C’est pas des maths, ça ! (Épisode 5)

Londres est une ville où il pleut tout le temps. Paris, par contre, est une ville charmante et il y pleut à peine. Chaque année, on relève beaucoup plus de jours secs dans la capitale française que dans l’anglaise. Pourtant, en consultant la base de données internationale de la météo, on constate que la moyenne des quantités de précipitations annuelles est presque trois fois plus élevée à Paris qu’à Londres ! Comment cela se fait-il ?

Propositions de réponses :

Londres est une ville beaucoup plus grande que Paris.
Il y a une erreur de calcul.
Il pleut beaucoup plus fort quand il pleut à Paris.
Les gouttes d’eau à Londres sont plus petites qu’à Paris.
À Londres, il pleut toute l’année.
Autre
Maitrisez-vous les statistiques ? Nous reprenons le vouvoiement qui vous sied, cher lecteur. Nous nous sommes permis de vous tutoyer seulement par crainte que vous preniez le « vous » à la deuxième personne du pluriel. Il fallait que vous fassiez l’exercice seul… Faites-le, si vous ne l’avez pas encore fait !
Maitrisez-vous les statistiques ? Cette question n’a pas le même statut que la première question posée. Elle relève d’un niveau métacognitif.
Maitrisez-vous les statistiques ? Vous pensez certes que oui sachant que vous y êtes constamment confrontés. Mais avez-vous une réelle compréhension conceptuelle des données fournies par la société, comme les valeurs centrales, par exemple ?
C’est la question que nous nous sommes posée et pour y répondre, nous avons soumis à des personnes âgées de 16 à 84 ans, un questionnaire de sept questions à choix multiples et un espace libre de rédaction. Plusieurs propositions pouvaient être cochées.
Parmi les personnes questionnées, des enseignants (secondaire, primaire, maternel), des étudiants, des pensionnés, des fermiers, des ouvriers, des menuisiers, des comptables, des ingénieurs, des employés, des médecins, des infirmiers, des kinésithérapeutes, des indépendants…
Pour tenter de clarifier notre analyse, nous avons tenté de répartir toutes ces personnes en quatre catégories :
les professeurs de mathématiques (du secondaire inférieur et supérieur) et les instituteurs primaires (au nombre de 9) ;
les élèves d’une classe de cinquième année secondaire suivant une option mathématique forte (au nombre de 28) ;
certains étudiants des bacs 1, 2 et 3 dans une option « devenir enseignant en mathématiques dans l’enseignement secondaire inférieur » (au nombre de 34) ;
le public neutre, à savoir monsieur et madame Tout-le-Monde (au nombre de 115).

Nombre moyen d’oreilles

Comment réagissez-vous si on vous dit que plus de 99 % des gens ont plus d’oreilles que la moyenne du nombre d’oreilles ? Cela peut paraitre étrange, mais c’est vrai.
Le sondage a été fait sur une population avec beaucoup de handicapés à qui il manquait une oreille.
Si on prend 5 personnes dont une n’a qu’une oreille, c’est vrai, mais si on prend le même exemple avec 10 000 personnes, ça ne fonctionnera pas.
C’est impossible.
La question tourne autour de la moyenne, un terme tant utilisé, voire galvaudé. Mais pour un lecteur de TRACeS qui suit la saga entamée au numéro 225, c’est fastoche… À moins que, malgré nos nombreux avertissements, vous pensiez encore que la moyenne, c’est le résultat d’un calcul et qu’il n’y a pas de quoi calculer dans l’énoncé ?
On peut vous aider en vous donnant les réponses obtenues dans notre échantillon. Vous pouvez rallier la majorité, ou pas… Les avis qui ont été jugés corrects l’ont été à partir des réponses données dans l’espace libre offert aux commentaires des sondés.

Tableau 1

Au total, seulement 25 % des personnes interrogées ont compris l’astuce de cette situation, que l’on peut résumer de la manière suivante : quelques personnes seulement doivent avoir une seule oreille pour que la moyenne soit inférieure à 2.
Voici une réponse lue… « Tellement logique… Si un imbécile s’est coupé l’oreille, la moyenne sera plus petite que 2. Sauf si un autre imbécile nait avec trois oreilles. Et s’il y a le même nombre d’imbéciles dans les deux camps, la moyenne reste à 2. »
Certains ont interprété l’énoncé de façon très large et ont évoqué l’oreille musicale ou le fait d’être à l’écoute des autres, ou encore l’oreille interne et externe, les oreillettes du cœur…

Habitants au km²

En Russie, au 1er janvier 2015, on a déclaré qu’il y vivait 146 267 288 habitants. Pourtant, le nombre d’habitants au km² est de 8,4. Par contre, au Japon, où l’on a compté 127 103 388 habitants en 2014, on observe une densité de population de 349 habitants au km². Comment l’expliquer ? Que peut-on en conclure ?
Chaque Russe a 8,4 km² pour lui.
Il y a beaucoup de zones non habitables en Russie.
Au Japon, sur chaque km², on compte 349 Japonais.
Ils ont mal comptabilisé le nombre d’habitants.
Les différences du nombre d’habitants au km² étaient trop importantes pour calculer correctement la densité de population.
Ce problème a été plutôt bien réussi par nos sondés puisque 68,8 % des personnes ont coché la deuxième solution qui expliquait la situation par la quantité importante de zones non habitables en Russie. Bien entendu, il existe aussi de telles zones au Japon, mais en quantité moindre.
Remarquons que beaucoup ont tenu à compléter leur réponse en indiquant que le territoire russe était bien plus grand que celui du Japon.
Voici une explication extraite d’un questionnaire : « La Russie a une plus grande superficie, mais la population est concentrée en certains endroits. Il y a donc des kilomètres carrés où il y a 0 population, ce qui fait chuter la moyenne. »

Tableau 2

Comme on peut le constater à partir du tableau, un grand nombre de gens ont également coché la proposition 3 « Au Japon, sur chaque km2 on compte 349 Japonais. ». Cette solution est pourtant fausse, car si la moyenne du nombre d’habitants au km² est de 349, cela ne signifie en aucun cas que chaque km² en comptabilise exactement 349. Il se peut qu’on en trouve beaucoup plus sur un km2 donné que sur un autre.

Quel score ?

Aux États-Unis, en fin du secondaire, tous les élèves doivent passer un examen commun général appelé SAT (ce qui signifie Test d’Aptitudes Scolaires). Le score moyen obtenu à ce test a été calculé sur un grand nombre d’écoles du pays. Ce score moyen est de 400. Nous avons choisi 5 élèves au hasard et avons relevé leurs résultats. Les scores des quatre premiers élèves sont les suivants : 380, 420, 600 et 400. Quel est le score le plus probable pour le cinquième élève ?
200
400
410
Tous les scores sont possibles.
Il n’est pas possible de répondre à la question.

Tableau 3

Pour cette situation, les avis sont divergents. Comme on peut le constater à partir du tableau, les réponses sont partagées entre le score 200 et la proposition « Tous les scores sont possibles. », avec toutefois une légère avance pour cette dernière.
Si on calcule le score qui, additionné aux quatre autres donnés et dont la somme divisée par 5, donne une moyenne de 400, on trouve effectivement 200. Toutefois, ce calcul ne peut être réalisé sans tenir compte de la taille de l’échantillon… Extrêmement petit… Très peu de personnes ont mis le doigt sur ce problème, mais certains l’ont fait : « On pourrait penser à un score de 200, mais l’échantillon est trop petit pour avoir une forte probabilité que la moyenne de l’échantillon s’approche de celle de la population. »
Nous pouvions donc nous attendre à tous les scores, même si, la moyenne étant la seule donnée de ce problème, le score 400 aurait pu être proposé puisqu’il semble réaliste, possible. Il n’est cependant pas le score le plus probable (score qui a l’effectif le plus élevé, à savoir le mode sur lequel nous n’avons pas d’information).
De plus, le nombre de résultats possibles étant très élevé, la probabilité qu’un score donné sorte, est très faible (voire nulle). En outre, nous ne connaissons rien de la distribution de fréquences et donc de la représentativité de la moyenne. Il est donc difficile, voire impossible, de donner une réponse à la question posée.

La pluie à Paris

C’est le moment de revenir aux quatre questions posées à l’entame de cet article. Avez-vous répondu comme certains qu’il s’agit d’un cliché de dire qu’il pleut tout le temps à Londres ? Ou que les gouttes étant plus fines, on passe plus facilement au travers ? Ou qu’on fait dire n’importe quoi aux chiffres ?
Ou encore, comme 77 % des personnes interrogées, avez-vous retenu « qu’il pleut beaucoup plus fort quand il pleut à Paris ». Raison pour laquelle, même si l’on relève plus de jours de pluie à Londres qu’à Paris, on obtient des moyennes de quantité de précipitations annuelles au km2 (élément non communiqué et ayant posé question à certains) plus élevées à Paris.
Quoi qu’il en soit, nous espérons vous avoir convaincus, au terme du cinquième et dernier épisode de cette saga : primo, que les valeurs centrales constituent un sujet important d’étude pour tous les scolarisés ; secundo, qu’on peut les faire apprendre au travers d’activités motivantes et contextualisées.
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