Dans le second, la moyenne est de 11 et la médiane est de 9. Quelle est la meilleure valeur centrale ?
Quand on considère les déclarations fiscales de 6 193 498 ménages belges, en 2013, le revenu brut annuel moyen est de 30 640 € et le revenu brut annuel médian est de 23 176[2] Institut national de statistique belge à l’adresse http://statbel.fgov.be/fr/modules/publications/statistiques/marche_du_travail_et_conditions_de_vie/Statistique_fiscale_des_revenus.jsp. On comprend cette différence en constatant que 2,45 % des déclarations sont au-dessus de 100 000 euros et qu’elles totalisent presque 13 % de l’ensemble des revenus déclarés (nous avons bien écrit « déclarés »). Au bas de l’échelle, il faut prendre en compte 37 % des déclarations pour arriver à la même part.
À partir de quand est-on pauvre ou riche ? Il faudrait prendre en compte la taille des ménages… De nombreuses études utilisent le revenu médian pour déterminer le seuil de pauvreté et de richesse, par exemple 50 % et 200 % respectivement. Un exemple : en 2013, en France, le revenu mensuel médian d’un isolé était de 1521 € tandis que celui d’un couple avec trois enfants ou plus était de 3862 €. Un isolé était donc pauvre s’il avait un revenu inférieur à 720 € et riche s’il était supérieur à 3042 €. Un couple avec 2 enfants était pauvre en dessous de 1931 € et riche au-dessus de 7723 €. C’est pas du citoyen ça ? C’est pas des maths ? 

Notes de bas de page

Notes de bas de page
1 Nous profitons de l’occasion pour remercier Messieurs Janssens et Tollet de nous avoir accueillis dans leurs classes.
2  Institut national de statistique belge à l’adresse http://statbel.fgov.be/fr/modules/publications/statistiques/marche_du_travail_et_conditions_de_vie/Statistique_fiscale_des_revenus.jsp